mercredi 11 décembre 2019

César sera toujours César, et toi, tu seras toujours David...




Cet extrait de César et Rosalie pour célébrer la diffusion, sur France Culture, d'une petite dramatique de l'amie Sophie Lemp sur Claude Sautet.

La nuit tombée, et les froidures revenues, on pourra donc se glisser dans son lit et cliquer ici pour entendre Ce que nous sommes, évocation romancée, et toute teintée d'hommage, de l'auteur de Max et les ferrailleurs, de Les choses de la vie ou de Vincent, François, Paul et les autres.

 

jeudi 5 décembre 2019

Grève générale...



                                                                (photo GC)

Marseille, hier.

 

lundi 2 décembre 2019

André Breton, passe...



On trouvera une série de photomatons de la centrale surréaliste et de ses beaux satellites sur le site


mercredi 27 novembre 2019

L'habituel saccage



Après la commune de Volx, les habitants d’Ongles, petit village accroché aux flancs de la montagne de Lure, ont appris, eux aussi, par le biais de la publication d’un avis d’enquête publique, qu’un projet d’implantation de panneaux solaires était à l’étude sur leur commune. L’habituel saccage de la nature prévoit le défrichement de 12 hectares de forêt, au lieu-dit la Seygne, pour que la société SolaireParcMP079, filiale d’Engie, puisse y installer ses panneaux.

Les écologistes fervents applaudiront ce projet qui, comme le précise l’avis préfectoral, « vise à assurer la sécurité énergétique du territoire, à réduire les émissions de gaz à effet de serre, à participer au développement des énergies renouvelables par la production d’électricité sans émissions sonores, sans déchets et sans consommation d’eau ». D’autres, plus sensibles aux conséquences du confort moderne, peut-être aussi plus rétifs aux discours du green washing (l’autre nom de la poursuite suicidaire vers notre extinction) ou simplement lecteurs d’un Giono qui fit autre chose de cette terre vivante, se mobiliseront pour empêcher cette stupidité.

Se précise ainsi, à travers l'implantation d'installations diverses (centrales photovoltaïques, éoliennes, usines de méthanisation, décharges nucléaires), le projet moderne d'aménagement du territoire français. Dans les campagnes "désertées", que ne peuplent plus que les vieux, les déclassés, les paysans et les pauvres, et où l'on supprime gares, hôpitaux, maternités, écoles et bureaux de poste, on installera ce que les métropoles (où il fait si bon vivre) ne veulent pas et qui est nécessaire à leur survie.

mercredi 20 novembre 2019

La mort pour tous et toutes


"De France Télécom à Lubrizol, en passant par l’AP-HP, l’éducation nationale, la SNCF, La Poste, Lidl, et finalement Anas, étudiant lyonnais, le capitalisme tue. En direct ou en différé. Le plus souvent en différé, parfait moyen d’effacer les traces. Ce qui fut jadis une obscure directive européenne ouvrant les services publics à la concurrence deviendra dix ans plus tard un carnage à France Télécom. Mais qui pour rétablir le lien des causes et des effets ? Qui, dans quinze ou vingt ans pour rapporter un supplément « inexplicable » de cancers rouennais à l’explosion d’une bombe chimique en pleine ville ? En réalité qui pour seulement se souvenir et en parler ? Et qui pour mettre en relation le destin d’un étudiant poussé à bout de désespoir avec les Grandes Orientations de Politique Economique ?

Ici l’imbécile régulier objecte que c’est tout mélanger. Lubrizol, France Télécom : privé ; AP-HP, éducation nationale, Crous : public, enfin ! Mais il y a belle lurette que plus rien ne rentre dans la tête de l’imbécile régulier. Comment alors pourrait-il y entrer que le propre du néolibéralisme c’est de mettre le public sous condition du privé, d’organiser l’arraisonnement privé du public ? D’un côté la surveillance des déficits et des dettes par le duo Commission européenne / marchés de capitaux, de l’autre la baisse forcenée des recettes fiscales pour faire ruisseler les riches (mais de plaisir seulement) : l’ajustement se fera nécessairement par la colonne « dépenses ». 

Ainsi l’on massacre les services publics au nom des Traités européens, des investisseurs non-résidents, et des fortunes résidentes. Quand, après tout de même 20 milliards de CICE et 3 milliards d’ISF, les cinglés de Bercy s’opposent à ce que Macron lâche le moindre fifrelin aux « gilets jaunes » en décembre 2018, c’est pour la ligne budgétaire (sous surveillance de la Commission et des marchés). Quand, ayant lâché malgré tout, Macron fait rattraper le supplément de dépense par un supplément d’économie à charge de la Sécu !…, c’est pour la ligne budgétaire (sous surveillance de la Commission et des marchés). Les médecins et les personnels soignants, et puis les enseignants, les facteurs, les forestiers de l’ONF, les pompiers, et jusqu’aux usagers, comprennent donc maintenant que toute protestation contre la paupérisation des services publics finira par un supplément de paupérisation des services publics".

Heureusement, l'IGPN a été saisie...


jeudi 7 novembre 2019

"Le film le plus anticapitaliste jamais produit depuis des années"



Celles et ceux qui seront allés voir Joker, le film de Todd Phillips, auront sans doute remarqué l'étonnant parallèle de cette oeuvre avec l'air du temps

Loin de la paille à foin des productions Marvel, ce sombre brûlot étonne par sa radicalité (il était amusant de constater le désarroi de jeunes spectateurs, venus voir ici l'étalage habituel de super pouvoirs, face à un film que ne renierait pas un Ken Loach). 

Ainsi, "Kill the richs" n'est pas l'un des moindres slogans que l'on trouve écrits sur les murs de cette ville ravagée par un capitalisme qui sabre tout et tous, crédits publics comme hommes de la rue, créant par son mépris des pauvres et son avidité nihiliste le malheur, la catastrophe et une immense colère. 

On comprends mieux, comme l'explique Guillaume Basquin dans son article consacré au film, les réactions outrées (apeurées ?) de nos médiatiques de garde : 

"Du côté de France Culture (dans l’émission "Signes des temps"), on demandait : « Qui est Joker ? Un “Involuntary Celibate” misogyne qui fantasme sur des femmes racisées ? Un pauvre, habitant d’un quartier pauvre, et qui va se révolter contre les riches ? » Depuis quand une femme noire est une femme « racisée » ? Descendu à ce niveau-là, la très belle possibilité d’amour pour notre Joker (qui a beaucoup plus à voir avec un clown – forcément triste – qu’avec le personnage éponyme de la série Batman) devient du caviar (de l’infini, comme disait Céline) donné à des caniches (une certaine « critique »)… L’émission grand public « Le Masque et la Plume », sur France Inter, a réussi à descendre encore plus bas : « Il n’y a pas de scénario, c’est le nihilisme pour les imbéciles. » Que le « film le plus anticapitaliste jamais produit depuis des années » (Jacques Mandelbaum dans Le Monde, qui a bien rehaussé le débat, merci à lui) puisse être traité de « nihilisme pour les imbéciles » ne laisse pas d’étonner…

Les Gilets jaunes – car il s’agit bien de cela, dans la dernière et très inquiétante scène du film où tout Times Square est mis à sac par des gens révoltés et masqués (d’un masque de clown, il faut le souligner) – feraient-ils peur à ce point à nos « élites » de Sciences Po ? Pour les disqualifier, on fait dévier le vrai débat, les qualifiant ici d’« antisémites », là de « misogynes ». Ah bon ? mais où ont-ils vu cela ? Le Joker du film est un être totalement innocent dans un monde complètement coupable, comme tous les héros hitchcockiens".

L'Amérique pourrait-elle encore nous surprendre ?


mercredi 30 octobre 2019

La réification

 

L’essence de la structure marchande a déjà été souvent soulignée ; elle repose sur le fait qu’un rapport, une relation entre personnes prend le caractère d’une chose, et, de cette façon, d’une « objectivité illusoire » qui, par son système de lois propre, rigoureux, entièrement clos et rationnel en apparence, dissimule toute trace de son essence fondamentale : la relation entre homme. 

Georg Lukács, Histoire et conscience de classe



lundi 21 octobre 2019

L'hôtel de la plage



Alors que nous voilà sur le point de disparaître, sacrifiant la Nature et ce qui fait société sur l’autel du retour sur investissement, des philosophes, ou se proclamant tels, brodent de livres en blogs sur leur désengagement. On les voit ainsi hausser le sourcil face au militant, ce factotum des Grands soirs, ce piéton parfois lourdingue des horizons programmés, ce sans grade sacrifiant le plus précieux de lui même pour des causes qui, parfois, valaient la peine. 
 
L’exercice date des Trente glorieuses. La figure honnie du militant est née chez les Situs. D’abord utile à dénoncer l’abrutissement stalinien et ses rhizomes, elle fut vite récupérée par le système comme un instrument utile de démobilisation. De savoir penser par soi-même, hors de la ligne d’un parti, jusqu’à l’excellente raison de ne plus faire grand-chose... le chemin fut vite accompli. Et certains, à la façon d’un Oscar Wilde, auraient pu reprendre à leur compte cette célèbre antienne : « Je suis pour le socialisme, ce qui m’ennuie c’est les réunions le soir ». 
 
Quant à nos philosophes désengagés (Comte-Sponville, Schiffter, Ferry, Glucksmann, Rosset, Enthoven et alii), et visiblement accros à l’après-shampoing, nous viennent ces paroles de Diogène : « A quoi peut bien nous servir un homme qui a déjà mis tout son temps à philosopher sans jamais inquiéter personne ? ».


jeudi 10 octobre 2019

L'évidence

Une entreprise qui créé des emplois

Comme le fait remarquer, fort justement, Frédéric Lordon dans son article du 7 octobre, "Détruire le capitalisme avant qu’il ne nous détruise (à propos de Lubrizol)" :  " On se croyait en start-up nation. On se retrouve à Tchernobyl. Qu’en un instant tout le glamour de pacotille de la Station F et des écrans tactiles s’écroule pour faire revenir d’un coup des images d’URSS n’aura pas été le moindre des paradoxes de l’explosion Lubrizol.

Il faut pourtant s’y rendre : des pompiers envoyés en toute méconnaissance de ce qui les attendait, avec pour tout équipement « spécial » de pauvres masques de bricolage pareils à ceux des manifestants, à piétiner des heures dans la sauce qui troue les bottes et leur promet des pieds comme des choux-fleurs — et tout ceci, parfaite ironie, alors que la série Chernobyl venait de remporter un succès de visionnage bien fait pour consolider la commisération réservée aux régimes soviétiques et le sentiment de supériorité capitaliste (au prix tout de même de devoir oublier que Tchernobyl était en sandwich entre Three Miles Island et Fukushima).

Emmanuel Macron, un président de StartUp nation

Mais plus encore que les bottes et les masques, il y a le mensonge, le mensonge énorme, le mensonge partout, sans doute le propre des institutions en général, mais la marque de fabrique de ce gouvernement qui, en tous domaines, l’aura porté à des sommets inouïs. Jusqu’au stade de la rodomontade obscène : si elle avait été rouennaise, nous assure Sibeth Ndiaye, « elle serait restée ». On croirait entendre un secrétaire régional du PCUS d’Ukraine juste avant de fourrer d’urgence sa famille dans un autocar — mais les images de CRS en masque à gaz pendant que le préfet assurait de la parfaite normalité de la situation avaient déjà tout dit.

Warren Buffet, un propriétaire heureux

Sibeth Ndiaye n’a pas eu à « rester » puisqu’elle n’était pas là. Mais il n’est pas trop tard pour un acte de bravoure rationnelle, et il est encore temps d’y aller ! On peut même l’aider : un « Pot commun » devrait rassembler sans difficulté de quoi lui offrir une semaine dans un Formule 1 des environs, avec vue sur le sinistre et cadeau de bienvenue, une bouteille de Château Lapompe, directement tirée au robinet, un peu grise sans doute mais assûrement goûteuse, en tout cas certifiée potable par toutes les autorités. "

 Isabelle Striga, une directrice générale et Laurent Bonvallet, un directeur de site. 

La suite est  ici sur le site du Monde Diplomatique.

Un homme d'entre deux



Une petite église de campagne vous remet d'aplomb. Pourvu qu'elle soit vide. Sans curé. Sans homme. J'en connais.

Georges Perros


 

mardi 8 octobre 2019




A Rouen, l'usine Lubrizol continue à distiller ses poisons. Le site Révolution permanente a interviewé un ancien employé de l'entreprise. Ses propos confirment toutes les craintes que l'on peut avoir sur cette catastrophe. Une fois encore, on y décèlera sans peine la logique d'Etat (et du Capital) qui a produit ce délétère enchaînement des causes.

Highwomen, of course


A écouter cette reprise du Fleetwood Mac par The Highwomen, on modifiera un tantinet son jugement sur la country, genre prétendument peuplé de bourrins consanguins étoilés à l'alcool de contrebande. The chain, ici bonnement exécuté, donne envie d'écouter plus avant ce quatuor de dames.


 

jeudi 3 octobre 2019

Il n'y a pas de fumée sans feu



L'homme se dresse fièrement tout en haut de la pyramide du progrès universel, et en posant dessus la clé de voûte de sa connaissance, il  a  l'air d'apostropher la nature soumise alentour : « nous sommes au but, nous sommes le but, nous sommes la nature achevée ». Européen superfier du dix-neuvième siècle, tu as la tête qui fume ! Ton savoir n'achève pas la nature, mais il tue la tienne.


Friedrich Nietzsche, Considérations inactuelles


mardi 1 octobre 2019

Préfecture



Dans un billet du 31 janvier 2018, nous avions évoqué la façon dont certaines préfectures sont autorisées à déroger aux normes réglementaires concernant l’environnement, l’agriculture, les forêts, l’aménagement du territoire et la politique de la Ville, la construction de logements et l’urbanisme. 

Nous citions alors le décret N° 2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif à l’expérimentation territoriale d’un droit de dérogation reconnu au préfet. Celui-ci visait à « évaluer, par la voie d’une expérimentation conduite pendant deux ans, l’intérêt de reconnaître au préfet la faculté de déroger à certaines dispositions réglementaires pour un motif d’intérêt général et à apprécier la pertinence de celles-ci. A cet effet, il autorise, dans certaines matières, le représentant de l’Etat à prendre des décisions dérogeant à la réglementation, afin de tenir compte des circonstances locales et dans le but d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques ». 

En juin 2018, le gouvernement publiait un décret réduisant le périmètre des projets soumis à évaluation environnementale. Parmi les installations concernées figuraient les installations "Seveso". Malgré leur dangerosité, l'exécutif décida de soustraire les modifications de ces établissements à une évaluation environnementale systématique pour les soumettre à une procédure d'examen au cas par cas.
 
On apprendra ainsi que la préfecture de Seine Maritime, profitant de ces "assouplissements de la réglementation" autorisait, en début d’année, une augmentation des capacités de stockage de produits dangereux de l’usine Lubrizol de Rouen à l’origine de la catastrophe. L’article d’Acti environnement, dont nous avons repris certains éléments, explique ce sinistre enchainement des causes...

Rouen, colère noire




Nous venons d’entendre le préfet de Seine-Maritime déclarer que l’état de l’air à Rouen était «habituel». C’est à se demander d’où il parle pour ne pas sentir, selon la direction et la force du vent, selon les quartiers, cet air irrespirable qui nous asphyxie, s’infiltre dans nos poumons, nos maisons, nos bureaux, nos lieux de travail, irrite nos gorges, nos yeux, nous provoque des migraines, nous fait parfois vomir et nous réveille la nuit. Cette affirmation est insoutenable car elle fait passer pour des hystériques ou des mystificateurs ceux, nombreux, qui continuent de subir cette odeur suffocante dans une atmosphère toujours saturée à l’heure où nous écrivons…

Des centaines de milliers de personnes à Rouen et ses environs, légitimement inquiètes, se sentent méprisées par la suite de communiqués qui prétendent que tout est sous contrôle. «Dormez tranquilles braves gens, les relevés n’indiquent rien d’anormal.» L’empressement avec lequel on cherche à nous rassurer en oubliant les simples mots de compassion, de sollicitude après ce traumatisme ! Et aujourd’hui on nous assure que tout est normal. Comme dans la chanson de Fontaine et Areski. Si c’est vraiment le cas, changez vos méthodes et vos outils de mesure, car il y a un vrai problème.

Nos enfants respirent un air malsain, insalubre depuis des jours. Certains de nos jardins sont noircis d’hydrocarbures rendant les cultures de nos potagers impropres à la consommation. Pour combien de temps ? Nous y trouvons des morceaux d’amiante, des débris non identifiés, de fines poussières jaune-vert. Nos maisons sont tachées de suie noirâtre. Nous toussons, nous respirons mal. Les plus fragiles sont hospitalisés. Quand nous le pouvons, nous fuyons pour chercher l’air sain auquel tout citoyen devrait avoir droit.

Notre ville, dont l’embellissement récent nous rendait heureux, et où nous aimons vivre, est souillée, abîmée, noircie, «clairement polluée». Agnès Buzyn, ministre de la solidarité et de la santé, venue faire ce constat de l’évidence, nous dit : «Il faut se laver les mains, et il faut nettoyer.» Est-ce cela le plan du gouvernement après une catastrophe industrielle Seveso ? Se laver les mains et nettoyer ? C’est à nous Rouennais et habitants de l’agglomération de décontaminer notre ville ? Nos jardins ? Nos champs ?
Vous n’avez rien d’autre à nous dire ?

Expliquez-nous pourquoi nous ne savons toujours pas de quoi est composé l’air que nous avons respiré depuis jeudi matin ?
Expliquez-nous pourquoi, puisqu’il existe sur le secteur de Lubrizol un Plan de prévention des risques technologiques piloté par la Dreal Normandie et que ce type de plan s’applique aux zones présentant des risques majeurs, comme c’est évidemment le cas d’une usine classée Seveso, rien n’ait, semble-t-il, été mis en œuvre en conséquence vis-à-vis des populations dès le déclenchement de l’incendie ?
Expliquez-nous pourquoi, si tout est si normal, des policiers travaillent avec des masques à gaz ?
Expliquez-nous comment il est possible qu’un site Seveso puisse être recouvert d’amiante ?
Dites-nous quelles dispositions le gouvernement va prendre pour organiser le suivi épidémiologique de toute la population des villes touchées par ce nuage toxique de 22 kilomètres de long et 6 km de large ? S’il a l’intention de le faire ?
Expliquez-nous comment une usine classée Seveso seuil haut peut exister à 500 mètres d’un centre-ville avec un bassin de population aussi important, en face d’un futur écoquartier ?
Expliquez-nous pourquoi un arrêté préfectoral suspend pour 112 communes collecte du lait, d’œufs, de miel, livraison d’animaux, interdit les récoltes, mais nous, habitants, aurions respiré un air qui ne serait pas particulièrement dangereux ?
Que dites-vous aux agriculteurs, aux éleveurs, aux maraîchers, aux apiculteurs ? Dont pour certains l’activité économique est déjà en péril ? Que dites-vous aux malades ? Aux femmes enceintes ?
Que dites-vous aux salariés de l’usine, vivant souvent près du site, désormais au chômage technique, également secoués par cette catastrophe ? Aucun mot n’a été prononcé publiquement à leur égard.
Que dites-vous aux professionnels du tourisme qui reçoivent des annulations en série ?
Que répondez-vous aux médecins qui s’alarment de découvrir les taux affolants de plomb et autres métaux lourds auxquels nous avons pu être exposés ?

Les conséquences immédiates et à venir de ce désastre sont si nombreuses que nous ne pouvons pas toutes les énumérer. Mais nous enrageons de recevoir si peu d’égards, de soutien, et surtout d’informations claires. Sur ce qui s’est passé et ce qui va se passer à l’avenir.

Par ailleurs, nous avons entendu le président de Lubrizol, Frédéric Henry, dire que le secteur de l’usine où l’incendie s’est déclenché était un lieu de stockage, sans activité industrielle, et donc qu’il ne faisait pas partie des secteurs du site où l’entreprise avait anticipé d’éventuels accidents dans ses scénarios et exercices de crise. Si nous avons bien compris son propos, il nous semble grave.

Nous, Rouennais, ou liés à cette ville, habitants des villes environnantes, signataires de ce texte demandons :

- La reconnaissance de l’état de catastrophe technologique.
- Une refonte totale de la législation concernant tous les sites Seveso sur le territoire français en tenant compte de l’avis des premiers concernés : les habitants. Car soyez bien certains que cette catastrophe se reproduira. A Rouen, où nous vivons sur un baril de poudre, ou ailleurs.
- Une réponse gouvernementale à la hauteur de ce qui a eu lieu : une catastrophe majeure.
- Et enfin, que les dirigeants de l’usine Lubrizol dont les prises de paroles depuis jeudi sont affligeantes de lâcheté et de cynisme soient mis le plus vite possible devant leurs responsabilités qui sont immenses.


vendredi 27 septembre 2019

Do androids dream of electric sheep ?


Dans leur dernière livraison, les camarades de Pièces & Main d'Oeuvre éclaircissent le buisson progressiste derrière lequel se cache la procréation médicalement assistée. 

Parmi les différents exemples de l'artificialisation de la vie, et des effets de la technologie sur celle-ci, on notera que, "d’après sociologues et gynécologues, les écrans éteignent la vie sexuelle. Selon une étude de l’université de Cambridge, les couples anglais ont 40% de rapports sexuels de moins en 2010 qu’en 1990. A ce rythme, c’est fini en 2030. Aux Etats-Unis, les couples ont neuf fois moins de rapports sexuels dans les années 2010 que vingt ans avant, et les «Millenials» (nés après 1990) sont les plus touchés. La plupart reconnaissent consacrer plus de temps à leur smartphone qu’à leur partenaire. On le savait depuis les années soixante, la natalité baisse avec la télé. Avec Internet, le porno est à portée de vue permanente des adolescents. Selon les spécialistes, cela en détourne beaucoup de la sexualité avec des humains en chair et en os. L’ écran fait écran." Nulle doute qu'à ce régime là, nos éprouvettes ont un bel avenir.


vendredi 20 septembre 2019

L'âme menacée



Il dit à Béata : aujourd'hui, j'aimerais vous parler d'un champ qui ne demande qu'à être traversé. On peut s'y arrêter et poser ses fesses sur une herbe que ponctuent des bouses de vaches. Il n'est pas en pente, ni particulièrement plat. C'est un champ qui mène à un autre champ un peu plus petit où l'on croise parfois des lièvres. Un jour, j'y ai suivi un chevreuil quelques minutes avant qu'il ne s'enfonce dans la nuit. C'est un champ qui vous offre un ciel de derrière les fagots. Je ne sais pas à qui il appartient. J'y ai vu paître des brebis et parfois des vaches. Depuis son centre, on peut y voir une Auvergne crénelée de volcans. La barrière qui l'entoure a été plantée il y a longtemps. Parfois, il m'arrive de passer mes mains sur ses poteaux en me demandant quel âge j'avais quand il ont été plantés. J'examine ces bouts de bois et j'opte pour l'année de mes dix ans. A la fin de l'été, les vents font bruire les arbres qui l'entourent. C'est le chant du champ, un truc qui me permet de le quitter avec la certitude de le retrouver.
- C'est un refuge ?, demande Béata.
- Un lieu précaire.
- Pourquoi ?
- On veut y prospecter du gaz, y planter des éoliennes, y installer un élevage hors-sol, une station bio-masse, un méthaniseur. C'est un lieu précaire.


lundi 16 septembre 2019

Le Lot se méthanise


Cahors, Figeac, Rocamadour… Le Lot est beau, le Lot est vert, le Lot est campagnard, le Lot est touristique. On y trouve encore parfois, au détour d’un chemin, les traces d’anciennes civilités et les vestiges, toujours émouvants, de la civilisation paysanne. On s’y promène, on s’y baigne, on y visite ses grottes préhistoriques, on y travaille, on y vit. On y installe un méthaniseur industriel qui traitera 65 000 tonnes de déchets par an.

Construit à Gramat, dans le nord du Lot, cette usine traite des déchets importés de cinq départements alentours. Issus de restaurations collectives, d’élevages industriels, de laiteries, de stations d’épuration et d’abattoirs ces déchets contiennent des métaux lourds, des perturbateurs endocriniens, des germes, des pesticides, des produits chimiques, des médicaments ainsi que d'autres éléments minéraux et organiques très divers. Cerise sur le gâteau : un autre méthaniseur industriel sera construit également sur le causse de Martel à Mayrac : il traitera 20 000 tonnes de déchets de toutes sortes par an et épandra ses digestats sur le causse de Martel.

Il faut, en effet, savoir qu’avec ces déchets, les méthaniseurs de Gramat et Mayrac produiront du méthane et de l’électricité mais surtout un sous-produit : le digestat. Celui-ci est présenté par la société Bioquercy1, qui exploite l’usine, comme un « fertilisant » qui sera épandu sur 4000 hectares de causse au cœur du parc naturel des causses du Quercy et des 800 ha du causse de Martel.

Or, le digestat est non seulement un résidu fluide qui s’infiltre immédiatement dans les sols mais il se trouve que partiellement « hygiénisé », il peut charrier des germes pathogènes (kystes de parasites, Bacillus cereus et clostridies), des virus émergent et d'autres résidus d'antibiotiques.

La région calcaire des causses est un milieu particulièrement vulnérable, déjà victime des épandages du lisier des élevages industriels. Ceux-ci ont provoqué l’expansion extraordinaire de la végétation aquatique dans le lit de la Dordogne, du Célé et de leurs affluents ainsi que des pollutions d’eau potable enregistrées notamment à Cahors au printemps 2017.

En sus de l’odeur de merde que supportent les riverains de l’usine, de la mort étrange d’essaims d’abeilles sur les lieux où a été épandu ce digestat, il est plus que probable que son épandage souillera les eaux souterraines, les rivières et les adductions d’eau potable de ce coin de pays.




1 Détenue à 66 % par Fonroche, constructeur de méthaniseurs et La Quercynoise.

mercredi 11 septembre 2019

Ne vous effondrez pas n'importe comment


Glané sur l'excellent site Le marque page, ce commentaire de Robert Spire, en réaction à l'article sur les différentes fortunes éditoriales du concept de collapsologie (l'étude des catastrophes)

"Sur le sujet, dans son article (« La fin du monde n’aura pas lieu » dans le Diplo du mois d’août), le journaliste Jean-Baptiste Malet pose la question : « Catastrophisme éclairé ou grande peur obscurantiste. » L’article se termine sur les propos d’un chercheur écologiste américain, le professeur Jason W Moore : "Je suis très inquiet de la capacité qu’à ce concept d’anthropocène de renforcer cette vieille farce bourgeoise selon laquelle la responsabilité des problèmes émanant du capitalisme reviendrait à l’humanité tout entière. Nous sommes en train de vivre l’effondrement du capitalisme. C’est la position la plus optimiste que l’on puisse embrasser. Il ne faut pas craindre l’effondrement. Il faut l’accepter. Ce n’est pas l’effondrement des gens et des bâtiments, mais des relations de pouvoir qui ont transformé les humains et le reste de la nature en objets mis au travail gratuitement pour le capitalisme. » Vision moins angoissante ? ?"


jeudi 11 juillet 2019

Le passage du Nord-Ouest



Partir par les chemins creux. Gagner le causse, siffler les milans et goûter, près des sources, à la délicatesse des fougères. Franchir les collines au milieu des hêtres, du schiste et des chataigniers. Au bout de la route, une fenêtre illuminée et les promesses du Malbec. Santé, simplicité. Le bonjour chez vous.

mercredi 26 juin 2019

Pasolini parle



Les éditions Delga publient un recueil des entretiens donnés par Pier Paolo Pasolini entre 1949 et 1975. Ce livre, fondamental dans l’approche et la compréhension de la geste pasolinienne, constitue un véritable traité de lucidité, d’honnêteté et de courage intellectuel. 

Il est aussi une des meilleures introductions à Pasolini - la forme verbale offrant une clarté utile à celles et ceux qui ne connaissent pas le poète et cinéaste italien. 

Il est encore, pour les personnes déjà rompues à la pensée de Pasolini, une somme précieuse, et souvent inédite, qui confirme, s’il le fallait, la cohérence et l’extrême articulation de celle-ci. 

Une pensée ô combien utile en ces temps où : "L’accumulation des crimes des hommes au pouvoir unis dans l’abêtissement de l’idéologie hédoniste du nouveau pouvoir, tend à rendre le pays inerte, incapable de réactions et de réflexes, comme un corps mort".

Enfin, en manière de présentation, on trouvera , un entretien donné par Aymeric Monville, responsable de cette publication, et ici, une intervention filmée du même, accompagné de Melinda Toen, bonne connaisseuse de l’oeuvre de Pasolini. 


vendredi 21 juin 2019

La nécrophobie des transhumanistes est mortifère




Cet entretien, glané sur Marianne, a été donné à Kevin Boucaud-Victoire par l'ami Jacques Luzi, animateur de la revue Ecologie & politique et auteur d'Au rendez-vous des mortels : le déni de la mort dans la culture moderne de Descartes au transhumanisme.


Marianne : Comment définissez-vous le transhumanisme ? En quoi représente-t-il un danger ?

Jacques Luzi : Le transhumanisme est une pensée libertarienne qui prône l’usage dérégulé de la technologie [la rationalisation scientifique de la technique] pour outrepasser les limites de la condition humaine : abolir les frontières de la vie terrestre, étendre indéfiniment des capacités corporelles et intellectuelles par la fusion de l’humain et de la machine "intelligente", accéder à l’immortalité.

Cette pensée est née dans les années 1980 en Californie, avec la volonté explicite d’affranchir le déploiement des nouvelles technologies (nano, bio, IA) de tout encadrement, dénoncé comme l’expression d’une "technophobie" obscurantiste.

À présent, ce discours, bénéficiant de moyens financiers gigantesques (émanant des GAFA), s’est internationalisé et a pénétré l’ensemble des milieux politiques. En France, la nébuleuse transhumaniste va de Mélenchon à Luc Ferry, en passant par l’écologiste Didier Coeurnelle.

Les dangers sont multiples : le traitement du vivant comme un matériau inerte entièrement manipulable ; l’inscription des inégalités dans les corps par la technologie, les « augmentés » dominant les « naturels » ; l’extension du chantage à la "technophobie" jusqu’à la mainmise totale d’une prêtrise technocratique sur l’ensemble de l’existence. Etc.

Marianne : Le transhumanisme est-il la conséquence du rationalisme et de la croyance que l’homme peut se poser "comme maitre et possesseur de la nature" (Descartes) et que la science apporterait des solutions à tous nos problèmes ?

Jacques Luzi : Concrètement, la technoscience sert aussi bien l’accroissement de la puissance des États dominants, en compétition permanente dans la course technologique préventive, que l’expansion du capitalisme industriel, suspendue aux perfectionnements continus du machinisme, de l’organisation scientifique du travail et de l’exploitation de nouvelles ressources énergétiques.

Cette synergie entre l’État, le capital et la technoscience a trouvé sa justification dans la religion du Progrès qui promet, grâce aux innovations technoscientifiques, l’amélioration indéfinie de la condition humaine, c’est-à-dire l’élimination du travail, de la souffrance, l’ultime défi étant "la mort de la mort". Cet utilitarisme est déjà présent chez les fondateurs de la technoscience, en particulier chez Descartes (qui justifie ainsi l’ambition de se rendre "comme maître et possesseur de la nature") et Francis Bacon (qui considère que "la science est puissance humaine"). On le retrouve chez les principaux théoriciens du Progrès, par exemple chez Condorcet, pour qui le "perfectionnement de l'espèce humaine doit être regardé comme susceptible d'un progrès indéfini", de sorte "qu'il doit arriver un temps où […] la durée de l'intervalle moyen entre la naissance et [la mort] n'a elle-même aucun terme assignable."

Le transhumanisme réactive en effet ce type de discours, alors que la révolution industrielle des NIBC alimente la poursuite de la concurrence pour le profit et la puissance. Simultanément, le transhumanisme conduit les principes de la technoscience (la suprématie de l’entendement sur le corps, le dualisme de l’humain et de la nature) jusqu’au fantasme de substituer entièrement l’artificiel au vivant, des steaks de synthèse aux bactéries méthanotropes, des OGM à l’homme "augmenté".

La promesse d’immortalité des transhumanistes a donc pour contrepartie la mort du vivant (donc de l’humain) : leur nécrophobie est mortifère.

Marianne : En quoi le transhumanisme est-il dépendant du système capitaliste ?

Jacques Luzi : La technologie est la technique propre au capitalisme rationnel. Les deux sont interdépendants. La technologie est le moteur du productivisme et du consumérisme. Et le capitalisme permet le financement des recherches et la mise en œuvre des innovations technologiques. De cette interdépendance découle le "bougisme" des sociétés industrielles, leur accélération permanente et leur caractère autoréférentiel : parce que les progrès technologiques et l’accumulation du capital se nourrissent mutuellement, ces sociétés en viennent à considérer que les problèmes (écologiques, sociaux, politiques) que provoque leur expansion ne possède de solutions que dans la poursuite de ces progrès et de cette accumulation, dans une boucle sans fin.

De là le fait que leur destin est la démesure. Outrepasser les limites de la condition humaine est l’ultime moyen de repousser les limites de cette complémentarité dynamique entre la technoscience et le capital. Aristote, déjà, dénonçait la chrématistique (l’activité orientée vers le profit) comme antinaturelle parce que sans limite, alors même qu’elle ne possédait pas alors les capacités technologiques de cette illimitation. La chrématistique transhumaniste, à l’opposé, assume le fanatisme antinaturel de surpasser, grâce à la technologie, "la dimension de l’homme" (Hannah Arendt).

Marianne : La "procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes" est-elle un pas vers le transhumanisme, comme l'affirment certains ?

Jacques Luzi : Le mot "transhumanisme" est de Sir Julian Huxley (1887-1975), biologiste socialiste prônant un eugénisme de "gauche" visant "l’amélioration de la qualité moyenne des êtres humains." La reproduction artificielle et le génie génétique s’inscrivent indéniablement dans ce projet.

Derrière la "liberté" de choix du consommateur et le débat sur l’égalité d’accès aux technologies reproductives, derrière les confusions entre pathologie et handicap, entre différence naturelle et inégalité sociale, on trouve la volonté techno-capitaliste de normaliser la marchandisation du vivant, quitte à susciter en chacun, pour le monnayer, le désir de devenir le contraire de ce qu’il est.

L’argent, écrivait le jeune Marx en 1844, "est la perversion générale des individualités, lesquelles sont changées en leur contraire et se voient conférer des qualités qui contredisent leurs qualités propres." Qu’accomplit la technologie, si ce n’est l’extension illimitée de ce "monde à l’envers" ?

Le choix fondamental, en particulier concernant la PMA, est donc le suivant : ou bien conserver ou reconquérir son autonomie dans la recherche de solutions humaines aux "imperfections" de ses "qualités propres" ; ou bien s’aliéner aux technologies et payer, quand on le peut, pour espérer les convertir en "augmentations". À mon sens, le deuxième terme de l’alternative conduira, d’une manière ou d’une autre, à la mort de l’humain.

L’homme augmenté et les intelligences artificielles risquent de demander d’énormes ressources énergétiques et matières premières. Finalement, la crise écologique ne risque-t-elle pas d’empêcher d’elle-même les rêves transhumanistes ?

La crise écologique traduit les limites physiques auxquelles se heurtent les sociétés industrielles. Le développement durable, qui est le dernier avatar de la religion du Progrès, perpétue le déni de ces limites. À moins de considérer que ce développement est indéfiniment durable (auquel cas "durable" est un pléonasme), ne doit-on pas en effet se poser les questions suivantes : à quel moment l’interrompre ? Pourquoi s’entêter à poursuivre un processus dont l’abandon sera d’autant plus problématique qu’il adviendra tardivement ?

La vérité est qu’il n’y a pas de développement sans accumulation et que cette accumulation est par principe illimitée. Poser la question de la fin du développement signifie donc remettre en question le sens et l’organisation des sociétés industrielles, leurs rapports à elles-mêmes, aux Autres et à la nature.

C’est cette remise en question que tente de neutraliser la diffusion du transhumanisme. Croire à l’"économie immatérielle", à la "transition énergétique", à la "croissance verte" ou à la "planification écologique", revient à croire que ces sociétés, qui se conçoivent comme l’apothéose de l’Histoire, comme la réalisation de la Vérité, sont immortelles.

Abandonnée à sa logique, la poursuite du développement (de l’accumulation) s’accompagne déjà du creusement des inégalités (nationales et internationales) et de l’intensification des antagonismes sociaux, comme de l’intensification des conflits pour l’appropriation d’une quantité toujours plus réduite de ressources (minières, énergétiques, agricoles) ou pour contenir des migrations écologiques en voie de massification.

Les rêves transhumanistes ne sont pas des rêves à vocation universelle. Ils sont les chimères des dominants qui croient pouvoir échapper, dans le confort aseptisé de leurs cités "intelligentes", au chaos mondial qu’eux-mêmes participent à provoquer. Qui, d’ailleurs, peut encore croire à un Progrès universel ? La hausse continue des budgets de l’armement, les préparations à la guerre "augmentée", la fusion du militaire et du policier, montrent au contraire que les dominants se préparent activement à la conservation violente de leur position privilégiée.

Marianne : Le transhumanisme prépare-t-il une nouvelle lutte des classes, entre les bourgeois transhumains et les prolétaires, qui seront les "chimpanzés du futur" ?

Jacques Luzi : L’expression est de Kevin Warwick, cybernéticien et transhumaniste : "La technologie risque de se retourner contre nous. Sauf si nous fusionnons avec elle. Ceux qui décideront de rester humains et refuseront de s'améliorer auront un sérieux handicap. Ils constitueront une sous-espèce et formeront les chimpanzés du futur."

En premier lieu, déduire, de l’aliénation au déferlement suicidaire de la technologie, la nécessité de fusionner avec la technologie est à proprement parler délirant. Et ce délire permet, encore une fois, d’éluder la question de la désaliénation.

Deuxièmement, en supposant que cette fusion produira autre chose que des monstres, y adhérer ne relève pas simplement d’un choix : pas plus que d’éviter la "malbouffe" alimentaire, politique et culturelle, les plus démunis (ni d’ailleurs les "classes moyennes") n’auront pas les moyens de jouir des technologies d’augmentation, de l’accession au marché des "bébés sur mesure" ou de la cryogénie dans l’attente de l’immortalité. Se profile donc l’instauration d’une hiérarchie sociale fondée technologiquement, dans la prolongation du fantasme libéral et eugéniste de la naturalité des inégalités.

Marianne : Pourquoi notre société n’accepte-t-elle plus aussi facilement qu’avant la mort ?

Jacques Luzi : La mort a toujours été, et sera toujours, une tragédie. Mais nombre de sociétés sont parvenues à la civiliser, à l’intégrer à la vie sociale afin de neutraliser les comportements antisociaux de déni et de fuite.

A l’inverse, les sociétés industrielles s’enracinent dans la croyance en une relation nécessaire entre le progrès technologique, le bonheur et l’élimination de la mort. Et leur expansion a provoqué la disparition des codes culturels qui accompagnaient chaque événement marquant de l'existence quotidienne (faire sa cour, mettre au monde, mourir, consoler les endeuillés). Cette déculturation, en particulier, a dépossédé les individus de leur "mourir" et favorisé l’expulsion sociale de la mort, conduisant à l’instrumentalisation industrielle des comportements de déni et de fuite : à leur transformation en besoin insatiable de se protéger de la vie par la multiplication de prothèses technologiques et, finalement, par le projet de fusionner avec ces prothèses.

Borges, dans sa nouvelle Les Immortels (1962), remarquait pourtant qu’"Être immortel est insignifiant ; à part l’homme, il n’est rien qui ne le soit, puisque tout ignore la mort." La tragédie de la mort est le socle irréductible de la condition humaine, sur la base duquel les humains ont créé la multitude de leurs cultures, qui sont autant de sens donné à leur finitude, autant de bonheurs à la dimension de l’homme.

Ce qu’il faut vaincre n’est donc pas la mort, mais les comportements de fuite devant la mort, parce que c’est cela qui mène l’humanité à sa perte. Reconnaître la mort, son influence sur la vie, est le seul moyen de lutter contre l’infection des comportements par la conscience de la mort. Une telle lutte nous ramène au sens authentique de la démocratie : la participation de chacun, à l’égal de tous en tant que mortel, à l’institution de règles sociales, comme expérience jamais assurée de l’autolimitation collective de la démesure (individuelle et sociale).

Seule une renaissance démocratique permettrait aux humains, plutôt que de fantasmer la colonisation de Mars, de renouer avec la Terre comme source irremplaçable de leur vie. Car ce n’est pas elle qui nous appartient, mais nous qui lui appartenons.