Ce mois passé à
Paris (…) fut un mois de griserie pour l’âme. Non seulement
j’étais grisé, mais tous l’étaient : les uns de peur
folle, les autres de folle extase, d’espoirs insensés. Je me
levais à cinq ou quatre heures du matin, je me couchais à deux
heures, restant sur pied toute la journée, allant à toutes les
assemblées, réunions, clubs, cortèges, promenades ou
démonstrations ; en un mot, j’aspirais par tous mes sens et
par tous mes pores l’ivresse de l’atmosphère révolutionnaire.
C’était une fête sans
commencement et sans fin ; je voyais tout le monde et je ne
voyais personne, car chaque individu se perdait dans la même foule
innombrable et errante ; je parlais à tout le monde sans me
rappeler ni mes paroles ni celles des autres, car l’attention était
absorbée à chaque pas par des événements et des objets nouveaux,
par des nouvelles inattendues. (…) Il semblait que l’univers
entier fût renversé ; l’incroyable était devenu habituel,
l’impossible possible, et le possible et l’habituel insensés.
Jules Vallès, L’Insurgé
(Jacques Vingtras, III).