(...) Ce
régime est le plus régressif que l’on ait connu depuis les débuts
de la Ve République, et le plus désinhibé :
il conduit sa politique de déconstruction du modèle social français
de la manière la plus violente. Presque avec ostentation. Cette
caractéristique renvoie à un trait qui est sans doute celui
d’Emmanuel Macron, mais qui plus largement a contaminé la haute
fonction publique du ministère des finances : l’adoration,
quasi fétichiste, pour les chiffres – les 3 % de déficit
public, les 60 % d’endettement public… – qui ne sont,
après tout, que des conventions ; et la détestation de la
question sociale, sinon le mépris de classe… De ce trait un
tantinet méprisant, on trouve d’innombrables indices. D’abord,
les sorties d’Emmanuel Macron – tantôt des gaffes, tantôt du
mépris assumé – qui donnent à comprendre ce qu’il pense des
plus modestes : de ces ouvrières de chez Gad qui sont « pour
beaucoup des illettrées » ; de ces ouvriers de Lunel,
dans l’Hérault, qui n’ont pas compris que « la
meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler » ;
de ces « gens qui ne sont rien », que l’on
croise dans les gares, à côté des « gens qui
réussissent » ; de ces « fainéants »
auxquels il ne veut rien céder, pas plus qu’aux « cyniques »
ou aux « extrêmes » ; ou encore de ceux qui
préfèrent « aller foutre le bordel » plutôt que
« d’aller regarder s’ils ne peuvent pas avoir des
postes ». Autant de formules qui, d'un bout à l'autre du
pays, à tous les ronds-points occupés par des « gilets
jaunes », n'ont évidemment pas été oubliées…(...)
*
(...) Mais
l’on y verra surtout le retour de ce qu’on pourrait appeler « la
situation La Boétie », celle que le pouvoir s’efforce de
nous faire oublier constamment, et d’ailleurs que nous oublions
constamment, tant elle semble un incompréhensible mystère :
ils sont très peu et règnent sur nous qui sommes nombreux. Il
arrive cependant que le voile se déchire et que fasse retour la
cruelle réalité arithmétique du pouvoir. Et c’est bien cet aveu
touchant de candeur qu’a consenti samedi soir le sous-ministre de
l’intérieur, en reconnaissant qu’il ne pouvait guère engager
davantage de troupe à Paris quand toute la carte de France clignote
et demande de la garnison. Un manager de la startup nation trouverait
sans doute à dire que le dispositif est « stressé ». Le
« stress du dispositif », c’est le retour de La Boétie.
Nous sommes les plus nombreux. Nous sommes même beaucoup
plus nombreux qu’eux. C’est d’autant plus vrai que le plein est
loin d’avoir été fait et qu’il y a encore une belle marge de
progression. Tout ça se vérifiera bientôt : lycéens,
étudiants, ambulanciers, agriculteurs, tant d’autres.
Mais
alors quoi ? L’armée ? L’adolescent désaxé qui est à
l’Élysée en est très capable : n’utilise-t-il pas contre
sa population des grenades qui sont des armes de guerre, et n’a-t-il
pas fait placer des snipers avec fusils à lunettes au sommet de
quelques bâtiments parisiens, image des plus impressionnantes,
étonnamment offerte par Le Monde qui est peut-être en train
de se demander lui aussi s’il n’est pas temps de lâcher son
encombrant protégé dans un virage ? (...)
*