Par là, la phrase de Vinteuil avait [...] épousé
notre condition mortelle, pris quelque chose d’humain qui était
assez touchant. Son sort était lié à l’avenir, à la réalité
de notre âme dont elle était un des ornements les plus
particuliers, les mieux différenciés. Peut-être est-ce le néant
qui est le vrai et tout notre rêve est-il inexistant, mais alors
nous sentons qu’il faudra que ces phrases musicales, ces notions
qui existent par rapport à lui, ne soient rien non plus. Nous
périrons mais nous avons pour otages ces captives divines qui
suivront notre chance. Et la mort avec elles a quelque chose de moins
amer, de moins inglorieux, peut-être de moins probable.
Marcel Proust, Un amour de Swann