Je me
lance dans le jour aveuglant. Je marche à pas de loup pour ne pas
effaroucher cette paix reconquise, ce pays de clémence unanime où
je ne pénètre encore qu'en intrus. A quoi bon tant de prudence ? La
voie est libre, cette terre m'accueille à bras ouverts. Les
bûcherons des Arpents, s'ils chantent lointainement entre leurs
coups de cognée, c'est pour me saluer : eux n'ont pas quitté leur
besogne, n'ont pas rompu leurs attaches, pas trahi.
J'avance
avec précaution, comme sur un immatériel fil d'équilibriste. Notre
maison – je l'aperçois de loin – est intacte. Les noirs
bombardiers n'y ont pas touché parce qu'elle s'élève en un espace
que les bombes n'atteignent et n'atteindront jamais. Mon coeur bat à
éclater, mais il ne peut éclater, même de joie : que signifie la
mort, ici ? Je passe la murette du jardin, me dissimule sous les
groseillers.
Germaine
coud, en chantant, devant la fenêtre grande ouverte de la salle à
manger. Seule. Paisible. Patiente. Le menuisier perpétuel continue à
planter ses clous, au village. Germaine lève la tête, regarde
dehors comme si elle attendait quelqu'un ou quelque chose, mais sans
grand souci.
Son
visage désespérément poursuivi sur d'autres femmes, en d'autres
femmes, je l'ai devant moi. Inimitablement vrai, aussi véridique que
mes douze ans ressuscités. Alors, je n'y tiens plus, je cours vers
la fenêtre.
Maimaine
!
Sans
hâte, elle pose son ouvrage, file dans l'entrée, ouvre la porte qui
donne sur le jardin. La voici sur le seuil, les bras tendus,
radieuse.
Mais
il y a encore entre nous une distance incommensurable d'après nos
mètres, une durée que n'évaluent pas nos horloges.
Sa
voix se répercute sous des voutes orphiques.
Oh
! Steve, tu en as mis un temps pour revenir de la pèche !...
André
Hardellet, Lourdes, lentes...