Place
Denfert-Rochereau, l’air est toujours calme. Il règne, dans ses
alentours, une torpeur suave qui saisit le promeneur dérivant dans
ce quartier. La nuit y connaît une immobilité à laquelle j’ai
toujours été sensible. Cette absence de mouvement, si opposée aux
courants qui parcourent les quais de la Seine, possède une douceur
qui favorise chez moi, par une alchimie qui ne se livre pas
immédiatement, des souvenirs très mélancoliques. L’aimant qui
génère ce ralentissement de l’air est situé sous la place, dans
des galeries creusées dans le calcaire.
Catacombes...
Je ne saurais continuer à écrire ainsi sans évoquer le choc que
causa ma première descente. Ma vision de l’amour, déjà hantée
par la perte, se voyait renforcé par ces empilements de crânes. En
cheminant dans ce labyrinthe, je me laissais troubler par ces vies
disparues. Galopades au petit matin, calculs de taverne, angle de
salon, émoi sous les feuillages, pavés des ruelles, sables des
quais, chandelles, plumes, la faim au coin de la rue du Pot de Fer,
lèvres pressées contre d’autres lèvres, dettes de jeu, espoir
placé dans un vieil oncle… il ne restait plus de ce peuple là
qu’un silence orné de craie mouillée.
Je suis hanté par ce lieu
dont l’immobilité ne cesse de vibrer à chaque fois que je touche
une peau. Pour moi, l’amour ne saurait se passer de ce parfum de
craie.