J'écoutais à toutes ses portes, heureux de celles qui s'ouvraient, heureux de celles qui restaient closes. Aurore ou nuit venue, elle me devint, corps et âme, une forêt. Sans fin, je m'y aventure à pas légers, refermant derrière moi les buissons que j'entrouvre.
David Bosc, Sang
lié
Je vivais un temps de loup.
L'année m'avait laissé épuisé, sans réserve, l'âme sèche. Une
accumulation de défaites, de douleurs idiotes. Un gâchis qui me
hantait. Je maintenais le corps. Je survivais. Un fil amer parcourant
les jours. A l'été, je rejoignis ma famille dans le Quercy. Nous y
possédons une maison depuis trois générations dans laquelle mes
soeurs et moi avons passé toutes nos vacances.
Je réussis à éloigner
certaines tristesses. Le tourbillon des voix, les rires, les
préoccupations autres que les miennes, une nourriture roborative me
requinquèrent. Le vin de Cahors soignait le plus vif de mes
blessures. Je me confiais à l'éclat de son berceau. La nuit, je
dormais à nouveau. Je fis des marches précipitées sur le Causse.
Il me fallait expulser certaines noirceurs. Je revenais à la maison,
la poitrine à moitié libérée.
Un matin, je partis seul en
direction du Nord-Ouest, cheminant un moment sur le haut d'une
colline avant de descendre dans un vallon encaissé, ancien lieu de
culte cadurque que l'église avait récupéré en y bâtissant une
chapelle. Là, au milieu des arbres, coule un torrent né sur les
premières marches de l'Auvergne. J'ai mes habitudes au pied d'une
cascade.
Ce jour là, le temps orageux
avait libéré le sentier qui menait à l'oratoire. Je marchais au
milieu des châtaigniers sans croiser un seul promeneur. Je
retrouvais la cascade comme un soc bénéfique.
Je m'assis sur une des grosses
pierres grises aux aplats de mousse qui l'entourent. Au dessus de ma
tête, dominant la cascade, un chêne était là depuis ma première
baignade. Je me déchaussais, relevais mes bas de pantalons et
descendais dans le torrent pour y mouiller mon visage. Je bus un peu
d'eau pour retrouver le goût de mica et de fer qu'elle laisse sur la
langue. Je regardais l'enchevêtrement de troncs, de fougères et de
feuilles qui m'entourait, les roches humides perçant la terre du
bois sur les pentes du vallon. Je revins sur la rive et savourais le
contact de mes pieds sur la roche parsemée de feuilles.
L'été précédent j'avais
passé une après-midi ici avec V. Ce temps ne reviendrait plus. Je
regardais l'eau. L'amertume filait dans les rebonds et, peu à peu,
le lieu m'accueillait. Un dictame d'eau, de roche et d'écorce. Le
présent me redevenait possible.
Je me réjouis du gris sombre
de l'orage s'accumulant au-dessus de ma tête. Je me sentais dans un
panier onirique. Le pays, immobile, écoutait. Les parfums de
pierre mouillée et de l'humus se mirent à changer
imperceptiblement. L'orage était imminent. Je posais mes paumes sur
le rocher. Il y eut plusieurs coups de tonnerre au-dessus des arbres.
Dans le feuillage, une branche se mit à trembler doucement.
La pluie vint, d'abord sous
forme de gouttes clairsemées, puis plus drue, constellant la surface
du torrent de minuscules éclats d'argent. L'une tomba sur mon avant
bras, une autre sur le rocher, une autre encore fit sursauter la
branche d'un châtaigner devant moi. Je me levais et mis le chapeau
de toile que je conservais toujours dans ma poche avant de m'appuyer
contre le tronc du chêne. C'était une de pluie d'été brève et
forte. J'étais à l'abri.
Le soleil vint jouer avec les
feuilles constellées d'eau puis disparût. Je sentais l'écorce
contre mon épaule. Relevant le visage, je laissais des gouttes
ruisseler sur mon visage et mes mains. Je me demandais alors : "
Pleures-tu ? Me bénis-tu ? Suis-je lavé à
nouveau de mes cendres ?" La pluie cessa et un ciel rapide se
mit à courir au-dessus des arbres. J'enlevais mon chapeau et
descendais à nouveau sur le rocher. J'eu ma réponse.
A mes pieds, sur un carré de
mousse fluorescent, je découvris une minuscule feuille de châtaigner
d'un brun très pâle ; y était enchâssé un éclat de mica de la
taille d'un ongle d'enfant. Le hasard, une fée, avaient constitué
ce bijou. La beauté m'absorbait sur son coussin de mousse. Après un
temps que je ne saurais dire, je pris l'écrin pour le poser au
centre de ma paume. Dans le creux de solitude du bois, je souris, les
yeux emplis de larmes. J'étais baigné de merveille. Sauvé.