mardi 26 janvier 2016

L'éclat


J'écoutais à toutes ses portes, heureux de celles qui s'ouvraient, heureux de celles qui restaient closes. Aurore ou nuit venue, elle me devint, corps et âme, une forêt. Sans fin, je m'y aventure à pas légers, refermant derrière moi les buissons que j'entrouvre.
David Bosc, Sang lié


Je vivais un temps de loup. L'année m'avait laissé épuisé, sans réserve, l'âme sèche. Une accumulation de défaites, de douleurs idiotes. Un gâchis qui me hantait. Je maintenais le corps. Je survivais. Un fil amer parcourant les jours. A l'été, je rejoignis ma famille dans le Quercy. Nous y possédons une maison depuis trois générations dans laquelle mes soeurs et moi avons passé toutes nos vacances.
Je réussis à éloigner certaines tristesses. Le tourbillon des voix, les rires, les préoccupations autres que les miennes, une nourriture roborative me requinquèrent. Le vin de Cahors soignait le plus vif de mes blessures. Je me confiais à l'éclat de son berceau. La nuit, je dormais à nouveau. Je fis des marches précipitées sur le Causse. Il me fallait expulser certaines noirceurs. Je revenais à la maison, la poitrine à moitié libérée.
Un matin, je partis seul en direction du Nord-Ouest, cheminant un moment sur le haut d'une colline avant de descendre dans un vallon encaissé, ancien lieu de culte cadurque que l'église avait récupéré en y bâtissant une chapelle. Là, au milieu des arbres, coule un torrent né sur les premières marches de l'Auvergne. J'ai mes habitudes au pied d'une cascade.
Ce jour là, le temps orageux avait libéré le sentier qui menait à l'oratoire. Je marchais au milieu des châtaigniers sans croiser un seul promeneur. Je retrouvais la cascade comme un soc bénéfique.
Je m'assis sur une des grosses pierres grises aux aplats de mousse qui l'entourent. Au dessus de ma tête, dominant la cascade, un chêne était là depuis ma première baignade. Je me déchaussais, relevais mes bas de pantalons et descendais dans le torrent pour y mouiller mon visage. Je bus un peu d'eau pour retrouver le goût de mica et de fer qu'elle laisse sur la langue. Je regardais l'enchevêtrement de troncs, de fougères et de feuilles qui m'entourait, les roches humides perçant la terre du bois sur les pentes du vallon. Je revins sur la rive et savourais le contact de mes pieds sur la roche parsemée de feuilles.
L'été précédent j'avais passé une après-midi ici avec V. Ce temps ne reviendrait plus. Je regardais l'eau. L'amertume filait dans les rebonds et, peu à peu, le lieu m'accueillait. Un dictame d'eau, de roche et d'écorce. Le présent me redevenait possible.
Je me réjouis du gris sombre de l'orage s'accumulant au-dessus de ma tête. Je me sentais dans un panier onirique. Le pays, immobile, écoutait. Les parfums de pierre mouillée et de l'humus se mirent à changer imperceptiblement. L'orage était imminent. Je posais mes paumes sur le rocher. Il y eut plusieurs coups de tonnerre au-dessus des arbres. Dans le feuillage, une branche se mit à trembler doucement.
La pluie vint, d'abord sous forme de gouttes clairsemées, puis plus drue, constellant la surface du torrent de minuscules éclats d'argent. L'une tomba sur mon avant bras, une autre sur le rocher, une autre encore fit sursauter la branche d'un châtaigner devant moi. Je me levais et mis le chapeau de toile que je conservais toujours dans ma poche avant de m'appuyer contre le tronc du chêne. C'était une de pluie d'été brève et forte. J'étais à l'abri.
Le soleil vint jouer avec les feuilles constellées d'eau puis disparût. Je sentais l'écorce contre mon épaule. Relevant le visage, je laissais des gouttes ruisseler sur mon visage et mes mains. Je me demandais alors : " Pleures-tu ? Me bénis-tu ? Suis-je lavé à nouveau de mes cendres ?" La pluie cessa et un ciel rapide se mit à courir au-dessus des arbres. J'enlevais mon chapeau et descendais à nouveau sur le rocher. J'eu ma réponse.
A mes pieds, sur un carré de mousse fluorescent, je découvris une minuscule feuille de châtaigner d'un brun très pâle ; y était enchâssé un éclat de mica de la taille d'un ongle d'enfant. Le hasard, une fée, avaient constitué ce bijou. La beauté m'absorbait sur son coussin de mousse. Après un temps que je ne saurais dire, je pris l'écrin pour le poser au centre de ma paume. Dans le creux de solitude du bois, je souris, les yeux emplis de larmes. J'étais baigné de merveille. Sauvé.