Je dis que l'homme qui est capable,
grâce à son intelligence, de sentir tout le poids de la tyrannie,
mais se trouve en même temps incapable, par son propre manque de
force et par l'absence de celles d'autrui, d'en secouer le joug, cet
homme doit avant tout se tenir loin du tyran et de ses satellites, de
ses infâmes honneurs, de ses charges iniques, de ses vices,
mensonges et corruptions, de ses terres, des murs qui l'entourent et
même de l'air qu'il respire. Il faut que cet homme, dans un austère
et complet éloignement, qui ne sera jamais exagéré, recherche
moins sa propre sécurité que l'estime de lui-même et la pureté de
sa réputation ; l'une et l'autre étant toujours plus ou moins
contaminées quand on approche, d'une manière quelconque, de
l'atmosphère pestilentielle des cours.
[Il doit] penser, pour se soulager, et
pour retrouver dans le juste orgueil de celui qui pense une
compensation à l'humiliation de celui qui sert ; parler aux quelques
individus qui se révèlent bons et qui sont dignes de connaître la
vérité ; écrire enfin, d'abord pour se libérer soi-même, mais
lorsque les écrits ont une certaine élévation, savoir tout
sacrifier à la louable gloire d'être vraiment utile à tous.
Vittorio Alfieri, De la tyrannie.