"Tous les aixois sont des culs à côté de moi.", écrivait Cézanne à son fils le 15 octobre 1906. Il rendait bien à ses concitoyens le mépris que ceux-ci lui ont toujours porté avant qu'il n'accède à la célébrité. Son jugement ne changerait sans doute pas d'un iota aujourd'hui au regard de l'absence de réaction de ce riche peuple de boutiquiers, de mastroquets, de rentiers et de cadres aisés1 face au saccage des collines avoisinant la montagne qu'il aura célébré : la Sainte-Victoire.
Depuis 2020, en effet, vingt-deux éoliennes de 125 mètres de haut polluent les crêtes de la Colle Pelade et de la Carraine, deux collines encore ensauvagées situées sur les communes d'Ollières et d'Artigues, à dix kilomètres du célèbre massif. Ces verrues en fibre de verre, dont chaque pied est fait de 1500 tonnes de béton, ont été acheminées depuis les usines chinoises de Tianjin puis installées sur ces collines... en toute illégalité.
En effet, le tribunal administratif de Toulon, en février 2020, puis la cour d'appel administrative de Marseille, en mars 2021, avaient confirmé la caducité de l'autorisation environnementale et ordonné l'arrêt des travaux2. Ceux-ci ont néanmoins été poursuivis par l'entreprise Eco Delat, filiale de la holding Suisse JC Mont Fort, sur le principe bien connu des margoulins : "J'y suis, j'y reste !". Comme devait le constater Alain Bruguier, de l'association Vent de colère : "Une fois les éoliennes implantées, il est quasi impossible d'obtenir leur démolition3".
Plus de 25000 m² de forêt ont été ainsi défrichés, et l'on sait déjà le genre de nuisances que leur présence cause, non seulement à la faune de l'endroit mais aussi, plus simplement, à la beauté de ces lieux, une valeur qui ne semble pas entrer dans les calculs de rentabilité d'Eco Delat. Ce coup de force, bien dans la tradition de l'entreprenariat énergétique, a réussi. Il faut dire qu'hormis une pétition en ligne, signée entre autre par Stéphane Bern, et l'opposition d'une quinzaine d'associations, il n'y avait pas grand monde pour s'opposer à cette pollution.
De leur côté, les élus de l'endroit ne semblent guère vouloir s'opposer à ce coup de force, à l'image du maire d'Ollières, Arnaud Fauquet Lemaître qui a déclaré : "On aurait pu trouver un autre endroit pour les implanter, mais maintenant qu'elle sont là, on ne va pas épuiser la commune dans un combat d'arrière garde4."
Quant à l'absence de réaction des aixois à ce saccage, elle s'explique aisément : les éoliennes ont été implantées à 10 kilomètres de la Sainte Victoire, sur un versant qui ne dénature pas directement ce paysage devenu rentable après que Cézanne l'eut peint et devienne, très directement, générateur de devises et de célébrité pour la cité aux mille fontaines.
Cette stratégie d'industrialisation de la campagne se retrouve partout en France, et ailleurs, dès que retentit l'inévitable couplet sur la "transition énergétique". Elle illustre de quelle façon pouvoirs publics et entreprises privées conçoivent la "valorisation du territoire" : avec la transformation de lieux encore préservés en parcs de loisirs pour le tourisme, on prévoit un nouvel avenir pour ces coins de campagne où le cadre supérieur ne se promène pas : devenir le revers honteux de ce que la smart city connectée qu'est Aix-en-Provence ne veut pas voir, le lieu où notre organisation sociale assouvit son démentiel besoin d'énergie en souillant et détruisant ce qui l'entoure.
Quelques amis du vent
1 Données INSEE, décembre 2017.
2 Article L425-14 du code de l'urbanisme : "Lorsque le projet est soumis à autorisation environnementale, le permis ne peut être mis en oeuvre avant la délivrance de l'autorisation environnementale."
3 Eoliennes de Sainte-Victoire : vers un précédent irréversible ?, Patrimoine, Architecture, Jardin, 06/06/2020.
4 En Provence, un parc éoliens près de la montagne Sainte-Victoire divise, Géo/AFP, 24/04/2021