vendredi 22 juin 2018

Ce qui n'a pas de prix


On ne dira jamais assez combien la lecture des textes d’Annie Le Brun illumine les quelques moments que nous réussissons à sauver des griffes de ces temps désolants. Sa lucidité ne se dépare jamais de l’éclair surréaliste – ce qui a été vécu une fois ne s’oublie pas – qui fait des ténèbres les plus hostiles une couleur d’où peut jaillir l’espoir. 
 
Dans ce qui n’a pas de prix, Annie Le Brun nous décrit cet enlaidissement du monde que nous connaissons bien. Laideur fomentée par la collusion entre riches et artistes se réclamant du contemporain à travers un « Art des vainqueur », entreprise de neutralisation visant à installer une domination sans réplique et à camoufler la course d'un monde allant à sa perte. 
 
« De même que le régime soviétique visait à façonner les sensibilités à travers l’art réaliste socialiste, il semble que le néo-libéralisme en ait trouvé l’équivalent dans un certain art contemporain (Koons, Hirst, Kapoor et autre Cattelan, ndlr) dont toute l’énergie passe à instaurer le règne de ce que j’appellerais le réalisme globaliste. À cette différence près que, pour exercer cette emprise mondiale, nul besoin de s’en remettre à des représentations édifiantes émanant d’une idéologie précise. Car il ne s’agit plus d’imposer une conception de la vie plus qu’une autre mais essentiellement des processus ou des dispositifs en parfaite concordance avec ceux de la financiarisation du monde. Et si la terreur du totalitarisme idéologique est ici remplacée par les séductions du totalitarisme marchand, la spécificité du réalisme globaliste est de nous convier à notre propre dressage ».

Un peu de Marx avant de partir récupérer ses forces de travail


En quoi consiste l’aliénation du travail ?... Dans son travail, l’ouvrier ne s’affirme pas mais se nie ; il ne s’y sent pas à l’aise, mais malheureux ; il n’y déploie pas une libre activité physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. En conséquence, l’ouvrier se sent auprès de soi-même seulement en dehors du travail ; dans le travail, il se sent extérieur à soi-même. Il est lui-même quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il ne se sent pas dans son propre élément. Son travail n’est pas volontaire, mais contraint, travail forcé. Il n’est donc pas la satisfaction d’un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail ? Le caractère étranger du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu’il n’existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste. 
 
Karl Marx, Ecrits de jeunesse