La mécanique des
peaux n’est pas difficile à enclencher. C’est un système de
poulies souples et de vertèbres huilées qu’alimente un feu qui
semble inépuisable. Il y eut une succession d’hôtels, de chemin
creux, de parkings souterrains, d’arrière-salles de café, de
studio empruntés, des lieux d’une neutralité un peu pétrifiante
mais qui, par la grâce de notre passion, se muaient en un décor qui
offrait mille attendrissements.
L’usure vint
lentement. Bégaiements, battements plus nombreux des paupières et
cette sensation, mon amour, que mon sang se raréfie à force de me
brûler les veines. La fatigue vint moins des histoires que nous
devions inventer pour justifier nos absences, de ces comédies du
désir qu’il lui fallut jouer devant son mari, de ce cortège de
justifications à usage interne que nous dûmes dresser entre notre
sentiment et le quotidien, que de notre volonté d’incandescence.
Non, ce qui finit par gripper fut moins ce manège que ce qu’exigeait
notre passion. Isolés l’un de l’autre, une fois que les
étiquettes reprenaient leurs droits, nous n’étions plus que les
sujets interchangeables d’une société qui ne tient guère à
l’individualité. La culture ? Nos métiers ? Nos
lectures ? Nos amis ? Pauvres hobbys, pâles journées où tout
se répète. Rien ne nous distinguait des autres piétons de ce globe
que l'intensité de notre brûlure. J’étais incomplet, vague écho
sur cette planète et me voilà rassasié, empli par ta voix, par
cette façon que tu as de me regarder.
Sans doute avions-nous parié au-delà de nos réserves car, à
déployer de telles couleurs, à brandir tant d’oriflammes, nous
nous obligeâmes à un héroïsme auquel Anaelle ne s’était jamais
préparé. A ses yeux, notre passion était plus grande que
nous-mêmes.