Glané sur le site de Ballast, cet impeccable entretien avec Eric Vuillard, auteur, entre autres choses, de 14 juillet et de La guerre des pauvres.
"La littérature porte en elle un désir secret, indécent, le désir de dire ce qu’on devrait taire. La célèbre sentence de Wittgenstein [« Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde », ndlr] est peut-être valable lorsque l’on trace les limites formelles du sens, même si j’en doute, mais elle ne vaut pas un kopeck en littérature. C’est justement ce dont on a du mal à parler qu’il faut écrire, comme le notait espièglement Derrida. Saint-Simon écrivait à propos du roi : « Louis XIV ne fut regretté que de ses valets » ; Zola écrivait : « Le sujet de Nana est celui-ci : Toute une société se ruant sur le cul. » Il s’agit d’écrire ce qui est tu, ce qui est dissimulé, la vie réelle des classes supérieures, de mettre à nue leur médiocrité morale, l’hypocrisie de leurs pratiques sexuelles, leur dissipation éhontée et leur politique avaricieuse.
C’est une expérience commune qui nous jette un beau jour dans le monde : on assiste alors pour la première fois à une réunion de travail, à un groupe de réflexion, à un colloque, à un dîner mondain, on se trouve plongé dans un milieu professionnel, l’université, le palais de justice ou une agence immobilière, peu importe, et là, que découvre-t-on ? On y découvre les effets délétères de la hiérarchie sociale, qui n’entraîne pas toujours les plus désintéressés ni les plus finauds au sommet de son édifice. Il est même probable que la simple ascension sociale soit un facteur aggravant, qu’elle entraîne toutes sortes de troubles — que ceux que l’on désigne méchamment du nom de « parvenus » se trouvent en réalité au premier stade d’une maladie très longue, qu’on attrape au fur et à mesure de sa promotion, de son avancement, mal des montagnes, surestimation de soi, mépris pour les autres, aveuglement."
L'intégralité de l'entretien se trouve ici.
La littérature porte en elle un désir secret, indécent, le désir de dire ce qu’on devrait taire. La célèbre sentence de Wittgenstein [« Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde », ndlr] est peut-être valable lorsque l’on trace les limites formelles du sens, même si j’en doute, mais elle ne vaut pas un kopeck en littérature. C’est justement ce dont on a du mal à parler qu’il faut écrire, comme le notait espièglement Derrida. Saint-Simon écrivait à propos du roi : « Louis XIV ne fut regretté que de ses valets » ; Zola écrivait : « Le sujet de Nana est celui-ci : Toute une société se ruant sur le cul. » Il s’agit d’écrire ce qui est tu, ce qui est dissimulé, la vie réelle des classes supérieures, de mettre à nue leur médiocrité morale, l’hypocrisie de leurs pratiques sexuelles, leur dissipation éhontée et leur politique avaricieuse.
« Ne doit-on pas enfoncer le clou, creuser inlassablement, analyser et caractériser toujours plus précisément le dispositif central du pouvoir ? »
C’est une expérience commune qui nous jette un beau jour dans le monde : on assiste alors pour la première fois à une réunion de travail, à un groupe de réflexion, à un colloque, à un diner mondain, on se trouve plongé dans un milieu professionnel, l’université, le palais de justice ou une agence immobilière, peu importe, et là, que découvre-t-on ? On y découvre les effets délétères de la hiérarchie sociale, qui n’entraîne pas toujours les plus désintéressés ni les plus finauds au sommet de son édifice. Il est même probable que la simple ascension sociale soit un facteur aggravant, qu’elle entraîne toutes sortes de troubles — que ceux que l’on désigne méchamment du nom de « parvenus » se trouvent en réalité au premier stade d’une maladie très longue, qu’on attrape au fur et à mesure de sa promotion, de son avancement, mal des montagnes, surestimation de soi, mépris pour les autres, aveuglement
La littérature porte en elle un désir secret, indécent, le désir de dire ce qu’on devrait taire. La célèbre sentence de Wittgenstein [« Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde », ndlr] est peut-être valable lorsque l’on trace les limites formelles du sens, même si j’en doute, mais elle ne vaut pas un kopeck en littérature. C’est justement ce dont on a du mal à parler qu’il faut écrire, comme le notait espièglement Derrida. Saint-Simon écrivait à propos du roi : « Louis XIV ne fut regretté que de ses valets » ; Zola écrivait : « Le sujet de Nana est celui-ci : Toute une société se ruant sur le cul. » Il s’agit d’écrire ce qui est tu, ce qui est dissimulé, la vie réelle des classes supérieures, de mettre à nue leur médiocrité morale, l’hypocrisie de leurs pratiques sexuelles, leur dissipation éhontée et leur politique avaricieuse.
« Ne doit-on pas enfoncer le clou, creuser inlassablement, analyser et caractériser toujours plus précisément le dispositif central du pouvoir ? »
C’est une expérience commune qui nous jette un beau jour dans le monde : on assiste alors pour la première fois à une réunion de travail, à un groupe de réflexion, à un colloque, à un diner mondain, on se trouve plongé dans un milieu professionnel, l’université, le palais de justice ou une agence immobilière, peu importe, et là, que découvre-t-on ? On y découvre les effets délétères de la hiérarchie sociale, qui n’entraîne pas toujours les plus désintéressés ni les plus finauds au sommet de son édifice. Il est même probable que la simple ascension sociale soit un facteur aggravant, qu’elle entraîne toutes sortes de troubles — que ceux que l’on désigne méchamment du nom de « parvenus » se trouvent en réalité au premier stade d’une maladie très longue, qu’on attrape au fur et à mesure de sa promotion, de son avancement, mal des montagnes, surestimation de soi, mépris pour les autres, aveuglement