J'écoute une des
dernières « radios libres » du coin. Il n'y a pas de
publicité et, en dehors de ce qui est dit sur ses ondes, et qui, par
sa charge critique la place résolument en dehors de ce que l'on
entend sur les radios privées et d'état, deux choses me frappent à
son écoute.
La première : le rythme
des émissions adopte une marche qui n'est jamais précipitée.
L'enchaînement des séquences, et tout particulièrement des
chansons, se fait avec une certaine indolence et il y a toujours
quelques secondes de silence entre l'annonce d'une chanson et sa
diffusion. Ce « blanc » là serait, non seulement
considéré comme une hérésie, voire une faute professionnelle sur
une radio périphérique ou nationale, mais serait aussi perçu
désagréablement par les auditeurs à la façon d'une panne
technique ou comme « quelque chose qui ne va pas ». Sur
ma « radio libre », ce blanc là m'apparait comme une
respiration bienvenue dans l'existence sans temps morts qu'est la vie
contemporaine. Ainsi, lorsque l'animateur annonce Out fort the
week-end et que j'entends ces quelques secondes de silence puis
le bruit du diamant se poser maladroitement sur le micro-sillon avant
que la voix de Neil Young ne résonne dans mes oreilles, cela
m'apparait alors comme tout aussi revendicatif et critique de l'état
actuel des choses que les propos des animateurs.
Seconde impression :
la satisfaction que j'éprouve à entendre le ton des animateurs de
cette radio. C'est le ton d'une conversation entre égaux, le
discours d'un individu qui appuie son discours sur aucune autre
autorité que lui-même, au risque, bénéfique, d'être contredit.
On est loin de la parole de l'expert, du journaliste, du politicien,
de l'intellectuel médiatique ou de l'animateur professionnel. Ici,
ce ton possède la chaleur de la parole humaine. Parfois maladroite,
souvent mal assurée (certains « heu » sont les virgules
du doute), elle laisse la possibilité à l'auditeur de la nier, de
la critiquer, voire de s'en défier si ce n'est de l'apprécier pour
ce qu'elle est : la parole de quelqu'un qui en sait, à peine,
plus que vous. Tout le contraire des intervenants professionnels à
l'efficacité si quotidienne dont l'exemple le plus caricatural est
le ton péremptoire, et les accentuations parfois comiques, des journalistes économiques qui semblent, même quand il s'agit de dire
littéralement n'importe quoi, toujours absolument concernés et
informés. Un ton qui fonctionne surtout comme une manière
d'auto-vérification permanente de leur importance. Et vient toujours,
à l'écouter, l'idée qu'ils doivent immanquablement causer ainsi à leurs
proches lorsqu'ils demandent le sel.
Je pense alors, pour
finir, à cet extrait du livre de Pierre Eyguesier, Psychanalyse
négative, qui traite de ce ton là : […] la langue est
imprégnée, à un très haut degré dont elle n'est pas consciente
elle-même, par le monde de la technique, de l'efficacité, de la
rationalité et de la prévisibilité. J'aurais pu aussi citer Marthe
Robert, qui la première s'est inquiétée de la rigidité du ton, de
cette façon qu'ont les hommes et les femmes qui parlent au poste, de
télé ou de radio, d'adopter tous la même musique, d'insister par
exemple sur certains mots soi-disant plus significatifs pour le
message, mais dont l'effet sur les têtes qui les écoutent est
proprement débilitant (si on fait sentir sur quel mot je dois faire
porter mon attention, c'est parce que je ne suis pas en mesure d'en
décider seul, donc je suis débile). »