Celles et ceux qui seront allés voir Joker, le film de Todd Phillips, auront sans doute remarqué l'étonnant parallèle de cette oeuvre avec l'air du temps.
Loin de la paille à foin des productions Marvel, ce sombre brûlot étonne par sa radicalité (il était amusant de constater le désarroi de jeunes spectateurs, venus voir ici l'étalage habituel de super pouvoirs, face à un film que ne renierait pas un Ken Loach).
Ainsi, "Kill the richs" n'est pas l'un des moindres slogans que l'on trouve écrits sur les murs de cette ville ravagée par un capitalisme qui sabre tout et tous, crédits publics comme hommes de la rue, créant par son mépris des pauvres et son avidité nihiliste le malheur, la catastrophe et une immense colère.
On comprends mieux, comme l'explique Guillaume Basquin dans son article consacré au film, les réactions outrées (apeurées ?) de nos médiatiques de garde :
"Du côté de France Culture (dans l’émission "Signes des temps"), on demandait : « Qui est Joker ? Un “Involuntary Celibate”
misogyne qui fantasme sur des femmes racisées ? Un pauvre, habitant
d’un quartier pauvre, et qui va se révolter contre les riches ? »
Depuis quand une femme noire est une femme « racisée » ? Descendu à ce
niveau-là, la très belle possibilité d’amour pour notre Joker (qui a
beaucoup plus à voir avec un clown – forcément triste – qu’avec le
personnage éponyme de la série Batman) devient du caviar (de
l’infini, comme disait Céline) donné à des caniches (une certaine
« critique »)… L’émission grand public « Le Masque et la Plume », sur
France Inter, a réussi à descendre encore plus bas : « Il n’y a pas de scénario, c’est le nihilisme pour les imbéciles. » Que le « film le plus anticapitaliste jamais produit depuis des années » (Jacques Mandelbaum dans Le Monde, qui a bien rehaussé le débat, merci à lui) puisse être traité de « nihilisme pour les imbéciles » ne laisse pas d’étonner…
Les Gilets jaunes
– car il s’agit bien de cela, dans la dernière et très inquiétante
scène du film où tout Times Square est mis à sac par des gens révoltés
et masqués (d’un masque de clown, il faut le souligner) – feraient-ils
peur à ce point à nos « élites » de Sciences Po ? Pour les disqualifier,
on fait dévier le vrai débat, les qualifiant ici d’« antisémites », là
de « misogynes ». Ah bon ? mais où ont-ils vu cela ? Le Joker du film
est un être totalement innocent dans un monde complètement coupable, comme tous les héros hitchcockiens".
L'Amérique pourrait-elle encore nous surprendre ?