Dans La Fausse conscience (1962),
Joseph Gabel, le premier, analyse d'un point de vue clinique et
politique le processus de schizophrénisation de la vie quotidienne.
A partir de son observation d'enfants spatialisant les évènements
de leur vie sans jamais les inscrire dans une temporalité, il en
vient à définir le mode de vie spectaculaire comme extérieur au
temps chronologique et à l'histoire, comme une reproduction à
l'identique du même instant non vécu.
Dans Manuel de survie (1974),
le théoricien et poète italien Giorgio Cesarano remarque que le
caractère profondément nihiliste du capitalisme contemporain le
pousse à organiser un vaste ensemble de communautés thérapeutiques
où toutes les quêtes identitaires, religieuses et culturelles sont
instrumentalisées et participent à la guerre de tous contre tous.
Dans La Vie innommable (1993), Michel Bounan rend évident le lien
qui unit la souffrance psychique contemporaine et l'appauvrissement
du langage : l'incapacité à comprendre son monde induit une
incapacité à nommer son mal.
Ces trois constats définissent les termes d'une
psychopathologie de la non-vie quotidienne, entretenue et préméditée
par le pouvoir spectaculaire. Par une vraie stratégie de
déréalisation, ce pouvoir généralise les tendances paranoïaques
et schizophréniques des population sous son contrôle et génère
de nouvelles pathologies qui sont le résultat direct de la
confusion, entretenue et préméditée, entre le réel et
l'imaginaire, la vérité et le mensonge. Qu'elle soit cachée et
honteuse, visible et revendiquée, la maladie mentale se développe
partout comme la forme nouvelle du lien social. Elle est le signe
maladif d'une crise de la représentation et préfigure une violente
crise de civilisation.
Jordi Vidal, Traité du combat moderne,
Films et fictions de Stanley Kubrick