Hormis sa King Kong théorie, que nous avions trouvé stimulante, nous n'avons pas lu les productions de Virginie Despentes. Néanmoins, nous avons trouvé intéressant le point de vue développé dans sa tribune publiée dans le Libération du 1er mars dernier.
"Je vais commencer comme ça : soyez rassurés, les puissants, les boss,
les chefs, les gros bonnets : ça fait mal. On a beau le savoir, on a
beau vous connaître, on a beau l’avoir pris des dizaines de fois votre
gros pouvoir en travers de la gueule, ça fait toujours aussi mal. Tout
ce week-end à vous écouter geindre et chialer, vous plaindre de ce qu’on
vous oblige à passer vos lois à coups de 49.3 et qu’on ne vous laisse
pas célébrer Polanski tranquilles et que ça vous gâche la fête mais
derrière vos jérémiades, ne vous en faites pas : on vous entend jouir de
ce que vous êtes les vrais patrons, les gros caïds, et le message passe
cinq sur cinq : cette notion de consentement, vous ne comptez pas la
laisser passer. Où serait le fun d’appartenir au clan des puissants s’il
fallait tenir compte du consentement des dominés ? Et je ne suis
certainement pas la seule à avoir envie de chialer de rage et
d’impuissance depuis votre belle démonstration de force, certainement
pas la seule à me sentir salie par le spectacle de votre orgie
d’impunité.
Il n’y a rien de surprenant à ce que l’académie des césars élise
Roman Polanski meilleur réalisateur de l’année 2020. C’est grotesque,
c’est insultant, c’est ignoble, mais ce n’est pas surprenant. Quand tu
confies un budget de plus de 25 millions à un mec pour faire un
téléfilm, le message est dans le budget. Si la lutte contre la montée de
l’antisémitisme intéressait le cinéma français, ça se verrait. Par
contre, la voix des opprimés qui prennent en charge le récit de leur
calvaire, on a compris que ça vous soûlait. Alors quand vous avez
entendu parler de cette subtile comparaison entre la problématique d’un
cinéaste chahuté par une centaine de féministes devant trois salles de
cinéma et Dreyfus, victime de l’antisémitisme français de la fin du
siècle dernier, vous avez sauté sur l’occasion. Vingt-cinq millions pour
ce parallèle. Superbe. On applaudit les investisseurs, puisque pour
rassembler un tel budget il a fallu que tout le monde joue le jeu :
Gaumont Distribution, les crédits d’impôts, France 2, France 3, OCS,
Canal +, la RAI… la main à la poche, et généreux, pour une fois. Vous
serrez les rangs, vous défendez l’un des vôtres. Les plus puissants
entendent défendre leurs prérogatives : ça fait partie de votre
élégance, le viol est même ce qui fonde votre style. La loi vous couvre,
les tribunaux sont votre domaine, les médias vous appartiennent. Et
c’est exactement à cela que ça sert, la puissance de vos grosses
fortunes : avoir le contrôle des corps déclarés subalternes. Les corps
qui se taisent, qui ne racontent pas l’histoire de leur point de vue. Le
temps est venu pour les plus riches de faire passer ce beau message :
le respect qu’on leur doit s’étendra désormais jusqu’à leurs bites
tachées du sang et de la merde des enfants qu’ils violent. Que ça soit à
l’Assemblée nationale ou dans la culture - marre de se cacher, de
simuler la gêne. Vous exigez le respect entier et constant. Ça vaut pour
le viol, ça vaut pour les exactions de votre police, ça vaut pour les
césars, ça vaut pour votre réforme des retraites. C’est votre politique :
exiger le silence des victimes. Ça fait partie du territoire, et s’il
faut nous transmettre le message par la terreur vous ne voyez pas où est
le problème. Votre jouissance morbide, avant tout. Et vous ne tolérez
autour de vous que les valets les plus dociles. Il n’y a rien de
surprenant à ce que vous ayez couronné Polanski : c’est toujours
l’argent qu’on célèbre, dans ces cérémonies, le cinéma on s’en fout. Le
public on s’en fout. C’est votre propre puissance de frappe monétaire
que vous venez aduler. C’est le gros budget que vous lui avez octroyé en
signe de soutien que vous saluez - à travers lui c’est votre puissance
qu’on doit respecter."