Pourquoi lire Elfriede Jelinek dont la prose corrosive ne laisse rien surnager, hormis quelques débris hébétés, de nos envies de bonheur ? Comment faire confiance à une femme qui déclare qu'elle ne peut concevoir les relations sexuelles - dans le sens large du terme - entre hommes et femmes autrement qu'à l'image du système hégélien de maître à serviteur. "Et cette répartition des pouvoirs, insiste t-elle, s'est installée jusque dans les relations privées entre individus. C'est souvent de cette manière que je les ai décrites, à la grande joie de mes concitoyens. Ça m'a naturellement rendue, vous l'imaginez, très populaire...". L'époque ne suffit elle donc pas à charrier son lot d'abominations, de culs de sac en enfilade, d'horizons définitivement occultés par le règne délétère du retour sur investissement ?
A quoi bon lire Lust, Avidité, Les enfants des morts ou La pianiste ? S'infliger ainsi les récits d'êtres détruits autant que destructeurs, le filage minutieux des petites et grandes saloperies de nos sociétés bourgeoises ? Pourquoi ne pas se détendre avec les produits calibrés que nous offre, chaque mois, les businessmen de l'édition ou visionner, le devoir salarial accompli, un bon feelgood movie ? Pourquoi réduire le peu de réserve d'optimisme que nous abandonne ce monde en lisant ce démontage pierre à pierre de toutes nos illusions ? Serions-nous masochistes ? Voire.
Contre toute attente, ce froid jeu de massacre se révèle un creuset d'humour et de comique qui, à l'usage – et nous en avons usé – produit un effet aussi salvateur que revigorant sur nos esprits (bien malmenés ces temps-ci). Ah certes, Elfriede Jelinek est de la race des artificiers : elle sait manier sans crainte la bile et l'acide, au contraire de beaucoup d'entre nous. Il faut donc ouvrir ses livres en étant certain de vouloir se colleter au réel et abandonner toute envie de déni. Les soleils noirs se regardent toujours de face.