lundi 21 mars 2016

Carte de loin (1)

 

L. le 19 mars 2016. 

Il y a cette gémellité, magie immédiate qu'il est difficile de dissiper, image trompeuse car les soeurs, sous certains aspects, ne se ressemblent pas du tout. 

Il faut creuser un peu, s'attarder chez elles, comme je l'ai fait, pour cerner leurs contours et découvrir que Karine a en elle une noirceur qui, de l'avis même de ses intimes, détonne : pour elle, le verre, à moitié vide, est empli d'une eau saumâtre. Lorsque je la regarde, je ressens, avec un plaisir frissonnant, le souffle des hauteurs abandonnées – c'est un automatisme poétique : le visage de Karine évoque un sommet que j'ai escaladé, quelques années auparavant, au plus désolé des alpes provençales. À trois milles mètres d'altitude, sur ce vaste crane de pierre dénudée où le vent sciait les yeux, j'avais goûté le plus vif de cette solitude et éprouvé l'absence de toute présence divine, la preuve de l'irrémédiable solitude de l'homme. J'avais éprouvé cette ascension comme un avertissement : la désolation ne s'offre qu'aux athées conséquents. 

A mes yeux, Karine traîne avec elle un monde aux enveloppements ténébreux où les événements fonctionnent à l'instar de pieuvres aux yeux de soie. C'est un univers fait de velours dangereux, de ciels tourmentés, d'espoirs battus en brèche, tout un barnum d'effets atmosphériques qui donne à sa présence la beauté d'une entrée de tempête. 

Quant à Lucile, c'est évident : elle est le lendemain de cette tempête, le signe que tout déchainement aspire au nirvana et que les gouttes d'eau qui perlent aux aiguilles des pins peuvent transcender leur état de fouet pour accéder à celui de perles. Lucile n'est pas seulement douce, elle sourit avec précaution, déposant sur les êtres et les choses un or qui rassérène. J'adore sa façon de saisir les choses avec une curiosité qui hésite entre l'émerveillement et un clin d'oeil à la « vous-m'avez-compris ».