L. le 19 mars 2016.
Il y a cette gémellité, magie immédiate qu'il est
difficile de dissiper, image trompeuse car les soeurs, sous certains
aspects, ne se ressemblent pas du tout.
Il faut creuser un peu,
s'attarder chez elles, comme je l'ai fait, pour cerner leurs contours et
découvrir que Karine a en elle une noirceur qui, de l'avis même de
ses intimes, détonne : pour elle, le verre, à moitié vide,
est empli d'une eau saumâtre. Lorsque je la regarde, je ressens,
avec un plaisir frissonnant, le souffle des hauteurs abandonnées –
c'est un automatisme poétique : le visage de Karine évoque un
sommet que j'ai escaladé, quelques années auparavant, au plus
désolé des alpes provençales. À trois milles mètres d'altitude,
sur ce vaste crane de pierre dénudée où le vent sciait les yeux, j'avais goûté le plus vif de cette solitude et éprouvé l'absence
de toute présence divine, la preuve de l'irrémédiable solitude de
l'homme. J'avais éprouvé cette ascension comme un avertissement :
la désolation ne s'offre qu'aux athées conséquents.
A mes yeux, Karine traîne avec elle un monde aux enveloppements ténébreux
où les événements fonctionnent à l'instar de pieuvres aux yeux de
soie. C'est un univers fait de velours dangereux, de ciels
tourmentés, d'espoirs battus en brèche, tout un barnum d'effets
atmosphériques qui donne à sa présence la beauté d'une entrée de
tempête.
Quant à Lucile, c'est évident : elle est le
lendemain de cette tempête, le signe que tout déchainement aspire
au nirvana et que les gouttes d'eau qui perlent aux aiguilles des
pins peuvent transcender leur état de fouet pour accéder à celui
de perles. Lucile n'est pas seulement douce, elle sourit avec
précaution, déposant sur les êtres et les choses un or qui
rassérène. J'adore sa façon de saisir les choses avec une
curiosité qui hésite entre l'émerveillement et un clin d'oeil à
la « vous-m'avez-compris ».