M., le 13 avril 2016.
Après la courbe, le chemin de
terre se fait plus large. J'arrive bientôt en vue du village qui
s'annoncera entre deux bouquets de châtaigniers. Avec le printemps,
le paysage s'offre des teintes juteuses qui me vont droit à l'âme.
Il n'est plus très loin de sept heures car j'entends l'angélus
sonné par la petite église de M. J'ai bien marché, ma jambe gauche
me tire un peu. La pensée de l'âge venant, je me souviens de
crépuscules semblables où les filles jouaient avec nous dans le
soleil couchant alors que tout se poudrait d'or, de la pointe des
arbres à l'appel de nos mères pour le dîner. La nuit venue, les
étoiles filaient nos songes à la façon d'une couverture et au
matin, le ciel offrait un bol de mystères qu'il importait peu de
résoudre car nous nous échappions bien vite pour la journée. Au
pied des fermes, les chiens endormis reflétaient la paix de nos
âmes. Dans les bois, escortés de fougères, nos baisers ne
poussaient pas à grandir. Le désir était un étonnement. Le temps
avait la courbe d'un sein.