vendredi 11 septembre 2015

L'eau et la craie


Place Denfert-Rochereau, l’air est toujours calme. Il règne, dans ses alentours, une torpeur suave qui saisit le promeneur dérivant dans ce quartier. La nuit y connaît une immobilité à laquelle j’ai toujours été sensible. Cette absence de mouvement, si opposée aux courants qui parcourent les quais de la Seine, possède une douceur qui favorise chez moi, par une alchimie qui ne se livre pas immédiatement, des souvenirs très mélancoliques. L’aimant qui génère ce ralentissement de l’air est situé sous la place, dans des galeries creusées dans le calcaire. 
 
Catacombes... Je ne saurais continuer à écrire ainsi sans évoquer le choc que causa ma première descente. Ma vision de l’amour, déjà hantée par la perte, se voyait renforcé par ces empilements de crânes. En cheminant dans ce labyrinthe, je me laissais troubler par ces vies disparues. Galopades au petit matin, calculs de taverne, angle de salon, émoi sous les feuillages, pavés des ruelles, sables des quais, chandelles, plumes, la faim au coin de la rue du Pot de Fer, lèvres pressées contre d’autres lèvres, dettes de jeu, espoir placé dans un vieil oncle… il ne restait plus de ce peuple là qu’un silence orné de craie mouillée. 

Je suis hanté par ce lieu dont l’immobilité ne cesse de vibrer à chaque fois que je touche une peau. Pour moi, l’amour ne saurait se passer de ce parfum de craie.