La mer gelée qui est en nous
Dans
ses « Notes noires » de janvier 1995, Jean-Patrick
Manchette cite la lettre de Kafka à son ami Oskar Pollak :
« Il
me semble d’ailleurs qu’on ne devrait lire que les livres qui
vous mordent et vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous
réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le
lire ? Pour qu’il nous rende heureux, comme tu l’écris ?
Mon Dieu, nous serions tout aussi heureux si nous n’avions pas de
livre, et des livres qui nous rendent heureux, nous pourrions à la
rigueur en écrire nous-mêmes. En revanche nous avons besoin de
livres qui agissent sur nous comme un malheur dont nous souffririons
beaucoup, comme la mort de quelqu’un que nous aimerions plus que
nous-mêmes, comme si nous étions proscrits, condamné à vivre
dans des forêts loin de tous les hommes, comme un suicide - un
livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. Voilà ce
que je crois. »- Plus
loin, Manchette remarque très justement ceci : « Quelqu’un
qui lutte aussi ardemment contre ce qu’il y a de pire manie sans
doute « la hache qui brise la mer gelée en nous », mais
c’est beau, et la beauté rend heureux, ceux du moins qui ne
s’imaginent pas que le bonheur, c’est le confort. »
-