Il y a quelques mois, quand je rentrais du travail, je posais ma
veste sur la chaise et, après avoir bu un verre d'eau, j'allais
m'asseoir devant mon potager pour fumer la pipe.
La vision de ce carré de terre meuble m'apaisait après ma journée
à l'usine. Je me nourrissais plus proprement. En bêchant, je
continuais à faire de l'exercice.
J'admirais l'alignement de mes tomates - j'avais appris à distinguer
les Saint-Pierre, aux formes simples, des cœur de bœuf, plus
contournées. Les haricots s'étoilaient sur les tuteurs, les salades
semblaient éclore à la façon des roses et la progression en
rhizome des topinambours était signalée par leur tiges émergentes
dont les feuilles m'ont toujours évoqué des orties.
Tirant sur ma pipe, j'aimais repérer les mauvaises herbes qu'il me
faudrait enlever, travail simple et utile après une journée passée
à m'ennuyer.
A genoux dans la glaise, le ciel me paraissait plus grand. La plaine
sur laquelle était bâtie ma maison m'offrait un horizon paisible
d'où ne surgissaient que des nuages. Je connaissais ces fantômes
silencieux. Un soir de désœuvrement, j'avais appris leurs noms dans
une encyclopédie.
Les cumulus, perchés dans le ciel à la façon d'un décor, me
donnaient l'impression d'une journée d'été anglais. Les
cumulonimbus, superbes et altiers, annonçaient des pluies violentes
qu'il ne me déplaisait pas de voir s'abattre sur le jardin. Plus
banals, les stratocumulus n'en étaient pas moins appréciés les
jours de grand soleil : leurs formes étiolées faisaient comme
des parasols au-dessus de la maison.
Souvent, Sylvie venait me rejoindre. A la tombée du jour, nous
installions deux chaises devant les sillons. Une bière étrangère
accompagnait ma pipe et sa cigarette. Nous évoquions les petits
faits de la journée avant de parler de ce que nous ferions le
lendemain.
J'éprouvais un grand plaisir à voir son profil se découper devant
ce carré luxuriant. Il faisait bon, et son parfum se mêlait parfois
aux senteurs des tomates. Notre chat en profitait pour venir se
rouler sous les tuteurs avec un air de contentement qui nous faisait
rire. Au bout d'un moment, lorsqu'il se relevait et nous regardait en
miaulant, il était l'heure de rentrer souper.
work in progress
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