dimanche 3 janvier 2016

C’est contre ça que nous perdons


Quatre mois après notre séparation, nous nous sommes croisés dans une rue du centre ville et, après quelques minutes d’une discussion rendue surréaliste par l’hésitation, sommes allés prendre un verre dans l’arrière salle d’un bistrot situé non loin de la cathédrale. Les vieilles sensations revinrent en un clin d’œil, vives, soudaines, au point de gommer ces quatre mois en un baiser.
Comme tous les anciens amants, nous nous sommes remémoré nos étreintes, cette sève qui ne veut pas disparaître, avant de nous disputer gentiment sur les raisons de notre séparation. Comme les anciens amants, nous ne nous sommes pas menti car le territoire que nous parcourions à présent n’avait que faire de l’illusion. Comme les anciens amants, nous avons menti car nous savions que dans ce lieu étrange où les amours refusent de mourir, la douleur ne sert à rien. Comme les anciens amants, nous savions qu’il nous faudrait vivre avec cette blessure et que celle-ci, suivant le jour et l’angle projeté par l’ombre, nous grandirait ou nous réduirait à un ego secoué par des souvenirs. Sans doute était-ce là toute la sagesse dont nous avons été capables car, pour le reste, nous nous sommes embrassé à pleine bouche durant les trois heures que nous avons passé dans ce bistrot.
Nous sommes sortis au crépuscule. Une pluie fine recouvrait la ville d’une peau de truite. Il faisait bon. Je l’ai raccompagné jusqu’à sa voiture. J’ai constaté que la Renault avait été remplacée par un luxueux break noir de marque étrangère. Je n’ai fait aucune remarque et j’ai laissé Anaelle s’installer derrière le volant.
On s’est regardé une dernière fois en silence. Dans ses yeux, j’ai retrouvé ce que j’avais tant vu l’année où j’avais tenté de changer sa vie : de l’amour et une tristesse que minait déjà l'inquiétude. Je l’ai embrassée puis je me suis reculé pour la regarder. Le désir et la raison devaient être confiés au hasard, nous nous étions suffisamment brûlés pour le savoir.
Quand elle a glissé la clef dans le contact, le tableau de bord de la voiture s’est illuminé. Cela a été comme un éclair. Diodes vertes, écran de contrôle sophistiqué, GPS, compte-tours… J’ai eu l’impression de me trouver devant l’habitacle d’un avion de ligne. C’était le luxe, la technologie, la sécurité, le confort. C’est contre ça que j’ai perdu, j’ai pensé. C’est contre ça que nous perdons. Elle a refermé la portière et je suis parti.

5 commentaires:

nosconsolations a dit…

Imparable… Le break luxueux contre la promenade en dilettante.

Frédéric Schiffter a dit…

Contre les femmes, nous perdons toujours.

Le Promeneur a dit…

Et nos rares victoires ne sont qu'à la Pyrrhus, cher Frédéric.

Florence a dit…

Quelle généralisation étrange, si je me peux me permettre... Cet épisode poignant aurait pu avoir une conclusion inversée, qui aurait été tout aussi triste.

Le Promeneur a dit…

Sans doute, chère Florence. Mais ici, cette conclusion, hélas, s'zest imposée d'elle même.