lundi 14 septembre 2015

Suzanne Musard


Le prodige, madame, c’est qu’au rivage où vous nous faites jeter à demi-morts, nous gardons le souvenir émerveillé de notre désastre. Il n’y a plus d’oiseaux vivants, il n’y a plus de fleurs véritables. Chaque être couve la déception de se savoir unique. Même ce qui naît de lui ne lui appartient pas et, d’ailleurs, naît-il quelque chose de lui ? Est-ce qu’il sait ? Le prodige encore, c’est que l’engloutissement de toute cette splendeur soit une question de temps, disons presque d’âge, et qu’un jour nous puissions découvrir une épave sur le sable où nous sommes sûrs que la veille il n’y avait rien.
Je vous apporte la plus belle et peut-être la seule épave de mon naufrage. Dans ce coffret dont je n’ai pas la clef et que je vous livre dort l’idée désarmante de la présence et de l’absence dans l’amour.
André Breton