mercredi 18 décembre 2019
mercredi 11 décembre 2019
César sera toujours César, et toi, tu seras toujours David...
Cet extrait de César et Rosalie pour célébrer la diffusion, sur France Culture, d'une petite dramatique de l'amie Sophie Lemp sur Claude Sautet.
La nuit tombée, et les froidures revenues, on pourra donc se glisser dans son lit et cliquer ici pour entendre Ce que nous sommes, évocation romancée, et toute teintée d'hommage, de l'auteur de Max et les ferrailleurs, de Les choses de la vie ou de Vincent, François, Paul et les autres.
jeudi 5 décembre 2019
lundi 2 décembre 2019
André Breton, passe...
On trouvera une série de photomatons de la centrale surréaliste et de ses beaux satellites sur le site.
mercredi 27 novembre 2019
L'habituel saccage
Après la commune de Volx, les
habitants d’Ongles, petit village accroché aux flancs de la
montagne de Lure, ont appris, eux aussi, par le biais de la publication d’un
avis d’enquête publique, qu’un projet d’implantation de
panneaux solaires était à l’étude sur leur commune. L’habituel saccage de la
nature prévoit le défrichement de 12 hectares de forêt, au
lieu-dit la Seygne, pour que la société SolaireParcMP079, filiale
d’Engie, puisse y installer ses panneaux.
Les
écologistes fervents applaudiront ce projet qui, comme le précise
l’avis préfectoral, « vise à assurer la sécurité
énergétique du territoire, à réduire les émissions de gaz à
effet de serre, à participer au développement des énergies
renouvelables par la production d’électricité sans émissions
sonores, sans déchets et sans consommation d’eau ».
D’autres, plus sensibles aux conséquences du confort moderne,
peut-être aussi plus rétifs aux discours du green washing (l’autre nom
de la poursuite suicidaire vers notre extinction) ou simplement
lecteurs d’un Giono qui fit autre chose de cette terre vivante, se
mobiliseront pour empêcher cette stupidité.
Se précise ainsi, à travers l'implantation d'installations diverses (centrales photovoltaïques, éoliennes, usines de méthanisation, décharges nucléaires), le projet moderne d'aménagement du territoire français. Dans les campagnes "désertées", que ne peuplent plus que les vieux, les déclassés, les paysans et les pauvres, et où l'on supprime gares, hôpitaux, maternités, écoles et bureaux de poste, on installera ce que les métropoles (où il fait si bon vivre) ne veulent pas et qui est nécessaire à leur survie.
mercredi 20 novembre 2019
La mort pour tous et toutes
"De France Télécom à Lubrizol, en
passant par l’AP-HP, l’éducation nationale, la SNCF, La Poste, Lidl, et
finalement Anas, étudiant lyonnais, le capitalisme tue. En direct ou en
différé. Le plus souvent en différé, parfait moyen d’effacer les traces.
Ce qui fut jadis une obscure directive européenne ouvrant les services
publics à la concurrence deviendra dix ans plus tard un carnage à France
Télécom. Mais qui pour rétablir le lien des causes et des effets ? Qui, dans quinze ou vingt ans pour rapporter un supplément « inexplicable » de cancers rouennais à l’explosion d’une bombe chimique en pleine ville ? En réalité qui pour seulement se souvenir et en parler ?
Et qui pour mettre en relation le destin d’un étudiant poussé à bout de
désespoir avec les Grandes Orientations de Politique Economique ?
Ici l’imbécile régulier objecte que c’est tout mélanger. Lubrizol, France Télécom : privé ; AP-HP, éducation nationale, Crous : public, enfin !
Mais il y a belle lurette que plus rien ne rentre dans la tête de
l’imbécile régulier. Comment alors pourrait-il y entrer que le propre du
néolibéralisme c’est de mettre le public sous condition du privé,
d’organiser l’arraisonnement privé du public ?
D’un côté la surveillance des déficits et des dettes par le duo
Commission européenne / marchés de capitaux, de l’autre la baisse
forcenée des recettes fiscales pour faire ruisseler les riches (mais de
plaisir seulement) : l’ajustement se fera nécessairement par la colonne « dépenses ».
Ainsi l’on massacre les services publics au nom des Traités européens,
des investisseurs non-résidents, et des fortunes résidentes. Quand,
après tout de même 20 milliards de CICE et 3 milliards d’ISF, les
cinglés de Bercy s’opposent à ce que Macron lâche le moindre fifrelin
aux « gilets jaunes »
en décembre 2018, c’est pour la ligne budgétaire (sous surveillance de
la Commission et des marchés). Quand, ayant lâché malgré tout, Macron
fait rattraper le supplément de dépense par un supplément d’économie à charge de la Sécu !…,
c’est pour la ligne budgétaire (sous surveillance de la Commission et
des marchés). Les médecins et les personnels soignants, et puis les
enseignants, les facteurs, les forestiers de l’ONF, les pompiers, et
jusqu’aux usagers, comprennent donc maintenant que toute protestation
contre la paupérisation des services publics finira par un supplément de
paupérisation des services publics".
jeudi 7 novembre 2019
"Le film le plus anticapitaliste jamais produit depuis des années"
Celles et ceux qui seront allés voir Joker, le film de Todd Phillips, auront sans doute remarqué l'étonnant parallèle de cette oeuvre avec l'air du temps.
Loin de la paille à foin des productions Marvel, ce sombre brûlot étonne par sa radicalité (il était amusant de constater le désarroi de jeunes spectateurs, venus voir ici l'étalage habituel de super pouvoirs, face à un film que ne renierait pas un Ken Loach).
Ainsi, "Kill the richs" n'est pas l'un des moindres slogans que l'on trouve écrits sur les murs de cette ville ravagée par un capitalisme qui sabre tout et tous, crédits publics comme hommes de la rue, créant par son mépris des pauvres et son avidité nihiliste le malheur, la catastrophe et une immense colère.
On comprends mieux, comme l'explique Guillaume Basquin dans son article consacré au film, les réactions outrées (apeurées ?) de nos médiatiques de garde :
"Du côté de France Culture (dans l’émission "Signes des temps"), on demandait : « Qui est Joker ? Un “Involuntary Celibate”
misogyne qui fantasme sur des femmes racisées ? Un pauvre, habitant
d’un quartier pauvre, et qui va se révolter contre les riches ? »
Depuis quand une femme noire est une femme « racisée » ? Descendu à ce
niveau-là, la très belle possibilité d’amour pour notre Joker (qui a
beaucoup plus à voir avec un clown – forcément triste – qu’avec le
personnage éponyme de la série Batman) devient du caviar (de
l’infini, comme disait Céline) donné à des caniches (une certaine
« critique »)… L’émission grand public « Le Masque et la Plume », sur
France Inter, a réussi à descendre encore plus bas : « Il n’y a pas de scénario, c’est le nihilisme pour les imbéciles. » Que le « film le plus anticapitaliste jamais produit depuis des années » (Jacques Mandelbaum dans Le Monde, qui a bien rehaussé le débat, merci à lui) puisse être traité de « nihilisme pour les imbéciles » ne laisse pas d’étonner…
Les Gilets jaunes
– car il s’agit bien de cela, dans la dernière et très inquiétante
scène du film où tout Times Square est mis à sac par des gens révoltés
et masqués (d’un masque de clown, il faut le souligner) – feraient-ils
peur à ce point à nos « élites » de Sciences Po ? Pour les disqualifier,
on fait dévier le vrai débat, les qualifiant ici d’« antisémites », là
de « misogynes ». Ah bon ? mais où ont-ils vu cela ? Le Joker du film
est un être totalement innocent dans un monde complètement coupable, comme tous les héros hitchcockiens".
L'Amérique pourrait-elle encore nous surprendre ?
mercredi 30 octobre 2019
La réification
L’essence de la structure
marchande a déjà été souvent soulignée ; elle repose sur le
fait qu’un rapport, une relation entre personnes prend le caractère
d’une chose, et, de cette façon, d’une « objectivité
illusoire » qui, par son système de lois propre, rigoureux,
entièrement clos et rationnel en apparence, dissimule toute trace de
son essence fondamentale : la relation entre homme.
Georg Lukács, Histoire et
conscience de classe
lundi 21 octobre 2019
L'hôtel de la plage
Alors
que nous voilà sur le point de disparaître, sacrifiant la Nature et ce
qui fait société sur l’autel du retour sur investissement, des
philosophes, ou se proclamant tels, brodent de livres en blogs sur
leur désengagement. On les voit ainsi hausser le sourcil face au
militant, ce factotum des Grands soirs, ce piéton parfois lourdingue
des horizons programmés, ce sans grade sacrifiant le plus précieux
de lui même pour des causes qui, parfois, valaient la peine.
L’exercice
date des Trente glorieuses. La figure honnie du militant est née
chez les Situs. D’abord utile à dénoncer l’abrutissement
stalinien et ses rhizomes, elle fut vite récupérée par le système
comme un instrument utile de démobilisation. De savoir penser par
soi-même, hors de la ligne d’un parti, jusqu’à l’excellente
raison de ne plus faire grand-chose... le chemin fut vite accompli.
Et certains, à la façon d’un Oscar Wilde, auraient pu reprendre à
leur compte cette célèbre antienne : « Je suis pour le
socialisme, ce qui m’ennuie c’est les réunions le soir ».
Quant
à nos philosophes désengagés (Comte-Sponville, Schiffter, Ferry, Glucksmann, Rosset, Enthoven et alii), et visiblement accros à
l’après-shampoing, nous viennent ces paroles de Diogène : « A quoi peut bien nous servir un homme qui a
déjà mis tout son temps à philosopher sans jamais inquiéter
personne ? ».
jeudi 10 octobre 2019
L'évidence
Une entreprise qui créé des emplois
Comme le fait remarquer, fort justement, Frédéric Lordon dans son article du 7 octobre, "Détruire le capitalisme avant qu’il ne nous détruise (à propos de Lubrizol)" : " On se croyait en start-up
nation. On se retrouve à Tchernobyl. Qu’en un instant tout le
glamour de pacotille de la Station F et des écrans tactiles
s’écroule pour faire revenir d’un coup des images d’URSS
n’aura pas été le moindre des paradoxes de l’explosion
Lubrizol.
Il faut pourtant s’y rendre : des pompiers envoyés en toute méconnaissance de ce qui les attendait, avec pour tout équipement « spécial » de pauvres masques de bricolage pareils à ceux des manifestants, à piétiner des heures dans la sauce qui troue les bottes et leur promet des pieds comme des choux-fleurs — et tout ceci, parfaite ironie, alors que la série Chernobyl venait de remporter un succès de visionnage bien fait pour consolider la commisération réservée aux régimes soviétiques et le sentiment de supériorité capitaliste (au prix tout de même de devoir oublier que Tchernobyl était en sandwich entre Three Miles Island et Fukushima).
Il faut pourtant s’y rendre : des pompiers envoyés en toute méconnaissance de ce qui les attendait, avec pour tout équipement « spécial » de pauvres masques de bricolage pareils à ceux des manifestants, à piétiner des heures dans la sauce qui troue les bottes et leur promet des pieds comme des choux-fleurs — et tout ceci, parfaite ironie, alors que la série Chernobyl venait de remporter un succès de visionnage bien fait pour consolider la commisération réservée aux régimes soviétiques et le sentiment de supériorité capitaliste (au prix tout de même de devoir oublier que Tchernobyl était en sandwich entre Three Miles Island et Fukushima).
Emmanuel Macron, un président de StartUp nation
Mais plus encore que les bottes et les masques, il y a
le mensonge, le mensonge énorme, le mensonge partout, sans doute le
propre des institutions en général, mais la marque de fabrique de
ce gouvernement qui, en tous domaines, l’aura porté à des sommets
inouïs. Jusqu’au stade de la rodomontade obscène : si elle
avait été rouennaise, nous assure Sibeth Ndiaye, « elle
serait restée ». On croirait entendre un secrétaire régional
du PCUS d’Ukraine juste avant de fourrer d’urgence sa famille
dans un autocar — mais les images de CRS en masque à gaz pendant
que le préfet assurait de la parfaite normalité de la situation
avaient déjà tout dit.
Warren Buffet, un propriétaire heureux
Sibeth Ndiaye n’a pas eu à « rester »
puisqu’elle n’était pas là. Mais il n’est pas trop tard pour
un acte de bravoure rationnelle, et il est encore temps d’y aller !
On peut même l’aider : un « Pot commun » devrait
rassembler sans difficulté de quoi lui offrir une semaine dans un
Formule 1 des environs, avec vue sur le sinistre et cadeau de
bienvenue, une bouteille de Château Lapompe, directement tirée au
robinet, un peu grise sans doute mais assûrement goûteuse, en tout
cas certifiée potable par toutes les autorités. "
La suite est ici sur le site du Monde Diplomatique.
Isabelle Striga, une directrice générale et Laurent Bonvallet, un directeur de site.
La suite est ici sur le site du Monde Diplomatique.
Un homme d'entre deux
Une petite église de campagne vous remet d'aplomb. Pourvu qu'elle soit vide. Sans curé. Sans homme. J'en connais.
Georges Perros
mardi 8 octobre 2019
A Rouen, l'usine Lubrizol continue à distiller ses poisons. Le site Révolution permanente a interviewé un ancien employé de l'entreprise. Ses propos confirment toutes les craintes que l'on peut avoir sur cette catastrophe. Une fois encore, on y décèlera sans peine la logique d'Etat (et du Capital) qui a produit ce délétère enchaînement des causes.
Highwomen, of course
A écouter cette reprise du Fleetwood Mac par The Highwomen, on modifiera un tantinet son jugement sur la country, genre prétendument peuplé de bourrins consanguins étoilés à l'alcool de contrebande. The chain, ici bonnement exécuté, donne envie d'écouter plus avant ce quatuor de dames.
jeudi 3 octobre 2019
Il n'y a pas de fumée sans feu
L'homme
se dresse fièrement tout en haut de la pyramide du progrès
universel, et en posant dessus la clé de voûte de sa connaissance,
il a l'air d'apostropher la nature soumise alentour : « nous sommes
au but, nous sommes le but, nous sommes la nature achevée ». Européen superfier du dix-neuvième siècle, tu as la tête qui fume
! Ton savoir n'achève pas la nature, mais il tue la tienne.
Friedrich
Nietzsche, Considérations
inactuelles
mardi 1 octobre 2019
Préfecture
Dans un billet du 31 janvier 2018, nous avions évoqué la façon dont certaines préfectures sont autorisées à déroger aux
normes réglementaires concernant l’environnement, l’agriculture,
les forêts, l’aménagement du territoire et la politique de la
Ville, la construction de logements et l’urbanisme.
Nous citions alors le décret N° 2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif
à l’expérimentation territoriale d’un droit de dérogation
reconnu au préfet. Celui-ci visait à « évaluer, par la voie
d’une expérimentation conduite pendant deux ans, l’intérêt de
reconnaître au préfet la faculté de déroger à certaines
dispositions réglementaires pour un motif d’intérêt général et
à apprécier la pertinence de celles-ci. A cet effet, il autorise,
dans certaines matières, le représentant de l’Etat à prendre des
décisions dérogeant à la réglementation, afin de tenir compte des
circonstances locales et dans le but d’alléger les démarches
administratives, de réduire les délais de procédure ou de
favoriser l’accès aux aides publiques ».
En juin 2018, le gouvernement publiait un décret réduisant le périmètre des projets soumis à évaluation environnementale.
Parmi les installations concernées figuraient les installations "Seveso". Malgré leur dangerosité, l'exécutif décida de
soustraire les modifications de ces établissements à une évaluation
environnementale systématique pour les soumettre à une procédure
d'examen au cas par cas.
On apprendra ainsi que la préfecture de Seine Maritime, profitant de ces "assouplissements de la réglementation" autorisait, en début
d’année, une augmentation des capacités de stockage de produits dangereux de
l’usine Lubrizol de Rouen à l’origine de la catastrophe. L’article d’Acti environnement, dont nous avons repris certains éléments, explique ce sinistre enchainement des
causes...
Rouen, colère noire
Nous venons d’entendre le préfet de
Seine-Maritime déclarer que l’état de l’air à Rouen était
«habituel». C’est à se demander d’où il parle pour
ne pas sentir, selon la direction et la force du vent, selon les
quartiers, cet air irrespirable qui nous asphyxie, s’infiltre dans
nos poumons, nos maisons, nos bureaux, nos lieux de travail, irrite
nos gorges, nos yeux, nous provoque des migraines, nous fait parfois
vomir et nous réveille la nuit. Cette affirmation est insoutenable
car elle fait passer pour des hystériques ou des mystificateurs
ceux, nombreux, qui continuent de subir cette odeur suffocante dans
une atmosphère toujours saturée à l’heure où nous écrivons…
Des centaines de milliers de personnes à
Rouen et ses environs, légitimement inquiètes, se sentent méprisées
par la suite de communiqués qui prétendent que tout est sous
contrôle. «Dormez tranquilles braves gens, les relevés n’indiquent
rien d’anormal.» L’empressement avec lequel on cherche à nous
rassurer en oubliant les simples mots de compassion, de sollicitude
après ce traumatisme ! Et aujourd’hui on nous assure que tout
est normal. Comme dans la chanson de Fontaine et Areski. Si c’est
vraiment le cas, changez vos méthodes et vos outils de mesure, car
il y a un vrai problème.
Nos enfants respirent un air malsain,
insalubre depuis des jours. Certains de nos jardins sont noircis
d’hydrocarbures rendant les cultures de nos potagers impropres à
la consommation. Pour combien de temps ? Nous y trouvons des
morceaux d’amiante, des débris non identifiés, de fines
poussières jaune-vert. Nos maisons sont tachées de suie noirâtre.
Nous toussons, nous respirons mal. Les plus fragiles sont
hospitalisés. Quand nous le pouvons, nous fuyons pour chercher l’air
sain auquel tout citoyen devrait avoir droit.
Notre ville, dont l’embellissement
récent nous rendait heureux, et où nous aimons vivre, est souillée,
abîmée, noircie, «clairement polluée». Agnès Buzyn,
ministre de la solidarité et de la santé, venue faire ce constat de
l’évidence, nous dit : «Il faut se laver les mains, et
il faut nettoyer.» Est-ce cela le plan du gouvernement après
une catastrophe industrielle Seveso ? Se laver les mains et
nettoyer ? C’est à nous Rouennais et habitants de
l’agglomération de décontaminer notre ville ? Nos jardins ?
Nos champs ?
Vous n’avez rien d’autre à nous
dire ?
Expliquez-nous pourquoi nous ne savons
toujours pas de quoi est composé l’air que nous avons respiré
depuis jeudi matin ?
Expliquez-nous pourquoi, puisqu’il
existe sur le secteur de Lubrizol un Plan de prévention des risques
technologiques piloté par la Dreal Normandie et que ce type de plan
s’applique aux zones présentant des risques majeurs, comme c’est
évidemment le cas d’une usine classée Seveso, rien n’ait,
semble-t-il, été mis en œuvre en conséquence vis-à-vis des
populations dès le déclenchement de l’incendie ?
Expliquez-nous pourquoi, si tout est si
normal, des policiers travaillent avec des masques à gaz ?
Expliquez-nous comment il est possible
qu’un site Seveso puisse être recouvert d’amiante ?
Dites-nous quelles dispositions le
gouvernement va prendre pour organiser le suivi épidémiologique de
toute la population des villes touchées par ce nuage toxique de
22 kilomètres de long et 6 km de large ? S’il a
l’intention de le faire ?
Expliquez-nous comment une usine classée
Seveso seuil haut peut exister à 500 mètres d’un
centre-ville avec un bassin de population aussi important, en face
d’un futur écoquartier ?
Expliquez-nous pourquoi un arrêté
préfectoral suspend pour 112 communes collecte du lait, d’œufs,
de miel, livraison d’animaux, interdit les récoltes, mais nous,
habitants, aurions respiré un air qui ne serait pas particulièrement
dangereux ?
Que dites-vous aux agriculteurs, aux
éleveurs, aux maraîchers, aux apiculteurs ? Dont pour certains
l’activité économique est déjà en péril ? Que dites-vous
aux malades ? Aux femmes enceintes ?
Que dites-vous aux salariés de l’usine,
vivant souvent près du site, désormais au chômage technique,
également secoués par cette catastrophe ? Aucun mot n’a été
prononcé publiquement à leur égard.
Que dites-vous aux professionnels du
tourisme qui reçoivent des annulations en série ?
Que répondez-vous aux médecins qui
s’alarment de découvrir les taux affolants de plomb et autres
métaux lourds auxquels nous avons pu être exposés ?
Les conséquences immédiates et à
venir de ce désastre sont si nombreuses que nous ne pouvons pas
toutes les énumérer. Mais nous enrageons de recevoir si peu
d’égards, de soutien, et surtout d’informations claires. Sur ce
qui s’est passé et ce qui va se passer à l’avenir.
Par ailleurs, nous avons entendu le
président de Lubrizol, Frédéric Henry, dire que le secteur de
l’usine où l’incendie s’est déclenché était un lieu de
stockage, sans activité industrielle, et donc qu’il ne faisait pas
partie des secteurs du site où l’entreprise avait anticipé
d’éventuels accidents dans ses scénarios et exercices de crise.
Si nous avons bien compris son propos, il nous semble grave.
Nous, Rouennais, ou liés à
cette ville, habitants des villes environnantes, signataires de ce
texte demandons :
- La reconnaissance de l’état de
catastrophe technologique.
- Une refonte totale de la législation
concernant tous les sites Seveso sur le territoire français en
tenant compte de l’avis des premiers concernés : les
habitants. Car soyez bien certains que cette catastrophe se
reproduira. A Rouen, où nous vivons sur un baril de poudre, ou
ailleurs.
- Une réponse gouvernementale à la
hauteur de ce qui a eu lieu : une catastrophe majeure.
- Et enfin, que les dirigeants de
l’usine Lubrizol dont les prises de paroles depuis jeudi sont
affligeantes de lâcheté et de cynisme soient mis le plus vite
possible devant leurs responsabilités qui sont immenses.
vendredi 27 septembre 2019
Do androids dream of electric sheep ?
Dans leur dernière livraison, les camarades de Pièces & Main d'Oeuvre éclaircissent le buisson progressiste derrière lequel se cache la procréation médicalement assistée.
Parmi les différents exemples de l'artificialisation de la vie, et des effets de la technologie sur celle-ci, on notera que, "d’après
sociologues et gynécologues, les écrans éteignent la vie sexuelle.
Selon une étude de l’université de Cambridge, les couples anglais
ont 40% de rapports sexuels de moins en 2010 qu’en 1990. A ce
rythme, c’est fini en 2030. Aux Etats-Unis, les couples ont neuf
fois moins de rapports sexuels dans les années 2010 que vingt ans
avant, et les «Millenials»
(nés après 1990) sont les plus touchés. La plupart reconnaissent
consacrer plus de temps à leur smartphone qu’à leur partenaire.
On le savait depuis les années soixante, la natalité baisse avec
la télé. Avec Internet, le porno est à portée de vue permanente
des adolescents. Selon les spécialistes, cela en détourne
beaucoup de la sexualité avec des humains en chair et en os. L’
écran fait écran." Nulle doute qu'à ce régime là, nos éprouvettes ont un bel avenir.
vendredi 20 septembre 2019
L'âme menacée
Il
dit à Béata : aujourd'hui, j'aimerais vous parler d'un champ
qui ne demande qu'à être traversé. On peut s'y arrêter et poser
ses fesses sur une herbe que ponctuent des bouses de vaches. Il n'est
pas en pente, ni particulièrement plat. C'est un champ qui mène à
un autre champ un peu plus petit où l'on croise parfois des lièvres.
Un jour, j'y ai suivi un chevreuil quelques minutes avant qu'il ne
s'enfonce dans la nuit. C'est un champ qui vous offre un ciel de
derrière les fagots. Je ne sais pas à qui il appartient. J'y ai vu
paître des brebis et parfois des vaches. Depuis son centre, on peut
y voir une Auvergne crénelée de volcans. La barrière qui l'entoure
a été plantée il y a longtemps. Parfois, il m'arrive de passer mes
mains sur ses poteaux en me demandant quel âge j'avais quand il ont
été plantés. J'examine ces bouts de bois et j'opte pour l'année
de mes dix ans. A la fin de l'été, les vents font bruire les arbres
qui l'entourent. C'est le chant du champ, un truc qui me permet de le
quitter avec la certitude de le retrouver.
-
C'est un refuge ?, demande Béata.
-
Un lieu précaire.
-
Pourquoi ?
-
On veut y prospecter du gaz, y planter des éoliennes, y installer un
élevage hors-sol, une station bio-masse, un méthaniseur. C'est un
lieu précaire.
lundi 16 septembre 2019
Le Lot se méthanise
Cahors, Figeac, Rocamadour… Le Lot est beau, le Lot est vert, le Lot est campagnard, le Lot est touristique. On y trouve encore parfois, au détour d’un chemin, les traces d’anciennes civilités et les vestiges, toujours émouvants, de la civilisation paysanne. On s’y promène, on s’y baigne, on y visite ses grottes préhistoriques, on y travaille, on y vit. On y installe un méthaniseur industriel qui traitera 65 000 tonnes de déchets par an.
Construit à Gramat, dans le nord du Lot, cette usine traite des déchets importés de cinq départements alentours. Issus de restaurations collectives, d’élevages industriels, de laiteries, de stations d’épuration et d’abattoirs ces déchets contiennent des métaux lourds, des perturbateurs endocriniens, des germes, des pesticides, des produits chimiques, des médicaments ainsi que d'autres éléments minéraux et organiques très divers. Cerise sur le gâteau : un autre méthaniseur industriel sera construit également sur le causse de Martel à Mayrac : il traitera 20 000 tonnes de déchets de toutes sortes par an et épandra ses digestats sur le causse de Martel.
Il faut, en effet, savoir qu’avec ces déchets, les méthaniseurs de Gramat et Mayrac produiront du méthane et de l’électricité mais surtout un sous-produit : le digestat. Celui-ci est présenté par la société Bioquercy1, qui exploite l’usine, comme un « fertilisant » qui sera épandu sur 4000 hectares de causse au cœur du parc naturel des causses du Quercy et des 800 ha du causse de Martel.
Or, le digestat est non seulement un résidu fluide qui s’infiltre immédiatement dans les sols mais il se trouve que partiellement « hygiénisé », il peut charrier des germes pathogènes (kystes de parasites, Bacillus cereus et clostridies), des virus émergent et d'autres résidus d'antibiotiques.
La région calcaire des causses est un milieu particulièrement vulnérable, déjà victime des épandages du lisier des élevages industriels. Ceux-ci ont provoqué l’expansion extraordinaire de la végétation aquatique dans le lit de la Dordogne, du Célé et de leurs affluents ainsi que des pollutions d’eau potable enregistrées notamment à Cahors au printemps 2017.
En sus de l’odeur de merde que supportent les riverains de l’usine, de la mort étrange d’essaims d’abeilles sur les lieux où a été épandu ce digestat, il est plus que probable que son épandage souillera les eaux souterraines, les rivières et les adductions d’eau potable de ce coin de pays.
mercredi 11 septembre 2019
Ne vous effondrez pas n'importe comment
Glané sur l'excellent site Le marque page, ce commentaire de Robert
Spire, en réaction à l'article sur les différentes fortunes
éditoriales du concept de collapsologie (l'étude des catastrophes)
"Sur le sujet, dans son article (« La fin du monde n’aura pas lieu
» dans le Diplo du mois d’août), le journaliste Jean-Baptiste
Malet pose la question : « Catastrophisme éclairé ou grande peur
obscurantiste. » L’article se termine sur les propos d’un
chercheur écologiste américain, le professeur Jason W Moore : "Je
suis très inquiet de la capacité qu’à ce concept d’anthropocène
de renforcer cette vieille farce bourgeoise selon laquelle la
responsabilité des problèmes émanant du capitalisme reviendrait à
l’humanité tout entière. Nous sommes en train de vivre
l’effondrement du capitalisme. C’est la position la plus
optimiste que l’on puisse embrasser. Il ne faut pas craindre
l’effondrement. Il faut l’accepter. Ce n’est pas l’effondrement
des gens et des bâtiments, mais des relations de pouvoir qui ont
transformé les humains et le reste de la nature en objets mis au
travail gratuitement pour le capitalisme. » Vision moins
angoissante ? ?"
jeudi 11 juillet 2019
Le passage du Nord-Ouest
Partir par les chemins creux. Gagner le causse, siffler les milans et goûter, près des sources, à la délicatesse des fougères. Franchir les collines au milieu des hêtres, du schiste et des chataigniers. Au bout de la route, une fenêtre illuminée et les promesses du Malbec. Santé, simplicité. Le bonjour chez vous.
mercredi 26 juin 2019
Pasolini parle
Les
éditions Delga publient un recueil des entretiens donnés par
Pier Paolo Pasolini entre 1949 et 1975. Ce livre, fondamental dans l’approche et la
compréhension de la geste pasolinienne, constitue
un véritable traité de lucidité, d’honnêteté et de courage
intellectuel.
Il est aussi une des meilleures
introductions à Pasolini - la forme verbale offrant une clarté utile à celles et ceux qui ne connaissent pas le
poète et cinéaste italien.
Il est encore, pour les personnes déjà
rompues à la pensée de Pasolini, une somme précieuse, et souvent
inédite, qui confirme, s’il le fallait, la cohérence et l’extrême
articulation de celle-ci.
Une pensée ô combien
utile en ces temps où : "L’accumulation
des crimes des hommes au pouvoir unis dans l’abêtissement de
l’idéologie hédoniste du nouveau pouvoir, tend à rendre le pays
inerte, incapable de réactions et de réflexes, comme un corps
mort".
Enfin, en manière de présentation, on
trouvera là, un entretien donné par Aymeric Monville, responsable
de cette publication, et ici, une intervention filmée du
même, accompagné de Melinda Toen, bonne connaisseuse de l’oeuvre
de Pasolini.
vendredi 21 juin 2019
La nécrophobie des transhumanistes est mortifère
Cet entretien, glané sur Marianne, a
été donné à Kevin Boucaud-Victoire par l'ami Jacques Luzi, animateur
de la revue Ecologie & politique et auteur d'Au rendez-vous des
mortels : le déni de la mort dans la culture moderne de Descartes au
transhumanisme.
Marianne
: Comment définissez-vous le transhumanisme ? En quoi
représente-t-il un danger ?
Jacques
Luzi :
Le transhumanisme est une pensée libertarienne qui prône l’usage
dérégulé de la technologie [la rationalisation scientifique de la
technique] pour outrepasser les limites de la condition humaine :
abolir les frontières de la vie terrestre, étendre indéfiniment
des capacités corporelles et intellectuelles par la fusion de
l’humain et de la machine "intelligente", accéder à
l’immortalité.
Cette
pensée est née dans les années 1980 en Californie, avec la volonté
explicite d’affranchir le déploiement des nouvelles technologies
(nano, bio, IA) de tout encadrement, dénoncé comme l’expression
d’une "technophobie" obscurantiste.
À
présent, ce discours, bénéficiant de moyens financiers
gigantesques (émanant des GAFA), s’est internationalisé et a
pénétré l’ensemble des milieux politiques. En France, la
nébuleuse transhumaniste va de Mélenchon à Luc Ferry, en passant
par l’écologiste Didier Coeurnelle.
Les
dangers sont multiples : le traitement du vivant comme un
matériau inerte entièrement manipulable ; l’inscription des
inégalités dans les corps par la technologie, les « augmentés
» dominant les « naturels » ; l’extension du chantage à la
"technophobie" jusqu’à la mainmise totale d’une
prêtrise technocratique sur l’ensemble de l’existence. Etc.
Marianne : Le
transhumanisme est-il la conséquence du rationalisme et de la
croyance que l’homme peut se poser "comme
maitre et possesseur de la nature" (Descartes)
et que la science apporterait des solutions à tous nos problèmes ?
Jacques Luzi : Concrètement,
la technoscience sert aussi bien l’accroissement de la puissance
des États dominants, en compétition permanente dans la course
technologique préventive, que l’expansion du capitalisme
industriel, suspendue aux perfectionnements continus du machinisme,
de l’organisation scientifique du travail et de l’exploitation de
nouvelles ressources énergétiques.
Cette
synergie entre l’État, le capital et la technoscience a trouvé sa
justification dans la religion du Progrès qui promet, grâce aux
innovations technoscientifiques, l’amélioration indéfinie de la
condition humaine, c’est-à-dire l’élimination du travail, de la
souffrance, l’ultime défi étant "la mort de la mort".
Cet utilitarisme est déjà présent chez les fondateurs de la
technoscience, en particulier chez Descartes (qui justifie ainsi
l’ambition de se rendre "comme
maître et possesseur de la nature")
et Francis Bacon (qui considère que "la
science est puissance humaine").
On le retrouve chez les principaux théoriciens du Progrès, par
exemple chez Condorcet, pour qui le "perfectionnement
de l'espèce humaine doit être regardé comme susceptible d'un
progrès indéfini",
de sorte "qu'il
doit arriver un temps où […] la durée de l'intervalle moyen entre
la naissance et [la mort] n'a elle-même aucun terme assignable."
Le
transhumanisme réactive en effet ce type de discours, alors que
la révolution industrielle des NIBC alimente la poursuite de
la concurrence pour le profit et la puissance. Simultanément,
le transhumanisme conduit les principes de la technoscience (la
suprématie de l’entendement sur le corps, le dualisme de
l’humain et de la nature) jusqu’au fantasme de substituer
entièrement l’artificiel au vivant, des steaks de synthèse
aux bactéries méthanotropes, des OGM à l’homme "augmenté".
La
promesse d’immortalité des transhumanistes a donc
pour contrepartie la mort du vivant (donc de l’humain) : leur
nécrophobie est mortifère.
Marianne : En
quoi le transhumanisme est-il dépendant du système capitaliste ?
Jacques Luzi : La
technologie est la technique propre au capitalisme rationnel. Les
deux sont interdépendants. La technologie est le moteur du
productivisme et du consumérisme. Et le capitalisme permet le
financement des recherches et la mise en œuvre des innovations
technologiques. De cette interdépendance découle le "bougisme"
des sociétés industrielles, leur accélération permanente et leur
caractère autoréférentiel : parce que les progrès technologiques
et l’accumulation du capital se nourrissent mutuellement, ces
sociétés en viennent à considérer que les problèmes
(écologiques, sociaux, politiques) que provoque leur expansion ne
possède de solutions que dans la poursuite de ces progrès et de
cette accumulation, dans une boucle sans fin.
De
là le fait que leur destin est la démesure. Outrepasser les limites
de la condition humaine est l’ultime moyen de repousser les limites
de cette complémentarité dynamique entre la technoscience et le
capital. Aristote, déjà, dénonçait la chrématistique (l’activité
orientée vers le profit) comme antinaturelle parce que sans limite,
alors même qu’elle ne possédait pas alors les capacités
technologiques de cette illimitation. La chrématistique
transhumaniste, à l’opposé, assume le fanatisme antinaturel de
surpasser, grâce à la technologie, "la
dimension de l’homme"
(Hannah Arendt).
Marianne : La
"procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes"
est-elle un pas vers le transhumanisme, comme l'affirment certains ?
Jacques Luzi : Le
mot "transhumanisme" est de Sir Julian Huxley (1887-1975),
biologiste socialiste prônant un eugénisme de "gauche"
visant "l’amélioration
de la qualité moyenne des êtres humains."
La reproduction artificielle et le génie génétique s’inscrivent
indéniablement dans ce projet.
Derrière
la "liberté" de choix du consommateur et le débat sur
l’égalité d’accès aux technologies reproductives, derrière
les confusions entre pathologie et handicap, entre différence
naturelle et inégalité sociale, on trouve la volonté
techno-capitaliste de normaliser la marchandisation du vivant, quitte
à susciter en chacun, pour le monnayer, le désir de devenir le
contraire de ce qu’il est.
L’argent,
écrivait le jeune Marx en 1844, "est
la perversion générale des individualités, lesquelles sont
changées en leur contraire et se voient conférer des qualités qui
contredisent leurs qualités propres."
Qu’accomplit la technologie, si ce n’est l’extension illimitée
de ce "monde
à l’envers"
?
Le
choix fondamental, en particulier concernant la PMA, est donc le
suivant : ou bien conserver ou reconquérir son autonomie dans la
recherche de solutions humaines aux "imperfections" de ses
"qualités propres" ; ou bien s’aliéner aux technologies
et payer, quand on le peut, pour espérer les convertir en
"augmentations". À mon sens, le deuxième terme de
l’alternative conduira, d’une manière ou d’une autre, à la
mort de l’humain.
L’homme
augmenté et les intelligences artificielles risquent de demander
d’énormes ressources énergétiques et matières premières.
Finalement, la crise écologique ne risque-t-elle pas d’empêcher
d’elle-même les rêves transhumanistes ?
La
crise écologique traduit les limites physiques auxquelles se
heurtent les sociétés industrielles. Le développement durable, qui
est le dernier avatar de la religion du Progrès, perpétue le déni
de ces limites. À moins de considérer que ce développement est
indéfiniment durable (auquel cas "durable" est un
pléonasme), ne doit-on pas en effet se poser les questions suivantes
: à quel moment l’interrompre ? Pourquoi s’entêter à
poursuivre un processus dont l’abandon sera d’autant plus
problématique qu’il adviendra tardivement ?
La
vérité est qu’il n’y a pas de développement sans accumulation
et que cette accumulation est par principe illimitée. Poser la
question de la fin du développement signifie donc remettre en
question le sens et l’organisation des sociétés industrielles,
leurs rapports à elles-mêmes, aux Autres et à la nature.
C’est
cette remise en question que tente de neutraliser la diffusion du
transhumanisme. Croire à l’"économie immatérielle", à
la "transition énergétique", à la "croissance
verte" ou à la "planification écologique", revient à
croire que ces sociétés, qui se conçoivent comme l’apothéose de
l’Histoire, comme la réalisation de la Vérité, sont immortelles.
Abandonnée
à sa logique, la poursuite du développement (de l’accumulation)
s’accompagne déjà du creusement des inégalités (nationales et
internationales) et de l’intensification des antagonismes sociaux,
comme de l’intensification des conflits pour l’appropriation
d’une quantité toujours plus réduite de ressources (minières,
énergétiques, agricoles) ou pour contenir des migrations
écologiques en voie de massification.
Les
rêves transhumanistes ne sont pas des rêves à vocation
universelle. Ils sont les chimères des dominants qui croient pouvoir
échapper, dans le confort aseptisé de leurs cités "intelligentes",
au chaos mondial qu’eux-mêmes participent à provoquer. Qui,
d’ailleurs, peut encore croire à un Progrès universel ? La hausse
continue des budgets de l’armement, les préparations à la guerre
"augmentée", la fusion du militaire et du policier,
montrent au contraire que les dominants se préparent activement à
la conservation violente de leur position privilégiée.
Marianne : Le
transhumanisme prépare-t-il une nouvelle lutte des classes, entre
les bourgeois transhumains et les prolétaires, qui seront les
"chimpanzés du futur" ?
Jacques Luzi : L’expression
est de Kevin Warwick, cybernéticien et transhumaniste : "La
technologie risque de se retourner contre nous. Sauf si nous
fusionnons avec elle. Ceux qui décideront de rester humains et
refuseront de s'améliorer auront un sérieux handicap. Ils
constitueront une sous-espèce et formeront les chimpanzés du
futur."
En
premier lieu, déduire, de l’aliénation au déferlement suicidaire
de la technologie, la nécessité de fusionner avec la technologie
est à proprement parler délirant. Et ce délire permet, encore une
fois, d’éluder la question de la désaliénation.
Deuxièmement,
en supposant que cette fusion produira autre chose que des monstres,
y adhérer ne relève pas simplement d’un choix : pas plus que
d’éviter la "malbouffe" alimentaire, politique et
culturelle, les plus démunis (ni d’ailleurs les "classes
moyennes") n’auront pas les moyens de jouir des technologies
d’augmentation, de l’accession au marché des "bébés sur
mesure" ou de la cryogénie dans l’attente de l’immortalité.
Se profile donc l’instauration d’une hiérarchie sociale fondée
technologiquement, dans la prolongation du fantasme libéral et
eugéniste de la naturalité des inégalités.
Marianne : Pourquoi
notre société n’accepte-t-elle plus aussi facilement qu’avant
la mort ?
Jacques Luzi : La
mort a toujours été, et sera toujours, une tragédie. Mais nombre
de sociétés sont parvenues à la civiliser, à l’intégrer à la
vie sociale afin de neutraliser les comportements antisociaux de déni
et de fuite.
A
l’inverse, les sociétés industrielles s’enracinent dans la
croyance en une relation nécessaire entre le progrès technologique,
le bonheur et l’élimination de la mort. Et leur expansion a
provoqué la disparition des codes culturels qui accompagnaient
chaque événement marquant de l'existence quotidienne (faire sa
cour, mettre au monde, mourir, consoler les endeuillés). Cette
déculturation, en particulier, a dépossédé les individus de leur
"mourir" et favorisé l’expulsion sociale de la mort,
conduisant à l’instrumentalisation industrielle des comportements
de déni et de fuite : à leur transformation en besoin insatiable de
se protéger de la vie par la multiplication de prothèses
technologiques et, finalement, par le projet de fusionner avec ces
prothèses.
Borges,
dans sa nouvelle Les
Immortels
(1962), remarquait pourtant qu’"Être
immortel est insignifiant ; à part l’homme, il n’est rien qui ne
le soit, puisque tout ignore la mort." La
tragédie de la mort est le socle irréductible de la condition
humaine, sur la base duquel les humains ont créé la multitude de
leurs cultures, qui sont autant de sens donné à leur finitude,
autant de bonheurs à la dimension de l’homme.
Ce
qu’il faut vaincre n’est donc pas la mort, mais les comportements
de fuite devant la mort, parce que c’est cela qui mène l’humanité
à sa perte. Reconnaître la mort, son influence sur la vie, est le
seul moyen de lutter contre l’infection des comportements par la
conscience de la mort. Une telle lutte nous ramène au sens
authentique de la démocratie : la participation de chacun, à l’égal
de tous en tant que mortel, à l’institution de règles sociales,
comme expérience jamais assurée de l’autolimitation collective de
la démesure (individuelle et sociale).
Seule
une renaissance démocratique permettrait aux humains, plutôt que de
fantasmer la colonisation de Mars, de renouer avec la Terre comme
source irremplaçable de leur vie. Car ce n’est pas elle qui nous
appartient, mais nous qui lui appartenons.
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