lundi 8 février 2016

Un si fragile vernis d'humanité

C'est une tarte à la crème des fins de soirée arrosée : comment devient-on un héros ? Un monstre ? Où se loge le bien ? Le mal ? Qui ne s'est retrouvé, verre en main, face à un convive tout aussi aviné que soi, qui déclare d'un ton assuré : " Moi, sous l'Occupation, eh bien je...". 
A l'heure où moult anthropologues se disputent sur la nature bienveillante ou prédatrice des premiers hominidés, là où la découverte de ce qui semblerait être le massacre d'une vingtaine d'hommes et de femmes, il y a dix milles ans, relance le débat entre rousseauistes bon teint et partisans du "Que voulez vous, c'est comme ça, madame", le livre de Michel Terestchenko tente de répondre à cette question en montrant d'abord combien est stérile l’opposition entre la croyance dans l’égoïsme « naturel » de l'être humain et dans celle de l'altruisme comme sacrifice. Ce n’est pas par « intérêt » que l’on tue ou que l’on torture, ni par pur altruisme qu’on se refuse à faire le mal.
Marchant, à sa façon, sur les traces d'une Hannah Arendt au procès d'Adolf Eichmann, Terestchenko, à partir de recherches en psychologie sociale, et en s’appuyant sur des exemples historiques, montre que héros et bourreaux ne sont pas des gens exceptionnels. A l'image de Franz Stangl, commandant du camp d'extermination de Treblinka ou de Marie et André Trocmé qui, à Chambon-sur-Lignon sauvèrent près de 5 000 juifs avec l'aide de la population du village.
Phénomène troublant : si l'auteur se montre très disert sur les raisons qui font basculer un homme vers le mal, il est plus emprunté lorsqu'il s'agit du bien. Ainsi, pour aller vite, et à l'aune des exemples qu'il donne, Terestchenko montre que faire le bien résulte de la fidélité à soi, de l'obligation, ressentie au plus profond de soi, d'accorder ses actes avec ses convictions en même temps qu'avec ses sentiments. Parfois même, il s'agit plus simplement encore, d'agir en accord avec l'image que l'on a de soi indépendamment de tout regard ou jugement d'autrui et de tout désir de reconnaissance.
Comme le dit Michel Terestchenko : « Seul celui qui s'estime et s'assume pleinement peut résister aux ordres et à l'autorité établie, prendre sur lui le poids de la douleur et de la détresse d'autrui et, lorsque les circonstances l'exigent, assumer les périls parfois mortels que ses engagements les plus intimement impérieux lui font courir. »
Certes, Michel, certes... Visiblement, nos soirées arrosées par ce thème pourront durer jusqu'à l'aube.
 

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