jeudi 21 janvier 2016

Une passion déchirante


Le repliement excessif de la conscience sur soi est le premier pas vers la désadaptation du réel. La première condition de l’adaptation au réel est un relatif oubli de soi.
Il y a donc dans l’action une sorte de pouvoir réducteur indispensable à notre propre édification. Elle seule débarrasse les chemins de la personnalisation du trop-plein de nous-mêmes et de ce que notre présence à nous-même a toujours d’indiscret en même temps que de nécessaire.
En forçant hors de soi la paresse égocentrique, le contact du réel comprime la turbulence du désir informe, le contraint à choisir des dessins précis et limités, à passer du somptueux néant des possibles à la réalité dépouillés et forte du réalisé.
La passion du réel est une passion déchirante : nous ne pouvons nous fixer ni dans l’adaptation objective qui nous mécanise, bien qu’elle soit utile à son plan, et nécessaire à notre assiette spirituelle ; ni dans le refus de réaliser, bien qu’il prenne quelquefois une valeur de salut métaphysique. Le pathétique du réel est le pathétique d’une tension irrésolue.

Emmanuel Mounier, Traité du caractère


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