La route qui mène à Pech-Merle suit les méandres du
Célé. Entre les falaises qui bordent la vallée, ce fleuve jumeau
du Lot serpente entre de petits champs de maïs et quelques carrés
de tabac. Travail paisible de l'eau. Nous savourons à petite vitesse
la départementale. Le touriste ici, semble amicalement contrôlé
par la douceur du paysage : au milieu des peupliers, les campings
que nous croisons ressemblent à des fêtes de villages. A Cabreret,
une trentaine de maisons s'alignent au bord de la route. Sur la
droite, un panonceau métallique annonce : "Grotte du
Pech-Merle, 2 kms".
- Quand j'étais gamine, la montée vers la grotte me
faisait déjà préhistorique, dit Mina en négociant les lacets. Je
scrutais les arbres, les cailloux, la couleur de la terre et même la
forêt d'yeuses qui entoure le site.
Dans un virage, un milan jaillit d’un buisson avant
d'aller planer dans le vallon en contrebas.
- Je suis sûre qu'un magdalénien surgira un jour de
ces bosquets...
Je sais qu'elle ne plaisante pas. Ce sont ses désirs de
petite fille.
Nous arrivons sur le terre-plein d'un parking envahi par
les bus et les voitures des visiteurs.
- Tu verras, dit-elle. À l'intérieur, la foule
s'efface.
C'est une descente de cent marches vers notre plus
ancienne chambre des rêves. Des hommes ont exploré ces boyaux
interminables, dessiné des saumons, des mammouths et des chevaux,
laissé la silhouette de leurs mains sur les parois avant de gratter
le ventre de la terre en traçant des lignes amusées dans l'argile
de la grotte.
Même le couple d'américains en K-Way qui nous précède
a fini par se taire. Plus loin, un type blond a posé sa
main sur sa bouche, comme interdit : il vient de comprendre
qu'il est issu de ces microns de poudre rousse jetés sur la parois.
Le petit espagnol en pull rouge qui serrait si fortement la main de
sa mère n'a plus peur. Muet, il contemple les traces de pas d'un
enfant de dix sept mille ans et sent confusément quel jeu
fondamental et excitant ce fut de marcher dans cette obscurité. Son
visage s'éclaire d'un sourire extatique : sans doute fomente-t-il
l'idée de se laisser enfermer dans cette grotte pour rencontrer son
frère au plus profond de la nuit.
Mina ne dit pas un mot. Elle m'a prévenu : cette
descente est son alcool profond. Je la regarde pendant notre
parcours. Il n'y a aucun doute : ses cheveux sont faits du charbon
des aurochs.
Pas de grandes envolées à la fin de la visite. Chacun
gravit les marches en silence. Ce qui vient de se passer est beaucoup
trop intime pour être mis en mots. Cette plongée a ramené en
surface les couches profondes de notre limon. Pendant cinquante
minutes, une harpe de très vieilles sensations a joué lorsque nous
avons collé nos lèvres au premier souffle de la nuit.
En surface, devant l'entrée de la grotte, une buvette
propose des sodas et des cartes postales. Retour au présent. Comment
pourrait-il en être autrement ? Mina me tend les clefs sans
prononcer un mot. Nous repartons en silence, le pare-brise poudré
d'or par le soleil couchant.
- Voilà pourquoi je peins, finit-elle par lâcher au
moment où nous abordons les premières maisons de Figeac.
J'engage la voiture dans la montée qui quitte la ville.
Mina se rencogne contre la vitre et s'endort presque immédiatement.
Il est huit heures et le soleil, bien loin de disparaître, effleure
encore le sommet des arbres.
Je
pense à Pech Merle. C'est aussi simple que ça, tellement évident
que plus personne n'y songe. Cette grotte me ramène à l’encoche
d'où nous avons jailli, seuls, sans nom, trébuchants sous la
lumière, et voilà ce qu’elle me chuchote : "Tu viens de là
et le premier acte qui t'a fondé, et te fonde encore, a été de
nommer cette nuit pour la peupler d'images."
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