Avec
Manon, si nous n'avons eu rien d'autre que le temps, nous pouvons
dire que nous avons su l'employer car je ne conserve pas le souvenir
d'une seule minute d'ennui. Est-il possible d'évoquer, nous
concernant, ces unions où le désir de "ne pas manger de ce
pain là" fut un ferment ? Je le crois d'autant plus
facilement qu'au regard de certaines misères contemporaines, nous
nous sentions prêts à marcher sur la tête des rois.
L'appropriation
de notre propre nature à travers cet amour fut une terrible partie
d'éclairs ou aucune blessure ne fut esquivée. Nous avions beaucoup
à nous prouver et il est possible que gît là une des clefs du
désastre. Sans doute nous manqua-t-il l'intelligence de nos
cicatrices respectives et de ce que nous désirions sacrifier à
l'autre. Nous avions oublié, et c'est à moi que je jette la plus
grosse pierre, à quel point le sens des mots se délite dans le
naufrage d'un monde trop peu sensé.
Nous
avons lutté sous les arbres, au désert des montagnes, dans des
maisons plus ou moins vastes et n'avons emporté avec nous que le
goût de la cendre. Notre amour fut à la fois uni et divisé. Il
édifia son unité sur le déchirement. Il fut aussi authentique,
paradoxalement, et pour une part non négligeable, parce que le poids
du passé le garantissait des falsifications d'un présent hostile.
Je garde de nos disputes l'éclat pourpre et confus de la douleur ;
dans ma main, un diamant me perçait la paume.
L'absence
de mensonge, voilà ce que fut notre talon d'Achille. Qui serait
encore apte à lire sur les visages verrait dans nos yeux la blessure
du soleil. Il n'y a rien de bien extravagant dans le fait de dire
qu'avec la fin de cet amour une part de nous est morte.
Je me
suis souvent demandé ce que je garderai de cette histoire. Il m'a
fallu écarter les évidences - l'absence de regret mêlée au
souvenir d'un terrible gâchis - pour évoquer de plus fines
sensations : l'orgueil joyeux d'avoir respiré un air rare ; la
fatigue, parfois belle ; et ce rubis au milieu des décombres.
4 commentaires:
Cher Promeneur, je pourrais écrire ce que pourrait écrire Florence, mais je m'en abstiens pour ne pas "mettre la pression"...
Il semblerait alors que la pression, si pression il y a, n'est point sur moi mais sur Florence. (Qui n'en peut mais...?)
Eh bien ! En effet, je ressens là du coup comme une certaine pression...
J'écrirai simplement que ce chemin de traverse-là (que je vous remercie de nous avoir livré), plus sombre que le précédent, n'en est pas moins beau et a avec lui le curieux point commun du prénom féminin en "Ma". Ce qui ne peut que susciter l'attente d'une nouvelle "suite". Mais rassurez-vous, je ne vous mets quand même pas la pression, vous restez le maître du jeu en ces lieux !
Quelle agréable façon de débuter une semaine ! Au moins, aurons-nous trouvé à l'éther du Net une qualité...
Je ne peux qu'être encouragé à livrer ces fragments de cette carte du tendre bien fragmentée.
Merci à vous.
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