Quatre mois après notre séparation, nous nous sommes croisés dans une rue du centre ville et, après quelques minutes d’une discussion rendue surréaliste par l’hésitation, sommes allés prendre un verre dans l’arrière salle d’un bistrot situé non loin de la cathédrale. Les vieilles sensations revinrent en un clin d’œil, vives, soudaines, au point de gommer ces quatre mois en un baiser.
Comme
tous les anciens amants, nous nous sommes remémoré nos étreintes,
cette sève qui ne veut pas disparaître, avant de nous disputer
gentiment sur les raisons de notre séparation. Comme les anciens
amants, nous ne nous sommes pas menti car le territoire que nous
parcourions à présent n’avait que faire de l’illusion. Comme
les anciens amants, nous avons menti car nous savions que dans ce
lieu étrange où les amours refusent de mourir, la douleur ne sert à
rien. Comme les anciens amants, nous savions qu’il nous faudrait
vivre avec cette blessure et que celle-ci, suivant le jour et l’angle
projeté par l’ombre, nous grandirait ou nous réduirait à un ego
secoué par des souvenirs. Sans doute était-ce là toute la sagesse
dont nous avons été capables car, pour le reste, nous nous sommes
embrassé à pleine bouche durant les trois heures que nous avons
passé dans ce bistrot.
Nous
sommes sortis au crépuscule. Une pluie fine recouvrait la ville
d’une peau de truite. Il faisait bon. Je l’ai raccompagné
jusqu’à sa voiture. J’ai constaté que la Renault avait été
remplacée par un luxueux break noir de marque étrangère. Je n’ai
fait aucune remarque et j’ai laissé Anaelle s’installer derrière
le volant.
On
s’est regardé une dernière fois en silence. Dans ses yeux, j’ai
retrouvé ce que j’avais tant vu l’année où j’avais tenté de
changer sa vie : de l’amour et une tristesse que minait déjà
l'inquiétude. Je l’ai embrassée puis je me suis reculé pour la
regarder. Le désir et la raison devaient être confiés au hasard,
nous nous étions suffisamment brûlés pour le savoir.
Quand
elle a glissé la clef dans le contact, le tableau de bord de la
voiture s’est illuminé. Cela a été comme un éclair. Diodes
vertes, écran de contrôle sophistiqué, GPS, compte-tours… J’ai
eu l’impression de me trouver devant l’habitacle d’un avion de
ligne. C’était le luxe, la technologie, la sécurité, le confort.
C’est contre ça que j’ai perdu, j’ai pensé. C’est contre
ça que nous perdons. Elle a refermé la portière et je suis parti.
5 commentaires:
Imparable… Le break luxueux contre la promenade en dilettante.
Contre les femmes, nous perdons toujours.
Et nos rares victoires ne sont qu'à la Pyrrhus, cher Frédéric.
Quelle généralisation étrange, si je me peux me permettre... Cet épisode poignant aurait pu avoir une conclusion inversée, qui aurait été tout aussi triste.
Sans doute, chère Florence. Mais ici, cette conclusion, hélas, s'zest imposée d'elle même.
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