mercredi 2 décembre 2015

Au café


J'aime venir au « café », à la tombée du jour. Quelquefois, j'ai l'impression, ou peut-être l'illusion, que ce rendez-vous est le lointain reflet de la Table ronde de la légende. Comme s'il y avait eu depuis toujours quelques hommes à se réunir dans la nuit du monde pour refuser le cours des choses. Probablement établie par Apollinaire, cette pratique du « café » a été renforcée et perpétuée, tant bien que mal, par André Breton pendant presque un demi-siècle. Et quel demi-siècle ! Deux guerres mondiales, Auschwitz, le Goulag, la bombe atomique, la guerre froide, la science mise au pas, l'éléphantiasis de la finance mondiale... Et au milieu de tout cela, ce « café », fragile et fantomatique bateau qui n'aura cessé de chercher, contre vent et marée, à garder le cap. Beaucoup de ceux qui avaient désiré être du voyage furent emportés par les terribles tempêtes du siècle, mais, pendant des années, il y en eut toujours de nouveaux à vouloir s'y embarquer.

Radovan Ivsic, Rappelez-vous cela, rappelez-vous bien tout.


De façon moins poétique, on pourra poursuivre cette réflexion sur l'importance de se réunir en lisant le billet de Frédéric Lordon sur "l'état d'urgence".


1 commentaire:

Florence a dit…

"Qu'as-tu ressenti, Pikes, la nuit où ils ont saisi tes films, comme s'ils faisaient rendre ses entrailles à la caméra, comme s'ils t'étripaient toi-même, pour les fourrer par écheveaux entiers, à pleines brassées, dans une chaudière ardente ? Était-ce aussi pénible que de voir quelque cinquante mille volumes anéantis sans qu'il soit question du moindre dédommagement ? Oui. Stendhal sentit une colère insensée lui glacer les mains. Oui. Alors quoi de plus naturel s'ils s'étaient mis un jour à bavarder devant des cafés sans fin jusqu'à des minuits sans nombre, et si de toutes ces conversations et de toutes ces amères décoctions était sortie... la Maison Usher."
Ray Bradbury, Chroniques martiennes