vendredi 25 septembre 2015

Une perte


Et surtout, comment dire son angoisse, sa souffrance, ses désirs ? On s'y refuse. On triche avec des signes sans qualité, extra, nul, super, zéro, génial : le prix des émotions qui ont perdu leur goût et leur valeur d'usage. Le vocabulaire marchand et policier a envahi sans vergogne ces régions autrefois protégées : s'investir dans ses goûts, négocier son angoisse, être interpellé par sa souffrance, être pénalisé dans sa vie amoureuse. Que peut vouloir dire maintenant la liberté de parler ou d'écrire, quand l'ordonnance du monde modèle de telles consciences, un tel langage ? Et que nous veulent ceux qui n'ont que ces mots à la bouche ? Communiquer avec qui ? Avec quel mots ?

Michel Bounan, La Vie innommable

Aucun commentaire: