En
1973, P.E. Sifneos a décrit, pour la première fois, une
extraordinaire folie, qu'il a nommé alexithymie
(a-lexi-thymie : pas de mot pour la souffrance). Il s'agit d'une
perturbation de la conscience entraînant « une impossibilité
de saisir ses propres émotions, de les différencier, de les
nommer ». Ce sont littéralement des souffrances
sans nom.
Beaucoup
de médecins ont constaté depuis – chez leurs malades – le
développement de cette nouvelle épidémie. Ainsi, note le Quotidien
du médecin
(20 mars 1992), « le patient alexithymique ne présente pas sa
souffrance comme une souffrance vécue, mais énumère froidement des
signes, de façon impersonnelle, objective, comme
s'il n'était pas concerné ».
D'autres médecins ont remarqué « une restriction extrême
dans l'expérience des émotions, accompagnée d'une grande
difficulté à trouver les mots pour décrire leurs sentiments ».
Ils ont relevé encore, dans le même style impersonnel
et objectif,
que « la différenciation et la verbalisation des affects sont
perturbés ; ils restent ainsi non saisis, non exprimés, sous
forme d'angoisse inexplicable ».
La
conscience de ces gens, devenue sourde à leur propre souffrance,
n'est pourtant pas muette. Les mêmes médecins ont ainsi découvert
– toujours chez leurs malades - « une forme de pensée
utilitaire, une tendance à diriger exclusivement leur réflexion
vers le monde extérieur » et même « à utiliser sans
cesse leur activité pour ne laisser aucune place à leur propre
envahissement émotionnel, ressenti, à juste titre, comme
menaçant ». Toute leur conduite est élaborée « de
façon à éviter d'être blessé, ou même seulement effleuré ».
Ces malheureux, socialement très actifs, sont, en réalité, des
plaies à
vif.
Michel
Bounan, La
Vie innommable
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