On sait pourtant que
dans un monde si désastreusement unifié, on ne peut se sauver tout
seul, non seulement pour la raison qu’il n’y a nulle part où
s’en retirer, ni aucune manière de s’en abriter ; mais
encore pour celle-ci que ce serait pour rien : nous avons pour
être heureux besoin de la société du genre humain. On n’a donc
pas le choix que de travailler à la sauver. Mais par où commencer ?
Disons qu’il faut commencer de se sauver tout seul, que c’est une
obligation que l’on a envers soi-même de se désabuser de toutes
les crédulités de la vie moderne, ses faux plaisirs et ses ersatz,
ses nécessités prétendues et ses représentations trompeuses, qui
nous troublent et nous égarent ; que ce n’est pas un austère
devoir mais au contraire qu’il y a beaucoup d’agrément à
connaître la contradiction de son esprit avec le néant de cette vie
mimétique, vie toujours honteuse et souvent ridicule, d’ailleurs
empoisonnée et qui ne vit même pas.
Et ce serait le diable que l’on
ne rencontrât pas bientôt d’autres musiciens de Brême partageant
le même intéressant secret : il y a toujours mieux que la
mort. D’où l’on pourra songer à vérifier la validité de cette
autre maxime qui peut mener loin, et même jusqu’à l’idée qu’il
serait enfin possible de vivre : les hommes ne sont limités par
rien que par des opinions.
Encyclopédie des
Nuisances, Remarques sur la paralysie de décembre 1995
1 commentaire:
Une seule chose, écrivait-t-il (Stendhal), valait maintenant la peine qu'on y consacre encore de l'attention et de la peine : "préserver la sainteté et la pureté de son moi”.
Sebastian Haffner.- Histoire d'un allemand, 1939.
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