mercredi 11 janvier 2017

Une image fugitive de plus




On a peine à croire à quel point est insignifiante et vide, aux yeux du spectateur étranger, à quel point stupide et irréfléchie, chez l'acteur lui-même, l'existence que coulent la plupart des hommes : une agitation qui se traîne et se tourmente, une marche titubante et endormie, à travers les quatre âges de la vie, jusqu'à la mort, avec un cortège de pensées triviales. Ce sont des horloges qui, une fois montées, marchent sans savoir pourquoi. Chaque fois qu'un homme est conçu, l'horloge de la vie se remonte, et elle reprend sa petite ritournelle qu'elle a déjà jouée tant de fois, mesure par mesure, avec des variations insignifiantes. Chaque individu, chaque visage humain, chaque vie humaine, n'est qu'un rêve sans durée de l'esprit infini qui anime la nature, du vouloir vivre indestructible ; c'est une image fugitive de plus, qu'il esquisse en se jouant sur sa toile immense, l'espace et le temps, une image qu'il laisse subsister un instant, et qu'il efface aussitôt, pour faire place à d'autres.

Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation 


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