dimanche 17 décembre 2023

Pièces & Main d'Oeuvre causent

 

 

Celles et ceux qui souhaitent débattre avec les camarades de Pièces & Main d'Oeuvre le pourront à l'occasion de trois causeries données par ces derniers à l’université d’hiver des Croquignards, à La-Roche-de-Rame, près de Briançon (05310), les vendredis 12 janvier, 2 février et 22 mars 2024. Les thèmes de ces causeries : « Technologie - Technocratie - Transhumanisme ».

Contact : contact.pmo@free.fr

P&MO
c/o Service compris
B.P. 27 – 38172 Seyssinet-Pariset cedex

jeudi 23 novembre 2023

Un aspect de la lutte


   Un mouvement qui vise à l’abolition de la société marchande ne peut se passer d’un programme positif. Le fait de se sentir entraîné dans une course vers l’abîme n’aboutit pas forcément à une perspective de transformation du système. La réaction peut tout aussi bien consister en un « sauve qui peut », un « mors tua vita mea » (et jusqu’à présent c’est la réaction la plus fréquente), ou encore en un « engagement » froid et moraliste qui, au bout de compte, ramène à la logique spectaculaire : « d’autres s’en occupent déjà » (députés écologistes, guérilleros dans le tiers-monde, organisations humanitaires, chercheurs critiques, penseurs radicaux, etc.). Une vie quotidienne libérée de tous les fétichismes et qui ne projette plus rien de ses propres possibilités à l’extérieur d’elle-même : voilà un but capable de susciter l’enthousiasme et la passion sans lesquels aucune action historique n’a jamais été accomplie consciemment.

Un complot permanent contre le monde entier, Anselm Jappe

 

mercredi 22 novembre 2023

Le soleil a rendez-vous avec la thune


 

Une centrale photovoltaïque couvrant 16,7 hectares va être implantée par la multinationale canadienne Boralex sur les flancs de la montagne de Lure, non loin du village de Cruis. Cette surface artificialisée va être imposée au milieu de champs cultivés, à la place d'une forêt de pin Atlas, rasée à blanc, où nichent le bruant ortolan et le circaète Jean-le-Blanc et autres espèces non rentables. On peut imaginer sans peine l'effet que produiront ces centaines de panneaux sur les flancs de la montagne d'autant plus que des funestes projets de ce genre pullulent ici avec des menaces qui, après Ongles, commencent à planer au-dessus du Revest Saint Martin et du Contadour. 
 
Comme l'explique Isabelle Bourboulon dans un article publié dans Blast : "Dans la répartition régionale du potentiel de développement des projets photovoltaïques, sans surprise le département rural des Alpes-de-Haute-Provence tient la corde : 74 000 MegaWatt-crête (MWc) de puissance à produire, dont 90 % sur des zones à « enjeux forts » (zones agricoles et forestières), sur les 230 000 MWc attendus pour l’ensemble de la région Paca. Autrement dit, en matière de production d’électricité on attend de la ruralité qu’elle vienne au secours des villes et des industries !".
 
L'association Elzeard Lureen résistance, et quelques autres habitants de la montagne, luttent contre cette implantation. Se sont ainsi succédés quatre semaines de blocages de chantier, des recours juridiques, des interventions auprès des habitants et des élus. Des actions qui ont automatiquement suscité la répression : contraventions, auditions libres en série, intervention du PSIG, convocation de journalistes à la gendarmerie, GAV suivies de contrôles judiciaires avec demandes de caution exubérantes et interdiction de sites. Dernièrement, une nouvelle tentative de blocage de chantier a suscité les réactions musclées des vigiles stipendiés par la multinationale Boralex.
 
Deux opposantes à cette installation, Sylvie, 60 ans, et Claudine, 72 ans, seront jugées le 5 décembre prochain au tribunal de Digne. La société Boralex réclame 30 000 euros de dommages au titre des retards du chantier. Les deux militantes risquent également 2 ans de prison pour s’être allongées en travers du chemin des engins de chantier commandés par Boralex.


mercredi 15 novembre 2023

La lie de nos renoncements

 


Le sommeil est défini comme un état de relative inactivité motrice avec diminution des perceptions et des réactions sensorielles.

Psychologies magazine


   Il n'était plus très loin de minuit. Cela faisait un moment que le type beuglait, dissimulé dans l'obscurité du parking souterrain qui faisait face à l'immeuble où j'habitais. Ses invectives, hurlées d'une voix éraillée et furieuse, s'adressaient à nous, les habitants de la résidence des Œillets qu'un habile promoteur avait construit, trois ans auparavant, à l'entrée de notre petite ville. Dans un rugissement ininterrompu, l'homme nous reprochait d'être soumis au système. Il vilipendait également notre confort bourgeois et affirmait que nos mères avaient adopté toute leur vie une conduite sexuelle des plus déréglée. 

  Ses accusation étaient venues me cueillir au plus profond de mon sommeil. J'avais tout d'abord cru à une bagarre entre ivrognes puis, à l'écoute du caractère essentiellement monologique de la chose, à une dispute par téléphone avant que la fureur qui émanait de cette voix ne me fasse quitter mon lit pour en situer l'origine. Nous étions en septembre et il faisait suffisamment bon sur ma terrasse pour que je mène mes recherches sans frissonner. À moitié éveillé, j'avais mis quelques minutes à repérer l'invidu. Celui-ci s'était introduit dans le parking en sous-sol de l'immeuble de bureaux qui faisait face aux Œillets. Des ouvertures en forme de meurtrières donnaient sur le jardin de notre résidence. C'était depuis l'une d'elles qu'il nous abreuvait de sa colère. Visiblement sous l'effet de l'alcool, ou d'une quelconque drogue, et plus sûrement encore de la folie, de la solitude et de la pauvreté, l'homme avait vite repéré l'effet de haut-parleur que produisaient ces ouvertures situées face à notre bâtiment. Ici, il avait trouvé sa tribune. 

  Rendu encore plus furieux par les protestations des locataires exaspérés, l'homme nous agonisait d'injures, stigmatisant à présent nos pratiques sexuelles. À l'entendre, les Œillets étaient un repère de petit-bourgeois frileux et partouzards, une sente du vice, le tombeau de jeunes corps innocents livrés à notre lubricité. Il écumait, littéralement, et son rugissement semblait ne devoir jamais cesser. C'était d'une tristesse insondable. Le sabordage des hôpitaux psychiatriques, orchestré par les gouvernements qui s'étaient succédé à la tête du pays, avait jeté à la rue un nombre grandissant de personnes qui s'étaient rapidement clochardisées. À n'en pas douter, l'homme qui hurlait depuis les ténèbres du parking était l'un d'entre eux. 

  Hormis l'irritation que produisaient ces insultes lancées en pleine nuit, je trouvais que nous, les locataires des Œillets, recevions le juste paiement d'une situation qu’avec les habitants de ce pays nous avions laissé naître et perdurer. Ainsi, je ne me souvenais d'aucune manifestation pour la sauvegarde de l'hôpital public à laquelle j'eus participé. 

  Les cris de l'homme s'étaient brusquement interrompus. Une voiture de la police municipale s’était immobilisée devant le parking. Deux agents en étaient sorti et avaient inspecté sans grand zèle les alentours du bâtiment. Dans l'ombre, l'homme était demeuré invisible et silencieux. Après quelques pas et avoir fait grésiller leur radio, les policiers avaient regagné leur véhicule puis démarré avant de disparaître. La voix avait repris aussitôt sa diatribe avec des accents de triomphe. Il nous tenait. Les cris de dépits qui fusèrent des terrasses des Œillets ne firent que redoubler le torrent d'injures de notre accusateur. Pendant un moment, j'hésitais entre regagner mon lit, équipé de boules Quiès, ou tenter quelque chose pour faire cesser ce vacarme. Les propos que je captais sur la terrasse, située au-dessous de la mienne, achevèrent de me décider. J'entendis monsieur Alonzo, mon voisin du second, crier d'une voix aiguë que, vue l'incurie de la police, il allait utiliser contre le hurleur le pistolet à grenaille qu'il possédait. Avec une voie à peine moins aiguë, son épouse tentait de le faire renoncer à son projet. Cela m'étonna de la part de ce petit homme roux et doux avec lequel j'avais de nombreuses conversations sur le jardinage et les échecs. Je compris que si je n'intervenais pas, cette nuit allait tourner au drame. 

  Malgré le peu d'envie que j'avais de me confronter à un forcené, je m'habillais hâtivement et dévalais les escaliers. Une fois dans le jardin de la résidence, je fus surpris par la douceur de l'air. Celle-ci formait un contraste dérangeant avec la violence de cette voix qui continuer de tonitruer à quelques mètres de moi. Envahi par un mélange de crainte et de curiosité, je progressais à tâtons sur le gazon que la copropriété s'évertuait à faire pousser malgré les sécheresses qui se succédaient chaque été. Arrivé à quelques mètres d'une des meurtrières, je restais paralysé. Qu’allais-je faire pour le calmer ? Désagréable, l’idée qu’être mêlé à une rixe a soixante ans révolus avait quelque chose de ridicule, me traversa à la façon d’une coulée acide. Une nouvelle bordée d’injures me décida à agir. 

  Excuse-moi, dis-je, profitant d'un des rares moments où l'homme reprenait son souffle, tu as du feu ? Cette phrase, sortie de ma bouche presque malgré moi, provoqua l'arrêt immédiat des vociférations. Visiblement, notre Stentor avait été aussi surpris que moi. Je l'entendis se déplacer, déclenchant par là-même l'éclairage du parking. Je le vis enfin lorsqu'il s'encadra dans l'une des meurtrières. J'avais imaginé un barbu hirsute et crasseux, je découvrais un jeune type aux cheveux longs et blonds, plutôt mince, vêtu d'un bermuda et d'un tee-shirt blanc. Les yeux écarquillés, il tentait de percer la nuit du jardin. Pendant quelques secondes, je pus détailler son visage émacié et ses lèvres fines que surmontait un regard passablement égaré. 

  Qui est là, putain ?, demanda t-il d'une voix étonnamment chuchotante. C'est moi, Laurent, répondis-je aussitôt sans quitter l'ombre dans laquelle je me dissimulais. Je veux m'en griller une avant d'aller me pieuter. Je ne m'appelais pas plus Laurent que je ne fumais mais, sans que je puisse expliquer pourquoi, ces paroles m'avaient semblé les plus appropriées à la situation. Cette dernière phrase laissa mon interlocuteur muet. Sans réfléchir plus avant, je profitais de cet avantage pour enfoncer mon clou. T'aurais pas un briquet ? Je te le rends tout de suite. L'homme avait quitté la meurtrière et se tenait à présent dans l'ombre du parking. Et toi, finit-il par dire, t'as une clope ? Je me mordis les lèvres et mon cœur se mit à battre violemment. Désolé, finis-je par répondre d'une voix mal assurée, je n'en ai qu'une. Je l'ai gardé pour aller me coucher. Il y eut un nouveau silence puis je vis une main maigre et nerveuse surgir de la meurtrière en tenant un briquet. Je m'en emparais avec précaution et le battis deux ou trois fois dans le vide avant de lui rendre. La main disparut aussitôt. Je me demandais soudain si, la flamme aidant, il ne s'était pas rendu compte de mon subterfuge. J'entendis de nouveau un remue ménage. On aurait dit que l'homme tentait une sorte de bricolage dont il n'arrivait pas à venir à bout. 

  Je pensais qu'après cet interlude, il allait sûrement reprendre ses vociférations. Je m'approchais prudemment de la meurtrière. Merci pour le feu, chuchotais-je. Au fait, ajoutais-je d'une voix plus forte, ce n'est pas la peine de les engueuler. Ils ne t'entendent pas : c'est une clinique pour sourds et muets, ici. Un nouveau silence succéda à mon mensonge. Je restais un moment sans bouger, tentant de repérer mon homme dans le parking. En vain : le lieu était redevenu aussi noir que silencieux. Je reculais doucement, environné par les parfums de gazon et de houx. 

  Après la tension nerveuse de ces derniers moments, je sentais la fatigue me gagner. Par précaution, je laissais de nouveau passer quelques minutes avec le sentiment que ce silence était plus inquiétant que le tumulte de tout à l'heure. Une brise se leva pour agiter doucement les ormes du jardin. Un grillon se mit à strier l'espace de sa scie. L'homme semblait avoir quitté les lieux. Je me retournais pour contempler l'immeuble des Œillets : sa masse silencieuse et noire se dressait dans la nuit. Plus une seule lumière ne brillait à l'intérieur. À présent, ses habitants dormaient. Combien en connaissais-je ? Il y avait les Alonzo, au second étage, et la jeune Clarisse Loiseau, au quatrième, dont la grâce et la politesse m'enchantaient chaque fois que nous nous croisions. Je devais me l'avouer : depuis que j'habitais aux Œillets, les autres locataires étaient demeurés à l'état de silhouettes. Ce constat me chagrina un bref moment avant de s’étioler dans l’air tiède. Réprimant un bâillement, je demeurais encore quelques instants dans le jardin puis regagnais mon appartement. Ce n'est qu'une fois devant ma porte que je réalisais que j'avais laissé les clefs à l'intérieur.

 

mardi 17 octobre 2023

Temps troubles, énergie bienvenue

 

 

Certes, on pourra préférer la version originale créé par les wonderboys de Liverpool mais enfin la rugueuse énergie de Fanny, et le plaisir non dissimulé dont font preuve ces rockeuses menées par les schwestern Willington, font de cet Hey Bulldog une reprise fort roborative.

 

mercredi 27 septembre 2023

Business as usual


Interrogée sur France 3, la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra a laissé entendre que la loi autorisant la vidéosurveillance algorithmique avec l'intelligence artificielle dans le cadre des prochains jeux olympiques pourrait être prolongée au-delà de la compétition sportive.

 

mardi 12 septembre 2023

Comme des trains dans la nuit

 

Allez, un bel anniversaire que celui que nous souhaitons à Jacqueline Bisset, en souvenir des premiers émois ressentis lors d'une nuit très américaine.

jeudi 7 septembre 2023

L'homme sans monde

 


"Étaient et sont des « hommes sans monde » ceux qui sont contraints de vivre à l’intérieur d’un monde qui n’est pas le leur, d’un monde qui, bien qu’ils le produisent et le maintiennent en marche par leur travail quotidien, n’est pas « construit pour eux », n’est pas là pour eux, un monde pour lequel ils sont pensés, utilisés et « là » mais dont les standards, les objectifs, la langue et le goût ne sont pas les leurs, ne leur ont pas été donnés."

Günther Anders 

 

On trouvera la suite de ces pénétrantes observations sur l'excellent site des Amis de Bartleby.

vendredi 21 juillet 2023

Dans le fleuve du temps



Comme passent une époque et sa chance, la mémoire cherche à renouer le fil du temps pour sortir du labyrinthe de trouble et de griefs dont le suspens d’une révolution inachevée prolonge indéfiniment les détours. 

 

Discours préliminaire de l’Encyclopédie des Nuisances, novembre 1984.

 

lundi 10 juillet 2023

Au dessus du volcan

 Grotte de Pech Merle


Le constat est désormais banal : la société–monde s’abîme dans ses crises. Jamais dans l’histoire une société n’avait imaginé prévoir si précisément l’agenda de son effondrement. Que ce soit l’ampleur du réchauffement climatique, l’épuisement des ressources naturelles, l’empoisonnement généralisé de la planète ou la certitude de futurs Fukushima, chaque mois amène son lot de détails sur les contours et le timing de l’inéluctable. On y avait accoutumé les populations. Les États et leurs supplétifs verts se faisaient rassurants. Ils en faisaient leur affaire : il y aurait encore de beaux jours, moyennant une désagréable mais inévitable période d’adaptation. Des «décroissants» s’en remettaient à l’Etat pour imposer les restrictions et la rééducation utiles au retour de la joie de vivre.

Tout ceci a volé en éclats en moins d’une décennie. Ce qui n’avait pas été calculé c’est la vitesse d’expansion du chaos géopolitique lié à la guerre mondiale pour le contrôle des ressources naturelles (pétrole, uranium, terres rares, terres agricoles, eau), la somalisation qui court maintenant d’Afrique en Afghanistan, et surtout l’ampleur et la rapidité, que la crise financière de 2008 a seulement fait entrevoir, de la désintégration sociale précipitée par la mondialisation de l’économie. Ce ne seraient toutefois là qu’inconvénients mineurs pour un système qui entend gérer ce chaos sans autre ambition que d’y préserver ses intérêts les plus immédiats, si ne se développait en même temps, à l’échelle de la planète, la conscience qu’il n’y aura plus de lendemains qui chantent, que l’activité irrésistible du complexe économico-industriel ne fera qu’approfondir le désastre ; et qu’il n’y a rien à attendre d’Etats, excroissances cancéreuses où se mêlent à différentes doses les castes technocratiques parasitaires, corrompues ou mafieuses, qui affichent froidement leur refus de faire mine d’infléchir cette course à la destruction de tout et sont visiblement réduits à leur fonction première : l’exercice du monopole de la violence.

Il n’est plus temps de voir là les théorisations extravagantes d’apocalyptiques éco-catastrophistes, d’irrécupérables extrémistes anti-autoritaires ou d’intellectuels réactionnaires reclus dans leur tour d’ivoire. Toutes ces questions sont désormais sur la place publique ; le constat devient universel, s’insinue irrémédiablement dans toutes les couches de la société totale déliquescente. On ne l’en évacuera pas. C’est bien ce qui nourrit l’inquiétude de tous les États, et non la catastrophe rampante.

La domination, qui touche à la pureté de son concept dans la convergence fusionnelle de l’Etat, de l’économie et des médias, fait donner son artillerie lourde, martèle qu’il n’y a plus d’alternative, que les dés sont jetés, qu’il faut s’adapter ou périr, qu’il ne s’agit désormais que de gérer la catastrophe, et que ceux dont l’emploi est de la provoquer et de l’entretenir sont les mieux qualifiés pour cette tâche. Comme l’assassin qui se flatterait d’être seul habilité à conduire l’autopsie de sa victime. Et c’est rien moins qu’une métaphore dans le cas, ici, de Rémi Fraisse tué à 21 ans par un gendarme mobile, assuré du maintien de son emploi par un gouvernement socialiste qui célèbre ainsi un siècle de trahisons, ailleurs de 43 étudiants mexicains livrés par la police aux tortionnaires des cartels de la drogue ou encore des journalistes indépendants de la Russie de Poutine (chacun pourra poursuivre l’énumération ad libitum). Les personnels politiques doutent de leur pérennité, ils savent qu’ils règnent sur un volcan (dans cette Chine qui fait l’admiration universelle des tenants du maintien de l’ordre, le budget de la sécurité intérieure est supérieur au budget militaire) et qu’il faut absolument museler, rendre invisible ou silencieuse toute opposition un peu sérieuse à l’ordre établi, c’est à dire qui viendrait à prendre au mot la fiction de sa nécessité.

Que ces victimes soient essentiellement des jeunes n’étonne que ceux qui ne l’ont jamais été. Cette jeunesse qu’on disait si intégrée à l’ordre marchand et à sa survie dématérialisée, dressée à se vendre au plus offrant, à se détacher de toute solidarité, à se reconnaître dans la monade solitaire de l’utopie capitaliste, commence à comprendre dialectiquement qu’elle n’aura pas sa place au festin de l’abondance factice, qu’il n’y aura plus vraiment de festin et qu’il était de surcroît immangeable — ce qu’une part demeurée irréductible de la jeunesse a toujours su et proclamé. Elle accède à la visibilité (plus tard en France que dans les pays méditerranéens voisins) avec une vigueur qui lui vaut d’être disqualifiée pour sa « violence », au demeurant légitimement défensive et très largement symbolique. Dans quels rangs imaginerait-on la faire rentrer ?

Celles des luttes dites « anti-industrielles » dirigées contre les projets trop manifestement absurdes d’éradication de ce que n’avait pas encore ravagé le rouleau compresseur de l’artificialisation de la vie et des faux besoins (des zones naturelles restées en partie pré- industrielles), parce qu’elles expriment un sentiment partagé de perte irrémédiable agrègent d’autant plus vite une myriade d’opposants. Si les naïvetés non violentes et participatives des opposants de départ prêtent à sourire, on conviendra qu’elles sont vite balayées par le mépris des décideurs et la violence des pouvoirs. On laissera aux versaillais qui éructent ces jours-ci leurs appels à la répression la condescendance des assis devant les bigarrures, les cagoules et les hésitations de cette jeunesse. Les faits sont là : certes encore très minoritaire elle a déjà fait sécession avec la société. Qu’elle le subisse ou le choisisse, elle n’y a aucun avenir, elle n’en veut pas et elle n’a rien à perdre ; sauf éventuellement la vie, on vient de le lui rappeler. Ce qui va de soi pour elle, le refus de l’Etat, du primat de l’économie sur la vie, de l’artificialité technologique sur l’intensité des rapports humains, la détestation de toute hiérarchie fut-elle militante, le refus du vedettariat, la solidarité concrète entre tous les opposants quelles que soient leurs pratiques, rien de cela ne peut tromper : il s’agit de la naissance d’une conception de la vie radicalement hostile à celle qu’impose la domination.

Quand s’affrontent deux conceptions de la vie si antagoniques s’affirme aussi l’inéluctabilité du conflit central des temps à venir : celui qui va opposer les fanatiques de l’apocalypse programmée à ceux qui ne se résignent pas à l’idée que l’histoire humaine puisse finir dans leur fosse à lisier. 


Jacques Philipponneau et René Riesel


vendredi 30 juin 2023

Jamais surpris, toujours déçus

 
En visitant l'excellent blog de Steka : Un & Commun, nous sommes tombés sur cette citation du non moins pertinent Miguel Amoros. Les mots de l'espagnol, ces "banalités de base", comme la majorité de leur espèce, sont toujours bonnes à être rappelées.
 
Dans les régimes des partis improprement dits « démocratiques », le pouvoir politique, qui sur le papier appartient au peuple ou à la nation, est en réalité le pouvoir de l’État, organe qui le détient et l’exerce. Tout État s’appuie sur le monopole de la force et exerce son autorité en l’utilisant à sa guise. Dans la mesure où l’usage de la force – la répression – n’a pas de limites préalablement définies, le pouvoir, quand il est vraiment contesté, ne s’en donne donc aucune : l’État est autoritaire et policier. L’usage et l’abus sont indiscernables. À vrai dire, l’État réagit violemment lorsque des personnes désenchantées agissent de leur propre chef, c’est-à-dire non seulement l’ignorent, mais pis encore ne le reconnaissent pas. C’est le mal actuel de l’État : sa fragilité fait que tout acte de désobéissance est considéré comme un défi, car remettant en cause cette autorité que l’État cherche à restaurer par un usage pervers de la loi et un usage excessif et intimidant de la force. L’État n’existe qu’ainsi. 
 
Miguel Amoros
 

mercredi 7 juin 2023

L'Histoire en marche

 

Le maire de Carnac, Olivier Lepick, également président de l’association Paysages de Mégalithes, a délivré un permis de construire pour l’installation d’un magasin Mr Bricolage au sud de la Z.A. de Montauban (Carnac), détruisant ainsi une quarantaine de menhirs.

Le site du chemin de Montauban comprenait deux files de petites stèles en granite se déployant sur une cinquantaine de mètres de long. L’une était exactement dans sa place d’origine depuis 7000 ans. Ces petits alignements de menhirs accompagnaient, semble-t-il, deux tombeaux néolithiques encore inexplorés. Ces menhirs constituaient l’un des ensembles de stèles les plus anciens de la commune de Carnac : 5480-5320 avant J.-C., soit la datation la plus haute obtenue pour un menhir dans l’ouest de la France.

Ce site illustrait ainsi la structuration du territoire dès le Néolithique, une période aujourd’hui considérée par les chercheurs comme l’aube de l’Histoire, 4500 avant les Gaulois et l’Empire Romain.

Afin de documenter plus précisément cette destruction, ainsi que d'autres projet de nettoyage par le vide de ce pays là, vous trouverez ici de quoi vous renseigner.

jeudi 1 juin 2023

Tolerme : l'eau kidnappée

 


Cette année encore, alors que la sécheresse va rythmer l'été, un projet touristique aberrant va voir le jour sur les rives du lac du Tolerme, une retenue d'eau de 38 ha située dans le Ségala, un des plus beaux pays du Lot. L'entreprise Sandaya, franchise gérant des campings de luxe1 prévoit la privatisation d'un espace naturel de 16,8 ha sur la rive nord du lac.

Si l'accès public aux rives est maintenu – jusqu'à quand ? - la surface naturelle privatisée par Sandaya sera artificialisée avec l'habituelle panoplie consumériste des bases de loisirs : restaurants et bars, espace aquatique, commerces, construction de 200 bungalows et de 130 emplacements de camping. Les promoteurs de cette occupation prévoient de mirifiques retombées économiques avec la création de... 10 emplois2.


À raison d'une fréquentation prévue de 1200 personnes par jour3, on peut s'interroger sur l'impact que produira ce complexe touristique sur son environnement. Aux nuisances causées par une telle fréquentation (circulation routière, déchets, enlaidissement du paysage, etc.) s'ajouteront la pollution, l'envasement et le gaspillage de l'eau. Quand on sait qu'un touriste consomme, en moyenne, 230 litres d'eau par jour dans ce genre d'établissement, le calcul est simple : pour la seule saison estivale, un gaspillage de millions de litres d'eau est à prévoir.

Ce soucis, François Georges, directeur de Sandaya, ne semble guère le partager : avec la franchise décomplexée de celui qui sait qu'il ne trouvera guère d'opposition, celui-ci avouait, lors d'une réunion publique en août dernier, que c’est bien parce qu’il y a « de la flotte » ici que son groupe vient s'installer4. Et, d'opposition, il n'en trouvera guère puisque, à l'exception de l'association Tolerme nature, ce projet, est soutenu par la communauté de commune du Grand Figeac, et s'est vu approuvé, le 6 mars 20225, par les habitants des douze villages du Haut Ségala, à l'issue d'une consultation pour avis.

Une triste nouvelle de plus pour ce pays car les nappes phréatiques du Ségala, cette véritable fontaine à eaux du Lot, sont déjà en butte à une pollution provoquée par l'épandage de digestat, un déchet liquide produit par les cinq méthaniseurs installés non loin de là depuis quelques années. Un digestat qui s'infiltre facilement dans le mince sol lotois et contamine les captages d’eau potable, déjà régulièrement souillés par les effluents de l’agriculture intensive6.

À cette pollution il faut aujourd'hui ajouter l'assèchement, de plus en plus important chaque année, de ces nappes phréatiques. On pourrait donc s'étonner du soutien officiel que rencontre un projet qui ne s'appuie que sur le seul appât du gain si on ignorait l'aveuglement, souvent coupable, de nos élus et de celles et ceux qui les élisent. Ici, comme ailleurs, l'avidité et le déni semblent généreusement partagés.

Dernière heure : janvier 2024, le projet a finalement été abandonné par le groupe Sandaya pour des raisons qui semblent mêler manque de viabilité économique, opposition décidée des habitants lotois et surtout l'action de l'association Tolerme nature.

 

1 Sandaya est une filiale du groupe immobilier ACAPACE fondé par François Georges et Xavier Guilbert.

2 Dossier d'information, Projet d'hôtellerie de plein air au lac du Tolerme, Syndicat mixte du lac du Tolerme, 6 mars 2022.

3 Nouvelles lettre ouverte aux élus du Lot, Assocation Tolerme nature, 10 avril 2023.

4 Idem.

5 Lot. Projet Sandaya au Lac du Tolerme : le « oui » l'emporte à 70%, Actu Lot, 7 mars 2022.

6 Méthanisation dans le Lot : le grand emmerdement, Reporterre, 5 octobre 2021.

mardi 9 mai 2023

Il faudra toujours


Il faudra toujours, sans lui demander un avis qu’il ne peut pas donner, arracher le nouveau-né à son monde, lui imposer – sous peine de psychose – le renoncement à sa toute-puissance imaginaire, la reconnaissance du désir d’autrui comme aussi légitime que le sien, lui apprendre qu’il ne peut pas faire signifier aux mots ce qu’il voudrait qu’ils signifient, le faire accéder au monde tout court, au monde social et au monde des significations comme monde de tous et de personne.
Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société     

 

Egalement, plus spécifiquement, bien que très tardivement, cet ouvrage sur le sujet.

 

   


vendredi 21 avril 2023

Le syndrome du coucou

 


Ne t'étonne donc pas que la peinture ait disparu, puisque, aux yeux de tous, dieux comme hommes, un lingot d'or paraît plus beau que tous les chefs d'oeuvre d'Apelle et de Phidias, ces pauvres grecs en délire.

                                                     Petrone Le Satiricon


La colère d’abord, puis l’indifférence, ne peuvent que s’emparer de quiconque pousse la porte d’un musée d’art contemporain. Longtemps, je n’ai pas voulu céder aux évidences : vacuité insondable, confusionnisme, ignorance, absence de talent, opportunisme mal dissimulé…les adjectifs se bousculaient dans les rares expositions où je m'égarais. Effaré, je me bornais ensuite à éviter ces lieux. Il y a quelques années, une promenade dans Montpellier me décida à mettre en ordre mes impressions. Ce que j’y découvris agit sur moi à la manière d’un fiat lux.

C’était au printemps, la robe que portait ma compagne était légère. Toute une mâtinée, nous avions marché dans les rues de la ville avant d’aborder, vers midi, la place de la Comédie, un vaste rectangle de pavés entouré de cafés. Au milieu de la place, plusieurs tâches violemment colorées attirèrent notre attention. En nous approchant, nous découvrîmes une douzaine de sculptures peintes en jaune. Tritons, nymphes, faunes : ce bestiaire, qui arborait les traits du classicisme le plus achevé, avait été recouvert d’un jaune minium particulièrement criard. Ces reproductions, car il s’agissait de moulages, avaient été exécutées à partir de la statuaire d’un château du XVIIIe siècle, sis dans les environs de Montpellier. Visiblement, cette série fluorescente avait été dispersée sur la place à l’instigation de la municipalité. Au bas de chacun des moulages, « l’artiste » avait signé son nom en majuscules.

Nous fûmes immédiatement frappés par la laideur de ces productions. Une laideur qui s’illustrait moins par leur facture – des moulages grossiers peints en fluo – que par ce qu’elle révélait de l’absence de talent de son auteur. Ces choses trahissaient l’impuissance d’un individu qui aurait été incapable de sculpter quoi que ce soit. Quant au jaune, il ne servait qu’à choquer le bourgeois, ce pont-aux-ânes de l’art contemporain et, dans un geste trahissant la crainte de son auteur de voir son insignifiance révélée, à attirer le chaland à la façon du plus vulgaire des bateleurs. Sans ce badigeon, la plupart de ceux qui traversaient la place n’aurait pas accordé un regard à ce pénible fatras.

Plus tard, assis à la terrasse d’un café, je réalisais que ces moulages réunissaient tous les stigmates des activités prétendument artistiques de notre époque : la préférence que le milieu artiste, à l’image des autres sphères de la société, accorde à la copie au détriment de l’original ; la réplication sans talent, et jusqu’à la nausée, du coup de Marcel Duchamp ; un sens certain de l’auto promotion ; des réalisations si pauvres qu’elles doivent dissimuler leur nullité en phagocytant les œuvres d’un autre, arrachant ainsi un semblant d’éclat à sa virtuosité, tout comme les coucous qui pondent leur œuf dans le nid d'autres oiseaux. Parmi mille exemples, je pensais à l’exposition que Jeff Koons avait réussi à imposer au château de Versailles en 2008 : l’habile faiseur avait noyé la vulgarité de ses productions dans le décor Grand Siècle du château. Je me souvenais de la déplaisante impression de souillure que m’avait laissé les images de ce squat institutionnalisé. J’en concluais que le véritable coucou, lui aussi, ne devait pas manquer de conchier les nids qu’il occupait.

Ma chérie me fit alors remarquer que l’art conceptuel, autre émanation maladive de cette impuissance à créer, échappait à ma définition. Je lui rétorquais qu’il nous suffisait d’aller dans n’importe qu’elle exposition de ce genre pour réaliser que cette activité obéit aux mêmes règles que celles qu’avait suivi notre artiste municipal. Face à une chaise posée là, à des gravats jetés ici, à un tas de riz accumulé là-bas, à une banane scotchée sur un mur ou à un clou planté dans une pomme, se manifeste un identique manque de talent qui oblige ces piètres recycleurs à étayer leurs réalisations avec des cartels dont le style amphigourique n’a rien à envier à celui des petits escrocs du savoir qui, à l’université comme ailleurs, dissimulent leur incapacité à penser derrière des mots abscons.

J’ajoutais que la majorité des productions artistiques contemporaines, enfants d’une époque ayant fait du retour sur investissement son credo, me faisait penser à l’alimentation industrielle. Sa composition, calculée pour harponner le palais du consommateur, nécessite des produits aussi vite avalés qu’oubliés. Médiocres, hors sol, constitués de poisons dont les effets retards ne se voient que trop sur la santé d’une partie grandissante de la population, ils contribuent à couper les derniers liens que nous avons avec la vie dans sa présence la plus élémentaire. Barquettes surgelées, tableaux ou sculptures : aujourd'hui, l'idée même d'authenticité s'étiole quand on ne sait plus quel est l'original, l'essence, la substance par rapport à laquelle la situation critiquée constitue une déchéance appelée aliénation ou inauthenticité.

Ma moitié fit mine de s’inquiéter : existe-t-il encore de nos jours un art véritable ? Je la rassurais. Des créateurs œuvrent toujours, loin des abstractions réchauffées et des productions « déconstruites ». Aujourd'hui encore, il est possible de se réjouir et de garder forme humaine auprès d'auteurs comme Arno Schmidt, Roberto Bolano mais aussi, plus près de nous, David Bosc, Ahmed Zitouni ou Emanuele Trevi. Nous illuminent également les peintures d'un Zoran Music, d'une Toyen, les sculptures de Louis de Verdale, les mélopées calcaires d'un Jean-Marie Massou, les dessins de Catherine Garrigue. Et tant d'autres...

Ces poètes ordinaires, peintres du dimanche, sculpteurs du mercredi, cultivent un art aux formes parfois traditionnelles mais attentif aux fractures de la négativité. D’autres, dans un passé plus lointain, nous ont laissé un poème, une chanson, ou une sculpture qui « représentent peut-être le véritable art subversif – ne serait-ce que parce qu’ils nous rappellent toute la richesse qualitative de l’expérience humaine précédant l’uniformisation quantitative opérée par la marchandise capitaliste, et toutes les promesses d’émancipation et de bonheur qui y étaient implicitement contenues1 ». 

Ces œuvres, qui nous aident à vivre avec un minimum de dignité, ont ceci de remarquable qu’elles ne nous transforment jamais en spectateur mais nous offrent, par la puissance d’impact de leur beauté, la force de faire face au gouffre vers lequel nous courons. Car aujourd’hui, l’art véritable ne peut plus être le simple reflet de nos vies dépossédées ; ce qui aura été dénoncé avec raison en son temps a été récupéré par le Capital pour devenir une valeur en soi, une manière d’accepter notre défaite. Semblable à une effraction, l’art véritable, lui, nous ouvre un horizon qui nous permet d’échapper à ceux qui tentent de nous convaincre qu’il n’y a pas de porte de sortie autre que la participation à la marchandisation de tout et de tous. Comme le remarque Annie Le Brun, en dévoilant leurs mensonges, l’art nous aide à lutter contre le reconfiguration de notre sensibilité et à la colonisation de nos paysages intérieurs par l’incessant bombardement d’images, de signes et de marchandises auquel nous sommes soumis2. Loin de nous réifier, il nous donne les armes d’une somptueuse dialectique de l’âme.

Certes, dit ma darling, mais lorsqu’on se pique de création, il n’est pas facile d’exister après l’impressionnisme et les révolutions formelles qui ont eu lieu entre 1910 et 1930 ; et l'obtention d'un diplôme national supérieur d’art plastique ne garantit guère le talent.

De fait, notre existence, sous le drapeau spectaculaire, a été dépouillée de tout ce qui pouvait la rendre passionnante. Les instruments de ce rapt sont connus : le salariat ; le saccage de nos lieux de vie par l'urbanisation ; la destruction des anciens savoirs et des vieilles civilités ; la réduction de la raison à un simple mécanisme d'optimisation de notre employabilité ; la fin de notre autonomie ; un quotidien qui n'est plus rythmé que par les horloges de la marchandise ; la technologie qui, dans sa marche prométhéenne, a fait de nous des singes malhabiles retranchés de la nature, des poids morts pour un système qui s'agace de plus en plus de notre fragilité. 

L'envahissement du moindre compartiment de notre vie par la logique du Capital a réduit ce qui vaut la peine d'être vécu, et donc transmis. Nos esprits s'étiolent, nos aventures, ou quel que soit le nom charitable que nous leur donnons, ressemblent à celles vantées par les dépliants publicitaires. Comme le remarquait un des plus féroces contempteur de notre temps, toutes les idées sont vides quand la grandeur ne peut plus être rencontrée dans l'existence de chaque jour. Et puis, que raconter quand le vocabulaire s'appauvrit et qu'il n'est plus apte à traduire, par exemple, les événements époustouflants d'une semaine de congés payés ? Aujourd'hui, comme la majorité des artistes et des spectateurs partagent la même pauvre vie, il est peu probable que "l'art des dernières années représente l'apparition sensible de la vérité ou au moins une expression aussi concentrée et aussi consciente de leur époque que le furent la littérature, les arts visuels et la musique des premières décennies du siècle3". La stagnation de l'art moderne correspond à la stagnation et au manque de perspectives de notre société.

Il faut vraiment être salarié d’une institution culturelle pour ne pas voir que la pratique artistique actuelle n’est plus qu’un commerce baratté par une majorité de faisans et d’habiles pompeurs de subventions. Une terre gaste où s’ébattent d’inénarrables porte-serviette de la DRAC, galeristes, communicants et élus de tout poil dont l’absence de culture personnelle permet les plus aberrantes gabegies. Absorbé par le devenir-marchandise de tout ce qui nous entoure, l’art a généré ses propres consommateurs, à l’image de ces milliardaires qui, sans autre talent que celui de la prédation, arborent la livrée risible du pigeon. Hébétés par leur avidité, ces caves, pathologiquement incapables du plus petit potlatch et donc du moindre goût, exposent dans leur dogana dépoétisées les arnaques les moins contournées de ce siècle. Spéculant sur ces néants, ces handicapés de la perte poursuivent avec une affreuse logique l’enlaidissement et la destruction de notre monde. Nous sommes loin de Jacques Doucet, couturier, collectionneur et mécène, qui sut faire oublier, un instant, l’obscénité de sa fortune en louant les services d’un André Breton pour constituer l'une des plus belles collections de ce pays. Décidément, conclut en ricanant ma très chère, même nos riches ne sont plus ce qu’ils étaient…


1 Anselm Jappe, Un complot permanent contre le monde entier, Essais sur Guy Debord, L’Echappée, 2023.

2 in Cultures mondes, mardi 12 juin 2018, France Culture.

3 Anselm Jappe, idem.

 

mercredi 12 avril 2023

Le panier de la ménagère


Selon l'ONU, les prix de l'alimentaire ont chuté de 20,5% en un an dans le monde. Au même moment, ils flambaient de 15,8% en France, selon l'Insee. Ce même Insee qui observait récemment une nette hausse des bénéfices de l’industrie agroalimentaire fin 2022...

 

mardi 28 mars 2023

Bloquer ou le devenir hubiste des luttes : dont acte

Trouvé sur le site Médiapart, la suite, en acte, de notre article du 24 mars dernier :

"A l’aube, près de Marseille, deux cents salariés bloquent une zone d’entrepôts tentaculaires. Dès 4 heures du matin, salariés, étudiants et gilets jaunes ont bloqué mardi la zone logistique de Saint-Martin-de-Crau, l’une des plus importantes d’Europe, pour protester contre la réforme des retraites."

Elena Rozanova

Franz Schubert : Erlkönig 

Transposition de Franz Liszt 


dimanche 26 mars 2023

Temps & Espace


Prisonnier d'un univers où l'espace a pris la place de la durée, l'homme du monde réifié ne peut pas comprendre l'histoire en tant qu'expression de créativité et de spontanéité. Dès lors, le fait indéniable du changement s'impose à cette "conscience de l'immédiateté" comme une catastrophe, comme un changement brusque venant de l'extérieur et excluant toute médiation.

Joseph Gabel, La fausse conscience