jeudi 9 avril 2020

Le vert paradis des amours enfantines




Je me lance dans le jour aveuglant. Je marche à pas de loup pour ne pas effaroucher cette paix reconquise, ce pays de clémence unanime où je ne pénètre encore qu'en intrus. A quoi bon tant de prudence ? La voie est libre, cette terre m'accueille à bras ouverts. Les bûcherons des Arpents, s'ils chantent lointainement entre leurs coups de cognée, c'est pour me saluer : eux n'ont pas quitté leur besogne, n'ont pas rompu leurs attaches, pas trahi.

J'avance avec précaution, comme sur un immatériel fil d'équilibriste. Notre maison – je l'aperçois de loin – est intacte. Les noirs bombardiers n'y ont pas touché parce qu'elle s'élève en un espace que les bombes n'atteignent et n'atteindront jamais. Mon coeur bat à éclater, mais il ne peut éclater, même de joie : que signifie la mort, ici ? Je passe la murette du jardin, me dissimule sous les groseillers.

Germaine coud, en chantant, devant la fenêtre grande ouverte de la salle à manger. Seule. Paisible. Patiente. Le menuisier perpétuel continue à planter ses clous, au village. Germaine lève la tête, regarde dehors comme si elle attendait quelqu'un ou quelque chose, mais sans grand souci.

Son visage désespérément poursuivi sur d'autres femmes, en d'autres femmes, je l'ai devant moi. Inimitablement vrai, aussi véridique que mes douze ans ressuscités. Alors, je n'y tiens plus, je cours vers la fenêtre.
Maimaine !

Sans hâte, elle pose son ouvrage, file dans l'entrée, ouvre la porte qui donne sur le jardin. La voici sur le seuil, les bras tendus, radieuse.

Mais il y a encore entre nous une distance incommensurable d'après nos mètres, une durée que n'évaluent pas nos horloges.
Sa voix se répercute sous des voutes orphiques.
Oh ! Steve, tu en as mis un temps pour revenir de la pèche !...


André Hardellet, Lourdes, lentes...


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