On
pourrait en rire s'il n'y avait des morts : cette découverte, par
beaucoup, de l'action délétère du capitalisme. Comme si
l'irruption de ce virus sur la scène de notre confort avait décillé
des millions de yeux fermés, hier encore, par un déni aux
proportions aussi colossales que les procédés de décervelage qui
ont court depuis bientôt cinquante ans. Vu d'ici, le Spectacle aura
donc accouché d'un rejeton terrible qui laisse crus et nus ceux qui
ont voulu croire à ses mirages.
Cet
effarement s'exprime par réseaux sociaux interposés : on villipende
l'incurie et le cynisme criminel des gouvernants avec des yeux
qu'agrandissent aussi bien la colère que la surprise. On découvre
que ces tristes criminels n'ont cessé de "mettre aux fictions
profitables un masque de nécessité". On apprend que ce virus,
loin d'être une punition divine, est le produit de notre expansion
forcenée et des développements de l'agrobusiness. Un journaliste,
qui avait tant oeuvré pour être en cour, s'oublie. La peur aidant,
il fiente un "connard" à destination d'un gouvernement,
hier si révéré, dans un article qui n'ose pas encore (cela
viendra) être autrement que contourné. Ce qui, depuis des années,
était l'évidence pour qui faisait preuve d'un minimum d'esprit
critique, apparaît aujourd'hui au plus grand nombre dans une
mortelle clarté. Le capitalisme détruit. Quelle découverte. On en
parlera au reste de la planète.
Etrillés
par la peur, ces nouveaux coléreux font appel à l'Etat et à la
science, qui ont su, chacun le constate aujourd'hui, si bien nous
enférer dans ce cloaque. D'autres, sans doute moins nombreux,
réalisent in vivo ce qu'un marxisme un peu conséquent, ou un
habitant d'un de ces pays dont les sous sols regorgent de ressources,
sait : que l'Etat s'est fait depuis fort longtemps l'allié objectif
du Capital et qu'il compte pour rien le prix de la vie humaine.
Alors
? Alors, il y a des scandales. Il y en aura d'autres. La colère
monte autant que la peur. Quelle forme cela prendra t-il à la décrue
de l'épidémie ? Cette colère, ces constatations, cette nudité aux
formes obscènes que le virus à révélé des dirigeants,
resteront elles dans les esprits ? En seront-ils fécondés ? Ou
bien, les pénuries et "l'état de nécessité", déjà si
fortement annoncés, qui vont s'accumuler pousseront ils à accepter
ou réclamer de nouvelles formes d'asservissement, pour sauver ce qui
peut l'être de la survie garantie ? C'est à craindre.
Quoi
qu'il en soit, ne nous y trompons pas : l'extinction finale vers
laquelle nous entraîne la perpétuation de la société industrielle
constitue notre avenir. Cette épidémie n'en est qu'un des actes,
pas forcément majeur – pour nous en convaincre, demandons, avec
pudeur, ce que pensent de notre grippe et de notre confinement les
populations africaines confrontées à Ebola et au SIDA depuis des
années. On ne peut dire les choses autrement : nous y sommes. Au
pied d'un mur que nous avons construit, ou laissé construire. La
fameuse "sortie de crise", toute temporaire, pas
d'illusion, nous placera, pour une fois, devant une alternative assez
simple : continuer comme avant, en attendant la suite (que l'on sait
maintenant assez massacrante), ou mettre à bas ce qui nous tue,
littéralement. By any means necessary.