mercredi 30 octobre 2019

La réification

 

L’essence de la structure marchande a déjà été souvent soulignée ; elle repose sur le fait qu’un rapport, une relation entre personnes prend le caractère d’une chose, et, de cette façon, d’une « objectivité illusoire » qui, par son système de lois propre, rigoureux, entièrement clos et rationnel en apparence, dissimule toute trace de son essence fondamentale : la relation entre homme. 

Georg Lukács, Histoire et conscience de classe



lundi 21 octobre 2019

L'hôtel de la plage



Alors que nous voilà sur le point de disparaître, sacrifiant la Nature et ce qui fait société sur l’autel du retour sur investissement, des philosophes, ou se proclamant tels, brodent de livres en blogs sur leur désengagement. On les voit ainsi hausser le sourcil face au militant, ce factotum des Grands soirs, ce piéton parfois lourdingue des horizons programmés, ce sans grade sacrifiant le plus précieux de lui même pour des causes qui, parfois, valaient la peine. 
 
L’exercice date des Trente glorieuses. La figure honnie du militant est née chez les Situs. D’abord utile à dénoncer l’abrutissement stalinien et ses rhizomes, elle fut vite récupérée par le système comme un instrument utile de démobilisation. De savoir penser par soi-même, hors de la ligne d’un parti, jusqu’à l’excellente raison de ne plus faire grand-chose... le chemin fut vite accompli. Et certains, à la façon d’un Oscar Wilde, auraient pu reprendre à leur compte cette célèbre antienne : « Je suis pour le socialisme, ce qui m’ennuie c’est les réunions le soir ». 
 
Quant à nos philosophes désengagés (Comte-Sponville, Schiffter, Ferry, Glucksmann, Rosset, Enthoven et alii), et visiblement accros à l’après-shampoing, nous viennent ces paroles de Diogène : « A quoi peut bien nous servir un homme qui a déjà mis tout son temps à philosopher sans jamais inquiéter personne ? ».


jeudi 10 octobre 2019

L'évidence

Une entreprise qui créé des emplois

Comme le fait remarquer, fort justement, Frédéric Lordon dans son article du 7 octobre, "Détruire le capitalisme avant qu’il ne nous détruise (à propos de Lubrizol)" :  " On se croyait en start-up nation. On se retrouve à Tchernobyl. Qu’en un instant tout le glamour de pacotille de la Station F et des écrans tactiles s’écroule pour faire revenir d’un coup des images d’URSS n’aura pas été le moindre des paradoxes de l’explosion Lubrizol.

Il faut pourtant s’y rendre : des pompiers envoyés en toute méconnaissance de ce qui les attendait, avec pour tout équipement « spécial » de pauvres masques de bricolage pareils à ceux des manifestants, à piétiner des heures dans la sauce qui troue les bottes et leur promet des pieds comme des choux-fleurs — et tout ceci, parfaite ironie, alors que la série Chernobyl venait de remporter un succès de visionnage bien fait pour consolider la commisération réservée aux régimes soviétiques et le sentiment de supériorité capitaliste (au prix tout de même de devoir oublier que Tchernobyl était en sandwich entre Three Miles Island et Fukushima).

Emmanuel Macron, un président de StartUp nation

Mais plus encore que les bottes et les masques, il y a le mensonge, le mensonge énorme, le mensonge partout, sans doute le propre des institutions en général, mais la marque de fabrique de ce gouvernement qui, en tous domaines, l’aura porté à des sommets inouïs. Jusqu’au stade de la rodomontade obscène : si elle avait été rouennaise, nous assure Sibeth Ndiaye, « elle serait restée ». On croirait entendre un secrétaire régional du PCUS d’Ukraine juste avant de fourrer d’urgence sa famille dans un autocar — mais les images de CRS en masque à gaz pendant que le préfet assurait de la parfaite normalité de la situation avaient déjà tout dit.

Warren Buffet, un propriétaire heureux

Sibeth Ndiaye n’a pas eu à « rester » puisqu’elle n’était pas là. Mais il n’est pas trop tard pour un acte de bravoure rationnelle, et il est encore temps d’y aller ! On peut même l’aider : un « Pot commun » devrait rassembler sans difficulté de quoi lui offrir une semaine dans un Formule 1 des environs, avec vue sur le sinistre et cadeau de bienvenue, une bouteille de Château Lapompe, directement tirée au robinet, un peu grise sans doute mais assûrement goûteuse, en tout cas certifiée potable par toutes les autorités. "

 Isabelle Striga, une directrice générale et Laurent Bonvallet, un directeur de site. 

La suite est  ici sur le site du Monde Diplomatique.

Un homme d'entre deux



Une petite église de campagne vous remet d'aplomb. Pourvu qu'elle soit vide. Sans curé. Sans homme. J'en connais.

Georges Perros


 

mardi 8 octobre 2019




A Rouen, l'usine Lubrizol continue à distiller ses poisons. Le site Révolution permanente a interviewé un ancien employé de l'entreprise. Ses propos confirment toutes les craintes que l'on peut avoir sur cette catastrophe. Une fois encore, on y décèlera sans peine la logique d'Etat (et du Capital) qui a produit ce délétère enchaînement des causes.

Highwomen, of course


A écouter cette reprise du Fleetwood Mac par The Highwomen, on modifiera un tantinet son jugement sur la country, genre prétendument peuplé de bourrins consanguins étoilés à l'alcool de contrebande. The chain, ici bonnement exécuté, donne envie d'écouter plus avant ce quatuor de dames.


 

jeudi 3 octobre 2019

Il n'y a pas de fumée sans feu



L'homme se dresse fièrement tout en haut de la pyramide du progrès universel, et en posant dessus la clé de voûte de sa connaissance, il  a  l'air d'apostropher la nature soumise alentour : « nous sommes au but, nous sommes le but, nous sommes la nature achevée ». Européen superfier du dix-neuvième siècle, tu as la tête qui fume ! Ton savoir n'achève pas la nature, mais il tue la tienne.


Friedrich Nietzsche, Considérations inactuelles


mardi 1 octobre 2019

Préfecture



Dans un billet du 31 janvier 2018, nous avions évoqué la façon dont certaines préfectures sont autorisées à déroger aux normes réglementaires concernant l’environnement, l’agriculture, les forêts, l’aménagement du territoire et la politique de la Ville, la construction de logements et l’urbanisme. 

Nous citions alors le décret N° 2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif à l’expérimentation territoriale d’un droit de dérogation reconnu au préfet. Celui-ci visait à « évaluer, par la voie d’une expérimentation conduite pendant deux ans, l’intérêt de reconnaître au préfet la faculté de déroger à certaines dispositions réglementaires pour un motif d’intérêt général et à apprécier la pertinence de celles-ci. A cet effet, il autorise, dans certaines matières, le représentant de l’Etat à prendre des décisions dérogeant à la réglementation, afin de tenir compte des circonstances locales et dans le but d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques ». 

En juin 2018, le gouvernement publiait un décret réduisant le périmètre des projets soumis à évaluation environnementale. Parmi les installations concernées figuraient les installations "Seveso". Malgré leur dangerosité, l'exécutif décida de soustraire les modifications de ces établissements à une évaluation environnementale systématique pour les soumettre à une procédure d'examen au cas par cas.
 
On apprendra ainsi que la préfecture de Seine Maritime, profitant de ces "assouplissements de la réglementation" autorisait, en début d’année, une augmentation des capacités de stockage de produits dangereux de l’usine Lubrizol de Rouen à l’origine de la catastrophe. L’article d’Acti environnement, dont nous avons repris certains éléments, explique ce sinistre enchainement des causes...

Rouen, colère noire




Nous venons d’entendre le préfet de Seine-Maritime déclarer que l’état de l’air à Rouen était «habituel». C’est à se demander d’où il parle pour ne pas sentir, selon la direction et la force du vent, selon les quartiers, cet air irrespirable qui nous asphyxie, s’infiltre dans nos poumons, nos maisons, nos bureaux, nos lieux de travail, irrite nos gorges, nos yeux, nous provoque des migraines, nous fait parfois vomir et nous réveille la nuit. Cette affirmation est insoutenable car elle fait passer pour des hystériques ou des mystificateurs ceux, nombreux, qui continuent de subir cette odeur suffocante dans une atmosphère toujours saturée à l’heure où nous écrivons…

Des centaines de milliers de personnes à Rouen et ses environs, légitimement inquiètes, se sentent méprisées par la suite de communiqués qui prétendent que tout est sous contrôle. «Dormez tranquilles braves gens, les relevés n’indiquent rien d’anormal.» L’empressement avec lequel on cherche à nous rassurer en oubliant les simples mots de compassion, de sollicitude après ce traumatisme ! Et aujourd’hui on nous assure que tout est normal. Comme dans la chanson de Fontaine et Areski. Si c’est vraiment le cas, changez vos méthodes et vos outils de mesure, car il y a un vrai problème.

Nos enfants respirent un air malsain, insalubre depuis des jours. Certains de nos jardins sont noircis d’hydrocarbures rendant les cultures de nos potagers impropres à la consommation. Pour combien de temps ? Nous y trouvons des morceaux d’amiante, des débris non identifiés, de fines poussières jaune-vert. Nos maisons sont tachées de suie noirâtre. Nous toussons, nous respirons mal. Les plus fragiles sont hospitalisés. Quand nous le pouvons, nous fuyons pour chercher l’air sain auquel tout citoyen devrait avoir droit.

Notre ville, dont l’embellissement récent nous rendait heureux, et où nous aimons vivre, est souillée, abîmée, noircie, «clairement polluée». Agnès Buzyn, ministre de la solidarité et de la santé, venue faire ce constat de l’évidence, nous dit : «Il faut se laver les mains, et il faut nettoyer.» Est-ce cela le plan du gouvernement après une catastrophe industrielle Seveso ? Se laver les mains et nettoyer ? C’est à nous Rouennais et habitants de l’agglomération de décontaminer notre ville ? Nos jardins ? Nos champs ?
Vous n’avez rien d’autre à nous dire ?

Expliquez-nous pourquoi nous ne savons toujours pas de quoi est composé l’air que nous avons respiré depuis jeudi matin ?
Expliquez-nous pourquoi, puisqu’il existe sur le secteur de Lubrizol un Plan de prévention des risques technologiques piloté par la Dreal Normandie et que ce type de plan s’applique aux zones présentant des risques majeurs, comme c’est évidemment le cas d’une usine classée Seveso, rien n’ait, semble-t-il, été mis en œuvre en conséquence vis-à-vis des populations dès le déclenchement de l’incendie ?
Expliquez-nous pourquoi, si tout est si normal, des policiers travaillent avec des masques à gaz ?
Expliquez-nous comment il est possible qu’un site Seveso puisse être recouvert d’amiante ?
Dites-nous quelles dispositions le gouvernement va prendre pour organiser le suivi épidémiologique de toute la population des villes touchées par ce nuage toxique de 22 kilomètres de long et 6 km de large ? S’il a l’intention de le faire ?
Expliquez-nous comment une usine classée Seveso seuil haut peut exister à 500 mètres d’un centre-ville avec un bassin de population aussi important, en face d’un futur écoquartier ?
Expliquez-nous pourquoi un arrêté préfectoral suspend pour 112 communes collecte du lait, d’œufs, de miel, livraison d’animaux, interdit les récoltes, mais nous, habitants, aurions respiré un air qui ne serait pas particulièrement dangereux ?
Que dites-vous aux agriculteurs, aux éleveurs, aux maraîchers, aux apiculteurs ? Dont pour certains l’activité économique est déjà en péril ? Que dites-vous aux malades ? Aux femmes enceintes ?
Que dites-vous aux salariés de l’usine, vivant souvent près du site, désormais au chômage technique, également secoués par cette catastrophe ? Aucun mot n’a été prononcé publiquement à leur égard.
Que dites-vous aux professionnels du tourisme qui reçoivent des annulations en série ?
Que répondez-vous aux médecins qui s’alarment de découvrir les taux affolants de plomb et autres métaux lourds auxquels nous avons pu être exposés ?

Les conséquences immédiates et à venir de ce désastre sont si nombreuses que nous ne pouvons pas toutes les énumérer. Mais nous enrageons de recevoir si peu d’égards, de soutien, et surtout d’informations claires. Sur ce qui s’est passé et ce qui va se passer à l’avenir.

Par ailleurs, nous avons entendu le président de Lubrizol, Frédéric Henry, dire que le secteur de l’usine où l’incendie s’est déclenché était un lieu de stockage, sans activité industrielle, et donc qu’il ne faisait pas partie des secteurs du site où l’entreprise avait anticipé d’éventuels accidents dans ses scénarios et exercices de crise. Si nous avons bien compris son propos, il nous semble grave.

Nous, Rouennais, ou liés à cette ville, habitants des villes environnantes, signataires de ce texte demandons :

- La reconnaissance de l’état de catastrophe technologique.
- Une refonte totale de la législation concernant tous les sites Seveso sur le territoire français en tenant compte de l’avis des premiers concernés : les habitants. Car soyez bien certains que cette catastrophe se reproduira. A Rouen, où nous vivons sur un baril de poudre, ou ailleurs.
- Une réponse gouvernementale à la hauteur de ce qui a eu lieu : une catastrophe majeure.
- Et enfin, que les dirigeants de l’usine Lubrizol dont les prises de paroles depuis jeudi sont affligeantes de lâcheté et de cynisme soient mis le plus vite possible devant leurs responsabilités qui sont immenses.