mercredi 27 avril 2016

Air du temps



Par nature, le Bourgeois est haïsseur et destructeur de paradis. Quand il aperçoit un beau Domaine, son rêve est de couper les grands arbres, de tarir les sources, de tracer des rues, d'instaurer des boutiques et des urinoirs. Il appelle ça monter une affaire.

Léon Bloy, Éxégèse des lieux communs
 
 

jeudi 21 avril 2016

Sous le ciel d'un été précoce



Il ne faut pas rêver du départ mais le prendre, certain qu'en cours de route deux, trois, voire quatre jolis petits miracles s'accompliront.


jeudi 14 avril 2016

Proposition




Si le mouvement actuel de contestation de l'ordre établi devait se trouver un symbole, un étendard, voire même une oriflamme derrière laquelle se rassembler, je suggérerais cette très humaine main négative. Simple à reproduire, à imprimer, à taguer, à arborer ou à brandir, cette main là – que l'on en fasse un poing ou une paume accueillante – me semble propre à accomplir de belles choses.


mercredi 13 avril 2016

Le désir était un étonnement.

 

M., le 13 avril 2016.

Après la courbe, le chemin de terre se fait plus large. J'arrive bientôt en vue du village qui s'annoncera entre deux bouquets de châtaigniers. Avec le printemps, le paysage s'offre des teintes juteuses qui me vont droit à l'âme. Il n'est plus très loin de sept heures car j'entends l'angélus sonné par la petite église de M. J'ai bien marché, ma jambe gauche me tire un peu. La pensée de l'âge venant, je me souviens de crépuscules semblables où les filles jouaient avec nous dans le soleil couchant alors que tout se poudrait d'or, de la pointe des arbres à l'appel de nos mères pour le dîner. La nuit venue, les étoiles filaient nos songes à la façon d'une couverture et au matin, le ciel offrait un bol de mystères qu'il importait peu de résoudre car nous nous échappions bien vite pour la journée. Au pied des fermes, les chiens endormis reflétaient la paix de nos âmes. Dans les bois, escortés de fougères, nos baisers ne poussaient pas à grandir. Le désir était un étonnement. Le temps avait la courbe d'un sein.


dimanche 10 avril 2016

mercredi 6 avril 2016

Corvéables à merci


L’essence de la société (…) est d’exempter le riche du travail : c’est de lui donner de nouveaux organes, des membres infatigables, qui prennent sur eux toutes les opérations laborieuses dont il doit s’approprier le fruit. Voilà le plan que l’esclavage lui permettait d’exécuter sans embarras (…)
 
En supprimant la servitude, on n’a pas prétendu supprimer ni l’opulence, ni ses avantages. On n’a pas pensé à remettre entre les hommes l’égalité originelle ; la renonciation que le riche a faite à ses prérogatives, n’a été qu’apparente. Il a donc fallu que les choses restassent, au nom près, dans le même état. Il a toujours fallu que la plus grande partie des hommes continuât de vivre à la solde, et dans la dépendance de la plus petite, qui s’est approprié tous les biens. La servitude s’est donc perpétuée sur la terre, mais sous un nom plus doux. Elle s’est décorée parmi nous du titre de domesticité. C’est un mot qui sonne plus agréablement à l’oreille ; il présente à l’imagination une idée moins affligeante, et il ne signifie cependant à le bien examiner, qu’une insulte plus cruelle faite à l’humanité (…)

Il est libre, dites-vous ! Eh ! Voilà son malheur. Il ne tient à personne : mais aussi personne ne tient à lui. Quand on en a besoin, on le loue au meilleur marché que l’on peut. La faible solde qu’on lui promet, égale à peine le prix de sa substance pour la journée qu’il fournit en échange. On lui donne des surveillants pour l’obliger à remplir promptement sa tâche ; on le presse ; on l’aiguillonne de peur qu’une paresse industrieuse et excusable ne lui fasse cacher la moitié de sa vigueur ; on craint que l’espoir de rester plus longtemps occupé au même ouvrage, n’arrête ses bras, et n’émousse ses outils. L’économie sordide qui le suit des yeux avec inquiétude, l’accable de reproches au moindre relâche qu’il paraît se donner, et s’il prend un instant de repos, elle prétend qu’il la vole. A-t-il fini, on le renvoie comme on l’a pris, avec la plus froide indifférence, et sans s’embarrasser si les vingt ou trente sols qu’il vient de gagner par une journée pénible, suffiront à sa subsistance, en cas qu’il ne trouve pas à travailler le jour d’après (…)

Il est libre ! C’est précisément de quoi je le plains. On l’en ménage beaucoup moins dans les travaux auxquels on l’applique. On en est plus hardi à prodiguer sa vie. L’esclave était précieux à son maître en raison de l’argent qu’il lui avait coûté. Mais le manouvrier ne coûte rien au riche voluptueux qui l’occupe. Du temps de la servitude le sang des hommes avait quelque prix. Ils valaient du moins la somme qu’on les vendait au marché. Depuis qu’on ne les vend plus, ils n’ont réellement aucune valeur intrinsèque. Dans une armée on estime bien moins un pionnier, qu’un cheval de caisson, parce que le cheval est fort cher, et qu’on a le pionnier pour rien. La suppression de l’esclavage a fait passer ce calcul de la guerre dans la vie commune.

 Henri Linguet, Théorie des lois civiles ou principes fondamentaux de la société (1767)


Merci à J.L. et M.B. pour leur envoi.

lundi 4 avril 2016

Carte de loin (4)


M., le 2 avril 2016.

Je suis arrivé à M. par la petite route du bas. Je n'ai croisé personne dans la rue principale. Le printemps n'était pas assez là pour poser sa chaise devant la porte et la plupart de ceux que je connais étaient aux champs. J'ai laissé mon sac au pied d'un des marronniers de la place, juste en face du monument aux morts et, comme je le fais chaque fois que j'arrive dans une localité, je suis allé déchiffrer le nom des tués de 14-18. J'y ai retrouvé deux cousins et j'ai calculé qu'un tiers des hommes de la commune n'était pas revenu de cette boucherie. 

Après avoir lu une dernière fois la liste des noms gravés sous les pieds du poilu, je suis allé m'asseoir près du marronnier. Nous étions en pleine période de commémoration de cette guerre et j'ai pensé à la lettre qu'écrit le Commandant Delaplane à Irène de Courtil à la fin du film de Bertrand Tavernier La Vie et rien d'autre. Je me suis dit qu'elle esquissait le seul hommage que nous pourrions rendre à ces hommes ainsi assassinés au lieu de la bouillie médiatisée et patriotarde que l'on connaît. 
 
« Post-scriptum : c’est la dernière fois que je vous importune avec mes chiffres terribles. Mais par comparaison avec le temps mis par les troupes alliées à descendre les Champs-Elysées lors du défilé de la Victoire, environ trois heures je crois, j’ai calculé que, dans les mêmes conditions de vitesse de marche et de formation réglementaire, le défilé des pauvres morts de cette inexpiable folie n’aurait pas duré moins de onze jours et onze nuits. Pardonnez-moi cette précision accablante.
A vous, ma vie... »