Il faut lancer, non pas une «primaire» mais une
campagne de boycott de l’élection présidentielle pour délégitimer
la structure actuelle du pouvoir.
Pourquoi une «primaire» à gauche ? La première motivation de
ceux qui l’ont proposée est d’éviter de voir imposer à la
gauche un candidat calamiteux et qui a fait ses preuves. Il s’agirait
de donner à cette élection et donc, plus largement, à
l’institution de la présidence élective, davantage de légitimité
démocratique, en soustrayant le choix du candidat aux seules
manœuvres tortueuses de l’appareil des partis.
Ces objectifs sont largement illusoires. Quel que soit le candidat
choisi, on peut être sûr que, s’il est élu, il fera le contraire
de ce qu’il a promis. Et puis, ce n’est pas une primaire ouverte
qui conférera un caractère authentiquement démocratique à une
institution d’inspiration profondément bonapartiste. En France, le
pouvoir du président n’est limité par aucun contre-pouvoir réel,
surtout depuis que la réforme constitutionnelle, qui a ramené la
durée du mandat de sept à cinq ans, a pratiquement mis le
président à l’abri du risque de «cohabitation».
Mais, aujourd’hui, le caractère non démocratique - en fait,
antidémocratique - du système de pouvoir dans les pays développés
tient à des causes infiniment plus profondes que le vice des
institutions. C’est que le fonctionnement de la démocratie
représentative se trouve radicalement faussé : le président et
plus généralement les élus du pouvoir central agissent moins que
jamais en tant que mandataires de leurs électeurs mais en tant que
fondés de pouvoir du capital (les grosses sociétés, les banques et
leurs organes bureaucratiques), comme le démontrent les politiques
dites de «réforme» des gouvernements successifs. Certes, la
démocratie représentative constitue dans son principe même - la
représentation - une aliénation de la «souveraineté populaire» ;
et quant à son rôle de courroie de transmission des injonctions du
capital, il lui est consubstantiel. Mais la démocratie
représentative était née d’un compromis négocié dans le sang
des révolutions du XIXe siècle entre les exigences
dictatoriales du capital et l’aspiration profonde des couches
populaires à la maîtrise de leur vie et de leur destin collectif :
aux détenteurs et aux gestionnaires du capital, la domination des
rapports de production et d’échange et l’essentiel de la
richesse ; aux citoyens prolétaires, certains droits limitant
l’arbitraire capitaliste, une part, toujours à défendre, de la
richesse produite par eux, la responsabilité de maintenir la paix
civile et sociale, l’impôt du sang et une «souveraineté»
politique en grande partie formelle. Aujourd’hui, il semble que le
capital juge encombrantes ces institutions et parasitaire l’exercice
de la «souveraineté du peuple», même tenue en lisière par le
système représentatif…
La crise grecque a fait éclater au grand jour et avec une
évidence théâtrale la rupture de ce compromis. Les personnages y
ont joué crûment leurs rôles : mépris insondable des
gestionnaires du capital pour la «souveraineté populaire» et
inconsistance des représentants de celle-ci, qui se sont finalement
comportés comme s’ils étaient profondément convaincus de
l’insignifiance de leur légitimité démocratique…
Qu’on ne nous rabâche plus que capitalisme et démocratie
libérale - le couple suffrage universel et «droits de l’homme» -
sont génétiquement associés. Les contre-exemples abondent, à
commencer par celui de la Chine. Mais sans chercher si loin : quand
la France, les Pays-Bas et l’Irlande votent «mal», le pouvoir
n’en tient aucun compte ; quand la «sécurité» entre en jeu, ce
sont les pouvoirs de police qui se renforcent, et les libertés qui
trinquent.
On peut se demander si cette perte de consistance des institutions
prétendues démocratiques ne se répercute pas, chez ceux qui
peuplent ces instances, en une inconsistance intellectuelle et
morale. Le niveau des débats entre les candidats républicains à la
présidence du plus puissant Etat du monde a de quoi nous donner
froid dans le dos…
En France, on n’en est certes pas là, mais quelle médiocrité
! Face à l’énormité des problèmes ou des crises imminentes, une
rhétorique creuse, une sottise rusée. Alors, à quoi bon une
«primaire», si c’est pour avoir à choisir entre la peste et le
choléra, ou entre tel et tel petit politicard, d’un sexe ou de
l’autre.
L’impasse actuelle rend opportune une remise en cause du système
politique - ou antipolitique - existant. Il faut lancer, non pas une
«primaire» mais une campagne de boycott de l’élection
présidentielle pour délégitimer la structure actuelle du pouvoir.
Mais pour, du même coup, redonner un sens à la souveraineté
populaire, il faut aussi que ce boycott ne se limite pas à
l’abstention ou au vote blanc, mais débouche sur une intervention
démocratique positive et que les partisans du boycott se
regroupent, forment des comités et débattent, non pas du choix d’un
individu, qui irait exercer le pouvoir à notre place, mais des
transformations de l’organisation politique et sociale, qui
redonneraient à chacun d’entre nous les moyens d’une existence
décente et une prise sur notre destin collectif.
Par Hélène Arnold Traductrice Daniel Blanchard Ecrivain,
traducteur Jacques Blot Auteur, comédien Jacques Signorelli, Michel
Veyrières, Laurent Rivierretous sont d’anciens membres de
Socialisme ou Barbarie et Fabien Vallès Compositeur Claire Lartiguet
Professeure Richard Wilf Journaliste Jacques Duvivier Conseiller aux
prud’hommes Gianni Carrozza Animateur de «Vive la sociale» sur
FPP (106.3) Pierre-Do Forjonnel Enseignant retraité, ancien du
22 mars.
boycottactif@gmail.com
par le COMITÉ POUR UN BOYCOTT ACTIF DE
L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE