mercredi 16 décembre 2015

L'humidité et le mouvement

Petit garçon aux yeux d’adulte je quête, dès dix ans, une tendresse trouble chez les filles plus âgées que moi. Je sens vite combien mon apparence, associée à la précocité de mes questions, trouble celles que j’aime.
Agathe a quinze ans et un corps déjà fait. Agathe est blonde, avec des yeux marrons qu'effleure un strabisme divergent. Nous sommes assis, avec sept ou huit gamins, sous les marronniers de la place. Il y a l'ombre des arbres et celle de l'église fortifiée. Agathe est assise face à moi, le dos appuyé contre le marronnier, les genoux remontés. Je vois sa culotte qu’elle ne songe pas à me cacher. Agathe qui s’offre ainsi. Agathe que je suis sans cesse et qui me tolère à ses côtés. Agathe dont les amours me sont connues. Agathe qui protège cet enfant songeur, mouche du cœur agitée d’incompréhensions.
C’est l’été de l’enfance. Nous nous retrouvons dans la magie des jeux d’estive : cabanes, secrets, course dans les bois. Autour de nous, il y a le Ségala, un chevauchement de collines d'où sourd un bon millier de sources. Fougères, schistes argentés, hêtres et châtaigniers. Mes ancêtres ont leurs tombes ici, ces fosses nervurent le temps qui m'entoure depuis ma naissance.
Il y eut de beaux débuts : le curé du village, ancien missionnaire au Laos, a organisé un goûter dans la salle paroissiale. Les bouteilles de limonades sont posées sur la toile cirée avec la boîte en fer blanc des biscuits Lu. Nous sommes une quinzaine d’enfants de tout âge, piaillant, biscuit en main, les lèvres brillantes de sucre. Par la fenêtre, le jardin étend son herbe jusqu’au noyer. Derrière le mur, on aperçoit le dos du Christ et le poilu du monument aux morts. Le curé au visage rose slalome entre les enfants et tape dans ses mains en nous encourageant à manger et à boire.
Agathe et moi sommes assis dans un fauteuil. Nous ne buvons pas, nous ne mangeons pas. Serrés l’un contre l’autre, nous tenons, moi de la main gauche, Agathe de la main droite, une bande-dessinée. Mon bras libre est passé derrière son dos et ma main, glissée dans son soutien-gorge, palpe son sein. Nous ne nous regardons pas, nous n’échangeons pas un mot, les yeux fixés sur les images. Nous sommes sur une île où règne l'alliance d’un garçonnet et d’une jeune fille. Mon désir est si fixe qu’il arrête le temps et les sons de la fête.
Un autre jour, nous sommes cinq avec Agathe, filles et garçons, réunis pour regarder un film dans la cuisine de la maison familiale. Les parents sont absents. Nous avons fermé les volets pour « faire cinéma » et nous sommes assis autour de la table de chêne, face la TV posée sur l’ancienne cuisinière à bois.
Je suis le page d’Agathe, son préféré secret, le piètre qui a touché son sein. Je suis assis près d’elle. Il est normal qu’elle ait posé ses pieds sur mes cuisses pour s'asseoir plus confortablement. Normal que je pose mes mains sur ses chevilles et que, peu à peu, je ne prête plus attention au film parce que, sans qu’aucun regard n’ait été échangé, je me sente autorisé à remonter ma main jusqu’à ses mollets. Il est normal qu'enhardi par l’immobilité d’Agathe, je glisse ma main, les tempes battantes, jusqu’à ses cuisses. Normal, que cette main devienne le centre de mes sensations en poursuivant sa lente remontée pour sentir la chaleur augmenter à l’approche de son sexe. Normal que le bout de mon majeur, puis de mon index, touchent le coton de sa culotte et que, pendant toute la durée du film, je fasse aller et venir très doucement mes deux doigts d’évêque dans le sillon qu’ont creusé l’humidité et le mouvement.

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