Longtemps, il a été
facile de faire la nique au grossier chantage que composaient les
pseudo duels Mitterrand/Le Pen, Chirac/Le Pen puis, plus tardivement,
Macron/la fille du susdit. À cette trop visible entourloupe
s’ajoutait le peu de goût que nous avons pour la démocratie
participative et son cortège de carriéristes dopés à
l’indépassable horizon du Marché.
Et voilà qu’une
dissolution offre possiblement les clefs du palais Bourbon à des
fascistes. On ne glosera pas ici sur le niveau de cynisme,
d’inconscience et de suffisance de l’homme qui a pris cette
décision. Rien de surprenant chez ce coursier du Capital depuis que
nous avons le malheur de le connaître.
Penchons-nous
plutôt sur cette nouvelle séquence, sur ce choix à faire entre une
peste brune et un choléra aux couleurs aussi mélangées que
mélanchoniques.
D’un
côté, Méluche et ses ambiguïtés antisionistes, Méluche et sa
trouble indulgence pour le pays poutinien, son relativisme anti
universaliste, Méluche et l’agressive vulgarité de ses féaux,
leur arrivisme criard. Quant aux autres : poussières de sociaux
traîtres, ex-staliniens, écologistes d’opérette, et quelques
sincères pékins isolés dans cet hâtif bouillon…
Leur
programme ? Un gros plein des habituelles bonnes intentions :
abolition de la réforme des retraites, de l’assurance chômage et
de la loi immigration, etc. Quelques mesures, certes pas inutiles
pour celles et ceux, de plus en plus nombreux, qui en pâtissent,
mais qui n’aboliront pas le monde qui les a produit pour autant, au
contraire. Business as usual.
De
l’autre côté, le risque de voir une poignée de bandits accéder
aux manettes (peut-être moins libres qu’ils ne le croient quand on
observe la Méloni) pour instaurer, sous les yeux doux du Capital qui
se sera toujours historiquement accommodé de ce voisinage, un
régime, ou tout le moins des mesures, une atmosphère encore plus
délétère qu'aujourd'hui pour les amants de la liberté et de
l’autonomie.
N’en
doutons pas, même si ce bloc national n’hérite que d’une
majorité relative, ce score décomplexera moult citoyens dans leur
commune détestation de ce qui n’est pas eux. On repense, ici, au
récit que nous a fait un ami américain sur les lendemains de
l’élection trumpienne aux States et de l’attitude des MAGA (citoyens de base comme policiers) les
lendemains de celle-ci.
Bref,
si la clique macronienne n’aura eu de cesse de poursuivre le
travail de démantèlement social entamé par les précédentes
cliques mitterandiennes, chiraquiennes, sarkozardes et hollandistes,
nulle doute que le brun cliquet finira méchamment le boulot.
Toutes
ces interrogations, sur le vieux fond craquelé d’un
démocratisme parlementaire en phase de décomposition avancée. Tout
cela en pensant que si la classe politicienne dans son ensemble est
justement discréditée parce qu’aussi incapable que vendue au
Capital, le système dont elle fait partie constitue néanmoins la
part du lion de notre réel, une part qui a une influence non
négligeable sur notre quotidien, que l’on le veuille ou pas.
Surtout quand on est pauvre, noir, juif et borgne, comme le disait ce
bon vieux Sammy.
Alors ?
Alors,
incarnons.
Incarnons
un épicier, obligé par les circonstances de peser, de mesurer et de
supputer. Et voyons où ça nous mène.
Y-a
t-il, cette fois-ci, réellement danger, comme nous le claironnent
les médiatiques ? Faut-il alors confier notre bulletin à
l’autoproclamé Front Populaire, dans l'espoir d'éviter le bloc
nationaliste ? Doit-on céder à la vieille entourloupe ?
Sauver nos meubles déjà brûlés ? Penser aux copains, aux
copines, réfugiées sur cette terre gaste ? Ou doit-on parier
sur la possibilité d’un score mineur du bloc nationaliste ?
Invoquer un hypothétique « barrage républicain » ?
Rire de l’habituel jeu de tric-trac de nos politiques, toute
espèce confondue ? Se dire que quelle que soit la clique qui
accédera aux affaires, les nôtres n’empireront pas plus
rapidement qu’auparavant ? Que les pauvres ne seront pas plus
pauvres, que les salariés ne seront pas plus aliénés, que la
nature n’en sera pas plus dévastée, que les noyés de
Méditerranée
n’en boiront pas plus d’eau ? Qu’on peut donc
bouder l’urne comme avant et conserver tout son chic radical ?
Peut-être.
Honnêtement,
pourquoi pas.
Et
pourtant, à considérer l’époque, on doute aussi. On observe le
ciel et on croit discerner un sinistre alignement des astres : un
capitalisme en crise ; des crises, économiques et écologiques,
semblablement éternelles ; la garantie d’une extinction de
l’humanité à plus ou moins brève échéance ; le cynisme et
l’arrogance en roue libre des possédants ; la pénétration
et l’utilisation sans vergogne des idées fascistes dans le clan
droitier ; et puis des générations élevées aux lois du
Spectacle dont l’égarement, le désespoir, la colère, la
paupérisation, mais aussi l’inculture politique et historique
savamment entretenue, pourraient pousser à toutes les « aventures ».
On
repense alors à Antonio Gramsci : « Le vieux monde se
meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur
surgissent les monstres ».
On
repense à Yohann Chapoutot affirmant qu’il y a quelques années,
quand on l’interrogeait sur l’existence possible de similarités
entre les années 30 et notre époque, il n’en voyait pas mais
qu’aujourd’hui il serait moins formel.
Et
on doute.
Et
voilà que nauséeux et contraint, peu sûr de son fait, on se dit
qu'on ira peut-être aux urnes et, conscient de friser de près le
point Godwin et d’être un tantinet en-dehors du sujet, on évoque
cet article de George Orwell écrit lors de l’entrée en guerre de
l’Angleterre contre les nazis : My country, right or left.
Pauvres
et précieuses reliques à interroger derechef.
On
les relira avant de voter, ou de ne pas voter, car on n'est pas
certain d’avoir tout saisi.
En
véritable âne de Buridan égaré sur le terrain de cricket du
Capital.