On
ne dira jamais assez combien la lecture des textes d’Annie Le Brun
illumine les quelques moments que nous réussissons à sauver des
griffes de ces temps désolants. Sa lucidité ne se dépare jamais de
l’éclair surréaliste – ce qui a été vécu une fois ne
s’oublie pas – qui
fait des ténèbres les plus hostiles une couleur d’où peut
jaillir l’espoir.
Dans
ce qui n’a pas de prix, Annie Le Brun nous décrit cet
enlaidissement du monde que nous connaissons bien. Laideur fomentée
par la collusion entre riches et artistes se réclamant du
contemporain à travers un « Art des vainqueur », entreprise de neutralisation visant à installer une domination
sans réplique et à camoufler la course d'un monde allant à sa perte.
« De
même que le régime soviétique visait à façonner les sensibilités
à travers l’art réaliste socialiste, il semble que le
néo-libéralisme en ait trouvé l’équivalent dans un certain art
contemporain (Koons,
Hirst, Kapoor et autre Cattelan, ndlr) dont
toute l’énergie passe à instaurer le règne de ce que
j’appellerais le réalisme
globaliste. À
cette différence près que, pour exercer cette emprise mondiale, nul
besoin de s’en remettre à des représentations édifiantes émanant
d’une idéologie précise. Car il ne s’agit plus d’imposer une
conception de la vie plus qu’une autre mais essentiellement des
processus ou des dispositifs en parfaite concordance avec ceux de la
financiarisation du monde. Et si la terreur du totalitarisme
idéologique est ici remplacée par les séductions du totalitarisme
marchand, la spécificité du réalisme
globaliste est
de nous convier à notre propre dressage ».