vendredi 16 septembre 2016

Médiocratie


Pour une fois que Telerama ne déçoit pas, cela vaut la peine d'être signalé. Ainsi, cet entretien avec le philosophe québécois Alain Deneault sur son concept de médiocratie qu'il désigne comme " un régime où la moyenne devient une norme impérieuse qu'il s'agit d'incarner".

Une norme, selon Deneault, qui vient : " d'abord de la division et de l'industrialisation du travail qui ont transformé les métiers en emplois. Marx l'a décrit dès 1849. En réduisant le travail à une force puis à un coût, le capitalisme l'a dévitalisé, le taylorisme en a poussé la standardisation jusqu'à ses dernières logiques. Les métiers se sont ainsi progressivement perdus, le travail est devenu une prestation moyenne désincarnée. Aux yeux d'un grand nombre de salariés, qui passent de manière indifférente d'un travail à un autre, celui-ci se réduit à un moyen de subsistance. Prestation moyenne, résultat moyen, l'objectif est de rendre les gens interchangeables au sein de grands ensembles de production qui échappent à la conscience d'à peu près tout le monde, à l'exception de ceux qui en sont les architectes et les bénéficiaires."

Pour Deneault, la "gouvernance" constitue " le versant politique de la genèse de la médiocratie. D'apparence inoffensive, le terme de gouvernance a été introduit par Margaret Thatcher et ses collaborateurs dans les années 80. Sous couvert de saine gestion des institutions publiques, il s'agissait d'appliquer à l'Etat les méthodes de gestion des entreprises privées supposées plus efficaces.
La gouvernance, qui depuis a fait florès, est une forme de gestion néolibérale de l'Etat caractérisée par la déréglementation et la privatisation des services publics et l'adaptation des institutions aux besoins des entreprises. De la politique, nous sommes ainsi passés à la gouvernance que l'on tend à confondre avec la démocratie alors qu'elle en est l'opposé.
Dans un régime de gouvernance, l'action politique est réduite à la gestion, à ce que les manuels de management appellent le « problem solving » : la recherche d'une solution immédiate à un problème immédiat, ce qui exclut toute réflexion de long terme, fondée sur des principes, toute vision politique du monde publiquement débattue. Dans le régime de la gouvernance, nous sommes invités à devenir des petits partenaires obéissants, incarnant à l'identique une vision moyenne du monde, dans une perspective unique, celle du libéralisme."

L'intégralité de cet entretien est ici


2 commentaires:

Robert Spire a dit…

Bonjour.
Cet article me fait penser au regretté humoriste québécois Marc Favreau et sa "Pôvre vieille démocrasseuse".
http://sitecon.free.fr/sol.htm

Aukazou a dit…

Tout le monde sera d'accord avec les propos de Deneault à quelques réserves près et j'en ai quelques unes : son appréhension des organisations s’appuie sur ce que l’on appelle la macro-gouvernance, celle des Institutions, mais il existe aussi une micro-gouvernance qui propose une modélisation exempte des spécificités propres aux systèmes nationaux. Or, cette distinction pourtant fondamentale est (délibérément ?) occultée.

D’autre part, Deneault s’appuie, pour illustrer son propos, sur une vision de la théorie des organisations qui relève de l’école dite classique (Taylor, Fayol, Weber) en corrélation, ou en opposition, peu importe, au marxisme. Encore que le choix de Weber aurait été plus pertinent que celui de Taylor pour aborder la théorie de la division du travail chez Marx, mais bon … Je rappelle, au passage, que Taylor est mort en 1915 et Weber en 1920. Depuis, les systèmes de gouvernance ont considérablement évolué. Le plus pertinent, à l’heure actuelle, est celui de la RSE/RSO (Responsabilité Sociétale des Entreprises/Organisations) qui implique, non pas une éthique, mais une pratique responsable. Qu’est-ce à dire ? Eh bien qu’il existe des formes vertueuses de gouvernance, reposant sur des normes, ou l’influençant, et qui donne lieu à une transversalité des disciplines dans le cadre d’échanges réunissant managers, juristes, professeurs d’université etc…(les RER (Rencontres Environnementales de la Rochelle) en sont l’exemple type) et dont l’objet sont le partage et l’échange de bonnes pratiques. A ce titre, je me permets de renvoyer l’éventuel lecteur (lol ! ça doit être rare dans ce coin perdu) à l’ouvrage de Pierre Baret et Fanny Romestant : « 10 cas de RSE » (ed. DUNOD). Ouvrage qui permet de plonger au cœur des pratiques d’entreprises de taille, de secteurs d’activités, variés (LVMH ; Fleury-Michon ; Bouyghes, Air France Industries ; EDF etc…). Qu’on ne s’y trompe pas, la RSE ne se réduit pas à la lutte contre le « greenwashing », c’est aussi l’application de la loi du 11 février 2005 dans le cadre des normes d’accessibilité dans les lieux/services publics et bien d’autres choses encore.

J’ai achoppé, également, sur l’évocation de Monsieur Deneault, sur la gestion du risque dans l’entreprise (ce que l’on appelle, en management, « la théorie du joueur »). La tentation existe, certes ! Certains mentent, détournent, ou prennent le risque de ne pas souscrire à une soft-law (introduction du « comply or explain » dans la loi) qu’ils jugent contre-productive et/ou aux antipodes de la culture de l’entreprise. Cependant, les interlocuteurs (ex : l’AMF), les codes de bonnes pratiques, comme les systèmes d’audit et d’évaluation s’affinent. Et je renvoie cette fois à cette formidable étude de l’EDHEC :
https://www.edhec.edu/fr/publications/de-la-conformite-reglementaire-la-performance-pour-une-approche-multidimensionnelle-du


Une dernière chose (mais il y aurait tant à dire et à revoir sur les propos de Monsieur Deneault) : Ce dernier nous parle de la transformation de l’Etat en Etat-Entreprise, comme dit la pub : « oui, mais ça c’était avant ! ». L’Etat-entreprise correspond à la 3ème mutation de l’Etat. Cela fait un petit moment que nous sommes dans la quatrième (dimension ? ;-) mutation.

PS : Pour ce qui a trait à la gestion des conflits d'intérêt. Je vous renvoie à ce dernier ouvrage de Martin Hirsch : "Pour en finir avec les conflits d'intérêt" (Pluriel)