mercredi 27 janvier 2016

Mourir et puis sauter sur son cheval


J'ai connu David Bosc dans une première vie. Son intelligence et sa modestie tranchaient avec le milieu pseudo-radical que nous fréquentions. Il n'avait pas encore publié Sang lié pas plus que La Claire fontaine, le récit des dernières années d'exil helvétique de Gustave Courbet. A cette époque, il traduisait les six cents pages de la correspondance de Swift avec le Scriblerus Club. Je connaissais déjà son pamphlet contre Aragon et son petit livre sur Georges Darien. Il avait eu la gentillesse de lire un de mes bourbiers et l'avait annoté avec un tact dont je lui suis encore reconnaissant.
Je garde de lui, entre autre chose, le souvenir d'une discussion que nous avions eu, à propos d'Arcane 17, dans un caboulot marseillais. Nous en avions causé avec une identique reconnaissance. Il est peu de dire que ce livre avait eu de l'influence sur lui... Et puis, nous nous sommes perdus de vue. De temps à autres, je relisais ses livres jusqu'à ce qu'Allia publie son Sang lié, récit d'enfance incandescent et fouisseur. J'avais des nouvelles fraîches de Bosc, de bonnes nouvelles. Je me disais : "Avec lui, la véritable littérature existe encore".
Depuis, j'ai lu Bosc comme on va à la montagne : pour s'élever, respirer un air meilleur, pour reprendre pied dans la beauté. Dans un monde où le réel le plus imposé envahit tout, où beaucoup de textes pataugent dans l'eau de boudin quand ils ne moulinent pas de consternants chapelets égotistes, David Bosc, lui, fait honneur à la poésie véritable.
Je me souviens du bien que m'a fait la lecture de La Claire fontaine. Là où un gratteur lambda aurait tartiné glaucque sur les derniers jours du peintre hydropique, Bosc éclaire, à la façon d'un reflet de torrent, la liberté qui charpentait Courbet. Dans ses lignes, malgré tout, malgré la mort, la vie triomphe.
J'ai acheté, ce matin, le livre qu'il vient de publier aux éditions Verdier : Mourir et puis sauter sur son cheval. Bosc parle de Sonia Araquistain, une artiste espagnole de 23 ans, qui, un jour de septembre 1945, s'est jetée nue depuis le troisième étage de son immeuble de Queensway. 
La quatrième de couverture annonce que : "Quand on a vécu son enfance dans une absolue liberté et que l’entrée dans l’âge adulte ne s’est assortie d’aucun harnais, d’aucune obligation ni désir de servir, de consacrer les bonnes heures du jour au travail, aux soins des enfants ou des animaux, alors la faim de liberté se déplace, elle mute, elle trouve aussitôt d’autres murs à quoi se heurter, d’autres insuffisances : la société, bien sûr, la liberté qu’on n’a pas d’y faire ceci, d’y être cela, mais aussi la limitation du corps et la limitation de l’esprit. Poursuivant un désir à quoi rien ne saurait répondre, Sonia amorce un envol qui n’aura pas de fin."
Je l'ouvrirai ce soir, en confiance, heureux d'avoir des nouvelles d'un ami.


2 commentaires:

Frédéric Schiffter a dit…

Beau texte, cher flâneur.

Le Promeneur a dit…




Merci, cher Frédéric, venant de vous le compliment me touche.

Parfois, les bons livres nous permettent de rendre compte de leur éclat sans trop de maladresses.