Glané sur le site du Monde.
La victoire de Donald Trump à la présidentielle de 2016 avait choqué
et surpris de nombreux Américains : en même temps que leur pays fermait
les portes de la Maison Blanche à la première femme candidate
officielle à la présidence, il les ouvrait à un homme qui s’était
publiquement vanté de traiter les femmes comme des objets.
Huit ans
ont passé, et les polémiques d’alors semblent bien fades en comparaison
de ce que Trump a promis d’accomplir lors de son second mandat, qui lui
semble désormais acquis au regard des résultats de l’élection du
5 novembre. Aujourd’hui, ce ne sont plus le choc ou la désillusion qui
dominent parmi ses opposants, mais la peur et l’anxiété face aux
changements radicaux qu’il compte mettre en œuvre et qui représentent,
encore plus nettement qu’auparavant, le triomphe de l’extrême droite.
A
l’heure de sa victoire, il est donc utile de dresser un premier tableau
des principaux objectifs que Trump entend poursuivre à son retour à la
Maison Blanche, tant ces transformations s’annoncent plus profondes que
celles entreprises entre 2017 et 2021.
L’un de ses objectifs
majeurs, auquel presque toutes les autres parties de son programme sont
subordonnées, est de soumettre l’administration fédérale à sa volonté.
Répondant aux accusations contre un « Etat profond » qui aurait
entravé Trump lors de son premier mandat, ce plan vise à lever les
protections légales dont jouissent des dizaines de milliers de
fonctionnaires afin de pouvoir les licencier et les remplacer par des
partisans loyaux, prêts à suivre scrupuleusement les directives de la
Maison Blanche.
Mainmise sur les trois pouvoirs
Russ Vought, ancien directeur du budget de Trump, a explicitement évoqué son objectif de « traumatiser »
les fonctionnaires pour les dissuader de travailler, tandis que le
Projet 2025 de l’Heritage Foundation a déjà désigné des remplaçants pour
des milliers de postes-clés. A l’intérieur du mouvement MAGA (Make
America Great Again), certains réfléchissent aussi à la possibilité de
contourner les enquêtes administratives de sécurité traditionnellement
accomplies par le Federal Bureau of Investigation, ce qui pourrait
permettre l’arrivée (ou le retour) à des postes de responsabilités de
personnalités ouvertement associées à l’extrême droite, comme Michael
Flynn ou Steve Bannon.
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Un tel bouleversement marquerait la fin d’un service public fondé sur le mérite et le retour d’un spoil system
rappelant le XIXe siècle, où les postes étaient attribués aux soutiens
du vainqueur de l’élection. Cependant, deux différences majeures
s’imposent : non seulement les nominations projetées par le Projet 2025
sont planifiées de façon bien plus globale et systématique, mais elles
visent à ancrer une idéologie spécifique plutôt qu’à récompenser une
simple fidélité partisane.
Il n’est plus question de tolérer les fameux « adultes »,
ces conseillers qui, lors du premier mandat de Trump, avaient modéré
ses impulsions. Désormais, le milliardaire sera aux commandes sans aucun
garde-fou. C’est d’autant plus vrai que la Cour suprême lui est
largement acquise et qu’avec le basculement du Sénat à droite le Parti
républicain pourrait, comme en 2016, avoir à nouveau la mainmise sur les
trois pouvoirs – législatif, exécutif et judiciaire – au niveau
fédéral.
Trump entend tirer parti de cette nouvelle liberté
d’action pour cibler tous ceux qu’il perçoit comme ses ennemis. Il
s’agit là d’une vaste catégorie, qui comprend non seulement les
principaux dirigeants du Parti démocrate – Trump a promis de nommer un
procureur spécial pour enquêter sur Biden et sa famille –, mais aussi
tous ceux qui ont témoigné contre lui lors des deux procédures de
destitution et les critiques, passées et présentes, de ses actions.
Instrumentaliser l’Etat
Déjà
mise à rude épreuve durant son premier mandat, l’indépendance
traditionnelle du ministère de la justice sera cette fois attaquée de
manière encore plus systématique et agressive. Les protections
instaurées depuis les années 1970 pour limiter les excès de la « présidence impériale »
après le scandale du Watergate risquent fort d’être balayées par un
Parti républicain désormais entièrement dévoué à son chef. Celui qui
s’est présenté durant la campagne comme le « châtiment » envoyé par ses partisans à ceux qui les auraient « trahis » souhaite clairement instrumentaliser l’Etat fédéral à des fins tant personnelles qu’idéologiques.
Parmi
ses idées, aucune n’est plus cruciale que son projet déclaré de
déporter massivement plusieurs millions d’immigrés. La mise en œuvre de
ce plan concrétiserait une idée longtemps cantonnée aux marges du débat
politique : celle d’un prétendu complot des élites libérales visant, par
l’immigration, à transformer la majorité historique blanche des
Etats-Unis en une minorité parmi d’autres. Trump a non seulement adopté
cette vision d’extrême droite, mais a aussi fait sien un discours
rappelant les thèses eugénistes en vogue au début du XXe siècle,
décrivant les immigrés comme une « invasion » de « criminels » qui « empoisonne le sang » du pays.
Pour
exécuter une telle déportation de masse, il a promis de mobiliser la
garde nationale et d’invoquer l’Alien Enemies Act de 1798, la même loi
qui permit à Roosevelt de faire interner, pendant la seconde guerre
mondiale, plus de 30 000 personnes accusées de sympathies pour le Japon,
l’Allemagne ou l’Italie. Rien ne l’empêcherait non plus de réformer en
profondeur le système d’immigration légale, avec potentiellement un
retour du système de quotas raciaux qui était en place entre 1921 et
1965.
Cet aperçu ne fait qu’effleurer l’étendue du programme de
Trump, qui est bien plus vaste. Il suffit néanmoins à montrer que son
retour à la Maison Blanche, bien qu’il annonce des bouleversements
majeurs, ne représente pas une rupture franche dans l’histoire des
Etats-Unis. Les idées d'extrême droite
y sont, en effet, enracinées bien plus profondément qu’on ne l’a
longtemps compris. Nous venons de constater qu’elles sont toujours
vivaces.
Olivier Burtin est maître de conférences en civilisation
des Etats-Unis à l’université de Picardie Jules-Verne, à Amiens,
spécialiste de l’histoire contemporaine des Etats-Unis. Ses travaux
portent notamment sur le rôle de l’extrême droite au sein de la société
américaine.