Moins
on côtoie la mort, plus elle est marquante.
Espace
Sénior magazine
2
mars 2024
Ce
n’est pas un jour pour mourir ou pour chantonner je ne sais quelle
complainte funèbre : le ciel est d’un bleu à pousser des
hourras, les arbres du parc d’à côté pètent de santé et
chatouillent des nuages pleins de bonne volonté. En bas dans la rue
Tiraqueau, jeunes filles en fleur et gaillards rutilant de muscles
gonflés en salle s’entrecroisent, enivrés, au point d’oublier
de loucher sur leur portable. C’est dire l’aimable coercition de
cet après-midi de printemps ! Et pourtant, une jeune fille se
tient au milieu de ma chambre, toute aussi surprise que moi d’être
ici. Ses pieds, ses jambes, son torse puis sa tête ont jailli en un
long plouf silencieux et translucide avant de se stabiliser à
quelques mètres de moi.
La
jeune fille ? Une tige à peau pâle et cheveux longs divisés
par une raie au milieu du crâne (qu’elle a menu). Yeux marrons,
d’après ce que j’en vois. Ses cils épilés et son tee-shirt à
manches rases surmontent des jeans pattes d’éléphant qui sentent
bon les années 70. Ses chaussures ? Sur pilotis. Tout cela
animé par un visage de poupée indolente. Je lui donne les 25 ans
d’un rêve macho.
Étrangement
- c’est le mot ! -, je n’ai pas peur. Comme si son arrivée
avait quelque chose d’évident. Il y a une seconde, je lisais
Pantagruel sur
mon lit et me voilà à contempler, avec le maximum de
dignité, cette apparition.
Esprit
fort s’il en est (on verra ce qu’il vaut !), je lui demande
son nom et de quel enfer elle vient. Ses cils, très longs, se
mettent à battre en éparpillant son regard autour de la pièce. Son
silence, cette façon qu’elle a d’osciller doucement, trahit sa
surprise : je me dis qu’elle a tous les stigmates d’une
violente expulsion de l’au-delà. La pitié m’envahit et me voilà
à poser mon livre sur les genoux pour lui indiquer la chaise qui se
trouve devant mon lit.
Elle
m’obéit et s’assoie
alors que j’observe le coussin de la chaise s’écraser sous son
poids. Je note mentalement ce détail de première importance :
elle pèse quelque chose et semble avoir quitté l’état spectral
pour celui d’un être soumis aux lois de la gravité ! Pendant
quelques secondes, alors qu’elle continue à scruter le décor de
ma chambre, je soupçonne la banale intrusion d’une folle.
Avec
toute la douceur dont je suis capable, je touche le bras de la
donzelle. Je m’en doutais ! Mon index traverse un membre
louchant entre le mi gazeux et le moitié solide. Sans doute
ressent-on ça quand on tripote la croûte d’un pumpernickel. Je
soupire en me disant que, décidément, l’au-delà ne nous facilite
pas la tâche.
Offre
t-on du thé à un fantôme ? Je n’ai pas le temps de
trancher, la voilà qui marche vers la fenêtre pour y coller son
front. A son expression, je comprends que la vue ne lui est pas
inconnue. Sa voix, douce & voilée, hésite : « - On
est rue Tiraqueau ? ». Elle regarde l’immeuble d’en face.
C’est un machin construit il y a quinze ans par un criminel qui
sévit toujours - terrible siècle que celui où les architectes
devraient être pendus avec les urbanistes !
Elle
tourne vers moi un visage troublé. Je quitte mon siège et demeure à
une distance raisonnable. « - Pouvez-vous me dire quel jour on
est ? ». Une ou deux secondes de silence : il lui
faut rassembler ses esprits qui ont dû mijoter quelques éternités
dans l’entre-monde. Puis, de sa voix morphine-voilée : « -
1976. Juillet 1976, le 21. »
Un
vertige me saisit. Je mesure la tâche qui m’attends : je ne
dois pas lui annoncer seulement la défaite de Giscard mais tout ce
que notre beau monde a produit depuis ! C’est moi qui aurait
besoin de thé (et même de quelque chose d’un peu plus fort) !
Par où commencer ? Le simple fait de l’emmener dans la rue la
tuerait ! Gros bêta ! Je me reprends d’un ricanement :
un fantôme ne claque pas, tout juste peut-il s’évanouir et ficher
enfin la paix aux vivants. « - Mademoiselle, dis-je d’une
voix qui ne tremble pas (quand il faut y aller…), nous sommes le 2
mai 2024. » Préventivement, je lève une main pour arrêter
tout début d’hystérie. Ce qui se révèle inutile car elle
continue à me regarder avec le même air interdit-soumis. « -
Je ne sais pas ce qui vous a mené ici, si vous êtes (je marque le
pas devant l’énormité de la chose) une sorte de... spectre, un
revenant... ».
L’effet
de cette révélation ? Elle lève un sourcil léger et retourne
s’asseoir sur la chaise pour replonger dans le silence, le regard
fixé sur les motifs bon marché de ma descente de lit. Au loin, dans
les escaliers, il doit être cinq heures : l’héritier Ramirez
beugle sa joie d’avoir cinq ans et d’être libéré de l’école.
En fond, je perçois le halètement de Camille Ramirez, mère du
monstre & voisine de palier. Non sans émotion, je pense à ses
yeux verts-doux, sa silhouette replète et à la solitude de ses
soirées de mère au fils hyperactif… Le devoir avant tout :
je me tourne vers mon spectre. « - Il faut que vous voyez à
quoi ressemble le monde maintenant ».
Je
prends mes clefs et l’invite à me suivre. Trois étages et, avant
d’ouvrir la porte je pause ma main sur son épaule mi gaz mi
pumpernickel : « - Quel est votre nom ? ». Elle
plonge ses yeux dans les miens et je n’y lis rien d’autre qu’un
grand rien du tout. « - Michèle ». Va pour Michèle…
Je tire la lourde porte de l’immeuble – du chêne, du vrai, et
pas ces saloperies en alu d’aujourd’hui – et en avant pour un
premier bain de réel. A vrai dire, je ne pavoise guère : il ne
manquerait plus qu’elle pique une crise en public ! De quelles
manifestations ne sont pas capable ces créatures ?!
Mon
fantôme ne bronche pas. Brave petite : elle saisit ma main avec
une spontanéité qui m’arracherait des larmes - j’ai quand même
la sensation qu’un pâté en croûte s’est niché dans ma paume.
Et vogue le navire.
Nous
remontons la populeuse rue Tiraqueau avant de bifurquer vers le cours
des Minimes. Michèle découvre le réel 2024 sans frémir. Je lui
sais gré de le faire avec une discrétion hors de toute critique.
Seules, devant les innombrables magasins, les sorties bardées de
sacs de consommateurs semblent l’intriguer.
J’en
viens à oublier sa condition et désigne un café à la terrasse
avenante. « - Vous voulez boire un verre ? ».
Aussitôt nous inaugurons un échange de regards cacophoniques (le
premier d’une longue liste, aimable lecteur !). « - A moins,
dis-je penaud, que... ». Elle ne sait pas. Nul portier
d’outre-tombe ne lui a fourni de notice pour le monde des vivants.
Au diable l’au-delà : pourquoi les défunts ne picoleraient
pas ?! Du menton, je lui indique la terrasse. Elle acquiesce
derechef et il me semble sentir sa main doucement frétiller dans la
mienne.
Le
garçon tablier-gilet & cheveux gominés
grasseille un Messieurs-dame qui ne suscite aucune
hésitation chez moi : un demi pour le quarantenaire, une
grenadine pour la petite. S’ensuivent quelques minutes d’attente.
Moi : appréhendant de voir le liquide traverser le corps de
Michèle. Elle : zieutant le va et vient vespéral jusqu’à ce
que le loufiat se repointe avec nos consommations. Je règle
l’addition au cas où. Nous le laissons disparaître avant de
trinquer timidement. À mon grand soulagement, nul liquide ne percole
Michèle. Celle-ci repose son verre. « - Je ne ressens
rien... ». Quelle surprise !, ai-je envie de crier. Je lui
prends la main : « - Une chose après l’autre, dis-je
avec la voix assurée d’un éducateur spécialisé en réinsertion
spectrale. » Je patauge. Elle patauge. Nous pataugeons. Forts
de ce constat, nous faisons ce qu’il y a de mieux à faire en cette
heure improbable : nous regardons la foule tuer le temps.
Comme
deux témoins navrés, nos verres vides trônent sur la table du
café. Que faire, à présent ? N’ai-je pas accompli mon
devoir de vivant en accueillant les premiers pas de cette défunte ?
Je ne vais quand même pas l’adopter !? Coup d’œil
sournois/inquiet dans sa direction : elle poursuit sa
contemplation de l’humanité déambulant. Un point pour elle :
pas dérangeante. Nouveau coup d’œil : son profil de lutin
paumé m’attendrit. « - Vous gardez quelques souvenirs…
d’avant ? » Je happe quelques mots lâchés dans le
brouhaha : à l’entendre, elle s’est endormie il y a
quelques heures. Pas un gramme de souvenir en plus. D’un bras, je
hèle le gominé à tablier avant de sourire à mon hôte. « -
Vous permettez, dis-je très Régence, je vais commander une autre
bière. Nous avons, je crois, deux ou trois choses à nous
raconter ». Elle : impavide, replonge dans le va et vient
des passants.
Le
coco lesté de houblon, je me tourne vers elle. « - Qui
êtes-vous ? » N’y a t-il que les morts pour répondre à
cette question ? Assise sur le bout des fesses, le dos droit,
Michèle décline sa brève existence. Il me faut tendre l’oreille
car sa voix douce & voilée est de plus en plus happée par le
brouhaha. Il me faut reconstituer des mots que je devine à défaut
de les entendre.
Mon
archéologie sonore : le 21 juillet 1950, Michèle semble avoir
abordé l’existence en fille unique. Une mère, Denise, qui fait
quelque chose dans une école. Un père dont ne subsiste que le
prénom : Marc. Les trois cubes bétonnés où elle a vécu
existent encore. Trois fois dix étages à l’Est, près de l’arrêt
de bus « Les Argonautes – Place Joseph Proudhon ».
Aujourd’hui, la cité n’abrite plus que des lumpen
abandonnés par le Capital et l’État.
L’adolescence ?
Dans le micmac de ses mots mal ressuscités, j’identifie un
Jean-Jacques qui a occupé ses pensées et, apparemment, son corps.
J’invente une guidouille en pull acrylique qui semble n’avoir
guère ému ma décédée. J’entends 1973 & je pense :
hausse du prix du brut, diminution de l'activité économique,
transferts monétaires massifs. Le parcours de Michèle ? Une
litanie de boulots sans intérêts avant le Graal d’un emploi de
secrétaire chez un avocat. Peu à peu, sa voix s’éteint. Voilà
bien les morts : un monocorde inaudible à filer le bourdon !
Ceci dit : trépassé, tout doit paraître évanescent.
Le
soleil disparaît derrière les immeubles de l’avenue. Est-il bien
décent d’aborder son décès – car nous y arrivons – à cette
terrasse de café ? Violente : l’envie d’un thé chaud
dans l’intimité de mon home.
Je
lui propose de rentrer. Elle : toujours arrangeante, acquiesce,
se lève et prend ma main avec l’expression blasée d’une épouse
rassie. Moi : serrant la sienne dans la mienne, j’échafaude
mon scénario : Michèle assassinée dans mon appartement en
1976 revient me hanter en 2024 pour que je découvre son assassin.
Nous : poulopant en direction de la maison,
les flancs zébrés par les phares des voitures.
Tasse
de thé en main, je hoquette au milieu du salon. « - Une crise
cardiaque ? » Michèle acquiesce. « - Excusez-moi,
dis-je, mais les morts reviennent pour venger une injustice, pour
retrouver un amour brisé ! Vous êtes sûre de ne pas avoir été
victime d’une erreur médicale ? N’aurait-on pas pu vous
sauver ? » Elle : impavide toujours :
« - Je suis tombée dans la rue. Il n’y avait plus rien à
faire. » J’en bégaye. « - Mais alors, que faites vous
ici ?! ». Elle hausse les épaules et s’assoit sur mon
unique chaise. Et voilà pour le savoir des morts !
«
- C’est que j’ai besoin de mes six heures de sommeil ! »
C’est ce que je signifie à ma petite morte, pyjama en main, alors
que je me creuse la tête pour savoir ce qu’elle pourrait faire
pendant la nuit. Décemment, je ne peux lui offrir de partager mon
lit – une morte ! une jeune fille ! mon esprit rationnel
a ses limites ! - mon appartement ne possède ni canapé ni lit
d’appoint. Je propose de lui payer une chambre d’hôtel, ce qui
me mène illico à parler de la durée de son séjour ici bas. Elle
ne répond rien.
Ad
vitam aeternam : ces mots s’inscrivent en lettres
urticantes dans mon esprit avant qu’un grand sentiment de
découragement me fasse lui désigner la chaise. Bourrelé de
remords, je me déshabille dans la salle de bain avant de revenir me
planter devant elle. « - C’est idiot, balbutié-je, venez
dormir dans le lit ». Elle lève les yeux vers moi mais ne
bouge pas de sa chaise.
À
présent, tout le monde fait dodo dans l’immeuble. Même l’agité
Ramirez doit gentiment ronflotter non loin de son aimable maman. Par
la fenêtre entrouverte : la lune en croissant flatte le dessus
des toits. Deux heures du matin sur le pays. La nuit est une grande
bulle muette et protectrice. C’est l’heure du grand silence.
Michèle : toujours sur sa chaise en profil perdu. Moi :
dans mon lit, éveillé & bougon à ressasser ce consternant
coucher.
3
mars 2024
Potron-minet me
trouve ankylosé & nerveux après une nuit passé à touiller un
vaste chaudron de culpabilité. Sur sa chaise, Michèle n’a pas
bougé d’un poil. Je finis par me dresser sur mon séant. « -
Ça va ? » Elle tourne vers moi un visage qui n’en dit
pas plus, faisant redoubler le ravageant sentiment d’être un minus
habens. Il me faut reprendre du poil de la bête.
Douche,
rasage et chemise propre. Lorsque je reviens dans le salon, Michèle
est plantée devant la fenêtre. Je lui expose mes vues, concoctées
tout à l’heure sous la douche : ce week-end sera fait pour y
voir plus clair. Au programme : expérimentations &
discussions poussées. Il nous faut cogiter vu que notre duo a l’air
parti pour durer.
Trois
SMS me permettent de décommander un repas amical/une séance de
cinéma & mon cour de karaté. Mon week-end dégagé, je lui
expose le programme. Michèle n’est ni pour ni contre, bien au
contraire, comme beaucoup de vivants charriés par un fleuve où ils
se laissent flotter. Parfait. Je pose mon matériel sur la table :
un cahier, un crayon et, surplombant le tout, mon cerveau. J’invite
Michèle à me rejoindre. Trois pas brefs avant de s’immobiliser et
me contempler griffonner avec ses yeux qui ne promettent rien. Je
prends mon temps, conscient de l’immortelle patience de ma morte,
je n’ai pas peur de la faire attendre.
On
frappe à la porte ! J’ouvre en me disant : voilà un
premier test. C’est Camille Ramirez, ma chère voisine de pallier,
robe fleurie, cheveux d’orge et yeux bleus, dansant
imperceptiblement d’un pied sur l’autre (tu parles que je le vois
!). Elle a besoin d’un tournevis. Est-ce que par hasard… ?,
ajoute celle qui a toujours ignoré mes sourires dans l’escalier.
Derrière elle, le petit Ramirez tente de démonter ma porte à coups
de pieds. J’ignore l’agité et surprend le regard (fatigué) de
Camille se plisser de façon très féminine lorsqu’elle aperçoit
ma petite morte plantée devant la table. « - Oh, vous n’êtes
pas seul ?, grimace t-elle ». Et non, chère madame
Ramirez, et je me fais le plaisir de ne pas dire que Michèle est (au
choix) : ma nièce, ma femme, ma filleule, ma fille, ma sœur,
la fille d’un ami. Je la laisse mariner dans ses suppositions.
Après
un geste de l’index (attendez-moi là, je reviens), je gagne le
placard de la cuisine où j’ai rangé mes outils. Toujours sans un
mot, je reviens et lui tends le tournevis. « - Merci,
dit-elle. » Un dernier coup d’œil vers Michèle puis un
acide & appuyé : « - Au revoir, mademoiselle ! »
Michèle lui lance son fameux regard de néant et je referme la porte
derrière Camille avant de m’octroyer un roboratif éclat de rire.
Note
de travail : ma petite morte est visible par un tiers. Note
personnelle : Camille Ramirez semble accessible à la jalousie.
Note générale : son fils finira par la tuer (d’épuisement).
Expériences
du 3 mars 2024 :
-
piqué la main de Michèle avec une fourchette puis un couteau
pointu : elle ne dit ressentir aucune douleur, le sang ne coule
pas, les trous se referment instantanément ;
-
effectué une coupure sur l’avant-bras de Michèle : pas de
douleur, pas de sang, la lame pénètre facilement dans une « chair »
qui « cicatrise » presque immédiatement ;
-
brossé ses cheveux : sensation de brosser des algues, Michèle
n’a pas de nœuds ;
-
ingestion d’un œuf au plat : elle l’avale docilement, pas
de sensation de satiété, elle reconnaît simplement ce fait :
elle a mangé un œuf ;
-
caressé la joue : elle n’a pas eu plus de réaction que quand
elle a ingéré l’œuf au plat ;
-
pressé un sein de façon strictement scientifique malgré une
étrange réticence, sans doute due à la consistance de pumpernickel
de son anatomie. Aucune réaction. Chez elle et chez moi.
-
joué une chanson du Velvet
Underground Perfect
Day : elle l’écoute sans émotions
apparente, résultat identique avec L’été
indien de
Joe
Dassin, je fais une nouvelle tentative avec W.A.
Mozart, le Quintette pour clarinette : même
résultat ;
-
regardé les actualités télévisés : la succession de
catastrophes et de désastres ne lui fait même pas froncer un
sourcil ;
-
joué aux cartes : nous disputons une belote, je réalise
qu’elle joue n’importe comment ;
-
regardé un film des années 90, Poussière
d’Ange d’Edouard Niermans, un polar poétique et
étrange : je ne note chez elle aucune émotion particulière
durant la diffusion ;
-
la nuit venue, je l’invite à dormir avec moi : elle ne pèse
pas grand-chose, ne sent aucune odeur, je m’endors immédiatement
(sommeil de plomb probablement dû à ma nuit blanche précédente),
au réveil, elle est toujours allongée sur le dos à mes côtés et
ouvre les yeux à l’appel de son nom.
La
vie de l’étage, le soir venant ? Un nouveau cri retentit,
doublé d’une cavalcade que conclut un bruit sourd. Derrière le
mur, j’entends
la voix de Camille
se
mêler, dans une pénible bouillie sonore, aux beuglements de son
fils. Le petit Ramirez débute sa sarabande vespérale. Deux
ans
qu’ils ont emménagés à l’étage. J’ai
fini par m’habituer à ce cirque. Chaque jour, à l’écoute (ou à
la
vue !) de ces manifestations - et des cernes que je vois sur le
visage maternel -, je me demande comment cette jeune femme
tient
le coup. Car le fiston collectionne tous les stigmates : danse
de Saint-Guy ; concentration de têtard ; colères
homériques ; violences envers
ses
petits camarades ; pleurs
&
rires à
la seconde ; et, je l’entends, difficultés d’endormissement.
4
mars 2024
Comme
bien d’autres, je suis salarié. 6 heures 30 du matin s’ébroue
dans l’air pavé d’humidité - les services municipaux ne
craignent pas la sécheresse ! Le soleil piaffe derrière les
toits. Sans aucune vergogne, je bois mon café, fais popo puis prends
ma douche avant de m’habiller devant Michèle – puisse la vision
de mes fesses l’animer un peu ! Tu parles. Elle est déjà
assise sur sa fameuse chaise. Moi : ma musette & mes clefs.
Je claque la porte, la laissant ainsi, avant que ne débute la
pénible danse du travail. Mon job ? Aucun intérêt ! Une
vague fonction qui me permet de payer mon loyer. À dix neuf heures,
quand je réintègre mes pénates, je retrouve Michèle assise sur sa
chaise. Étrangement, il me vient l’idée de lui acheter des
vêtements. Ce look années 70 commence à me taper sur les nerfs.
Vous
m’auriez vu à Monoprix, tout à l’heure ! Petit papier en
main - j’avais noté ses tailles -, j’ai erré dans le rayon pour
dame avec un air de satyre (j’aime scandaliser les vendeuses) :
1 lot de 5 culottes en coton/3 paires de soquettes/1 jeans/2
soutien-gorges/3 tee-shirt/1 blouson en toile. C’est
qu’aujourd’hui, j’ai décidé d’emmener Michèle au cimetière
dans une nouvelle tentative pour faire avancer le dossier. Je me suis
renseigné : sa mère et son père son morts il y a longtemps et
je n’ai pu dénicher des survivants. Seule chose à faire, si j’ose
dire : aller sur leur tombe avec l’espoir de provoquer je ne
sais quoi.
5
mars 2024
Sous
le ciel joyeux & indifférent de ce coin de banlieue, gît, parmi
bien d’autres, un affreux bloc de marbre gris aux angles aigus.
Scellés dessus, les portraits émaillées des parents de Michèle :
Denise & Marc Donat. 1932-2011 pour l’une. 1930-1998
pour l’autre. Denise aux cheveux courts et aux yeux clairs. Marc,
petit homme à la moustache prolétaire. (Ce que deviennent les morts
sans les vivants ! ). Face à eux : Michèle, aussi
expressive que lorsque je lui tâtais le sein. Trois néants se
contemplent : que voulez-vous qu’il arrive ? Le cri d’un
oiseau non identifié peuple ce moment de vide pur. Je m’assoie sur
le marbre affreux et saisis la main de Michèle. « - Qu’est-ce
que je vais faire de toi ? ». Elle a enfoui son regard
dans un des cyprès du cimetière.
8
mars 2024
Maxima
culpa. J’abandonne Michèle pendant dix jours, le temps d’aller
chez mon frère Laurent à Équemauville, un village non loin de
Honfleur. De la culpabilité ? Beaucoup. Mais il me faut prendre
le large, question de santé mentale (je me ménage, oui !). Ce
matin, après avoir récupéré ma voiture, je fais plusieurs fois le
tour du quartier avant de me résoudre à prendre l’autoroute.
Du
8 au 17 mars 2024
Mon
frère Laurent : 52 ans, ingénieur en quelque chose dans une
entreprise du Havre. Il m’a expliqué cent fois ses tâches. Je
n’ai retenu qu’une image : des hélices contournées que
l’on torture dans un immense hangar. On s’aime et depuis
longtemps.
Paisible
fraternité nourrie de nos caractères accommodants. Ce grand placide
a les yeux de notre mère – marrons et bienveillants. Son cœur de
bœuf généreux le fait aimer de votre serviteur et de beaucoup
d’autres citoyens.
Dans
sa
ferme à
colombage de la pampa normande, j’ai retrouvé sa smala :
Irène, sa femme, - une Junon énergique & institutrice qui m’a
à la bonne et me câline chaque fois que je viens - et le
crépitement de mes irrésistibles nièces : Léa, Agnès et
Louise. Les cris, sauts & gambades entres les prairies, la mer de
plomb et les falaises de craie : un bonheur à oublier Michèle
sans vergogne. Je suis si bien à me faire secouer le sang par la
tribu que je ne pense même pas à confier mon cas au frangin.
Quand
le soir tombe, le regard chouchouté par le champ de pommiers qui
s’épanouit devant la maison, je pense à Camille Ramirez et à ses
yeux plein de vie. Le dixième jour, en reprenant la voiture, je
roule avec l’espoir de retrouver mon appartement vide de toute
présence.
18
mars 2024
J’ouvre
la porte. Michèle est assise sur sa chaise préférée. Elle lève
brièvement la tête puis revient au motif. Je pose mon sac. Je ferme
la porte. J’enlève mon blouson. Je dis : « - Bon. ».
22
mars 2024
L’ami
Diego Fessenheim !, daron de Schiltigheim, daronne barcelonaise
(ça, pour expliquer le mélange patronymique), me fixe avec des yeux
ronds. Son corps compact, sanglé dans un impeccable trois pièces de
tweed, est posé au milieu du salon, bras ballants, face à Michèle.
Voilà une heure qu’avec toutes les précautions possibles, je l’ai
introduit à ce cas mortuaire. Une heure où mon camarade est passé
du rire, « - Cette bonne blague ! », au silence
puis à l’inquiétude avant de sombrer dans une sorte de perplexité
catatonique après que je l’ai obligé à traverser le bras de ma
revenante avec un couteau. Ses esprits revenus, je lui ai conté
toute l’histoire.
Ce
n’est sûrement pas parce qu’il est préparateur en pharmacie
qu’il se trouve ici, ni parce que ce solitaire ne se nourrit que de
livres pour palier aux désillusions de l’existence. En fait,
l’affaire Michèle me laisse sans voix et je me dis que cette âme
curieuse, cultivée & informée de tout pourra m’offrir quelque
secours.
Car
Diego philosophe également : je l’ai vu chez lui (et en
public !) siroter Kierkegaard, Kant et même quelques brassées
de Hegel. Combien de fois l’ai-je surpris à parler causalité des
êtres devant une personne du sexe, le tout avec plus ou moins de
succès (je le soupçonne d’être vierge ! à trente deux ans
!). Mais aujourd’hui, l’occasion est trop belle pour mon compère.
Mon désarroi lui tend les bras.
« -
C’est un signe d’apocalypse !, brame t-il après avoir
englouti, pour se remettre, deux shots de Ratzeputz. »
Un signe parmi d’autres ? Il a appris, ce matin,
l’effondrement de la circulation méridienne de retournement de
l’Atlantique, ce courant marin chaud, salé et bienfaisant qui
circule de l’équateur aux pôles. Pas moins. Ça l’a secoué (et
moi donc !). « - Résultat ?, beugle t-il.
Réchauffement
accéléré dans l’hémisphère sud ! Hivers terribles
en
Europe ! Affaiblissement des moussons tropicales dans
l’hémisphère nord ! ».
Diego
me fixe de son œil terrible
& bleu. Il a
beaucoup lu
sur
les morts et leurs velléités, me
dit-il (le
contraire m’eut étonné chez ce Gargantua).
Ce qu’il
en a tiré ? Que
le mort récalcitrant hante surtout
les vivants
en temps de yersinia
pestis
&/ou de morts brutales. Fils du Purgatoire, ce lieu où, selon
Innocent IV, l’on purge ses péchés véniels mais non mortels, le
revenant fait retour pour rectifier ses fautes ou, s’il fut un
grand méchant homme, poursuivre ses méfaits. « - COVID,
H1N1, guerres, ravages climatiques..., dit-il.
Notre
époque tend son miroir aux siècles passés ! »
Troublé,
je me tourne vers ma petite morte. Michèle,
quels pêchés as-tu commis pour être renvoyée ici ? Quel mal
as-tu fait pour subir semblable purge ? En athée conséquent,
et donc mieux que les dévots, je connais les arrangements que Rome a
concocté pour sa clientèle : pour raccourcir ta peine, me
faut-il donc commander une messe ?!
Je
ne dis rien de mon trouble à Diego alors que ses doigts potelés se
mettent à dessiner d’improbables signes cabalistiques : «
- Bien sûr que les morts reviennent !, brame t-il à nouveau.
Nous crachons tous les jours sur la création, pas étonnant qu’on
fonce vers l’extinction ! ».
In
petto,
car je ne tiens pas à favoriser
l’inextinguible
logorrhée de mon Homais, je regrette que nos morts ne viennent pas
terroriser les riches, ces brutes inexorables, à défaut de leur
envoyer un paquet de mitraille dans le ventre !
Haletant
légèrement, mon camarade s’immobilise devant Michèle, barattant
je ne sais quelle pensée dans son cerveau aux étagères bien
rangées. Son regard bleu, dissimulé derrière ses sourcils fournis,
n’est plus visible. Ses traits fins, à peine altérés par son
embonpoint, sont tirés vers le haut à la façon d’un ironique
point d’interrogation. Un long soupir marque la fin de ses
cogitations. « Finalement, dit-il, c’est comme si tu avais
recueilli un clébard ».
Vingt
et une heure trente. La lune est en goguette à la fenêtre du salon.
À table : salé aux lentilles, pain complet & bourgogne.
Diego engloutit ses lens culinaris, le regard navigant de son
assiette à Michèle, toujours en mission immobile sur sa chaise
préférée.
Moi :
je chipote, la fourchette distraite, me demandant si j’ai bien fait
de lui parler. Là-bas, au fond du salon, la TSF sourdine les
inutilités d’un politicien d’extrême centre. Cette moutarde peu
appétissante fini par me monter au nez. Assez d’immondices !
Je me lève pour changer de station et Bach, comme un filet
d’eau pure, nettoie l’air de ses Variations Goldberg.
À
table, Diego ricane à présent par à-coups sans que je réussisse à
lui faire avouer l’origine de cette manifestation. Je me rassoie
devant mon assiette de lentilles. Pour la première fois depuis 7 ans
– date à laquelle nous avons fait amitié -, sa présence me pèse.
Pas
de lave-vaisselle pour les vieux garçons ! Pour quelques
assiettes par semaine, merci ! Le dessert avalé - deux éclairs
au chocolat - , j’ai rapporté verres & couverts à la cuisine
et entreprend une vaisselle inquiète. La raison ? Je me méfie
des regards de plus en plus coulissants de Diego. D’habitude, il me
rejoint devant l’évier pour payer son tribut au repas. Là :
un silence persistant me fait poser le verre que je lavais pour
regagner le salon à pas de chat. Un vrai bingo sordide m’y
attend : Diego, les mains sous le tee-shirt de Michèle, masse
d’un air extatique ses deux rotondités !
Bilan :
ma main dans sa figure & une bafouillante justification de sa
part. Ses arguments ? Une équation brenneuse : misère
sexuelle + jeune trépassée + état mi gazeux mi pumpernickel =
tripotage autorisé. « - Et qui s’en soucie ?, balbutie
t-il ». Je mets dehors le pervers, referme la porte, rattache
le soutien gorge de Michèle. Celle-ci n’a pas bronché
avant/pendant/après l’agression. Moi, je cille et vacille encore
un bon moment devant cette infamie.
Diego
me rappelle le lendemain pour s’excuser. Dès qu’il tente de me
resservir son équation je lui coupe la parole : il a intérêt
à bien fermer sa gueule, lui dis-je, car les morts ont des pouvoirs
plus coercitifs que la police. Je l’entends déglutir et en profite
pour enfoncer le clou : « - N’oublie pas : les
morts vont vite ».
Je raccroche en ricanant. Brave Stocker.
23
mars 2024
J’aurais
beau parler d’un quotidien somme toute normal (!?), vivre avec une
morte empêtre un peu le social. Particulièrement depuis que Camille
- je l’appelle à présent par son prénom - a accepté de boire un
café avec moi.
À
la brasserie des Négociants, baignés dans les ors passés de son
décor Belle Époque, nous nous sommes tout avoué. On se plaît
bien, quoi ! L’aveu fait, chacun a dressé illico une série
de barrières pour ne pas précipiter les choses. Camille :
parce qu’elle sort d’un divorce douloureux. Moi : parce je
n’ose pas lui avouer que Michèle est toujours assise dans ma
chambre sur sa chaise préférée.
Après
qu’un baiser a bousculé nos tasses - thé pour elle, café pour
moi - nous avons convenu d’un mot d’ordre : on va y aller mollo.
28
mars 2024
Les
étangs de Tiffauge ? Un rêve pour romantiques. Deux étangs en
forme de cacahuètes posés au fond d’un vallon d’herbe
rigolarde. À l’est, une rangée de peupliers ordonne le capharnaüm
hippie des saules du bord de l’eau. A l’ouest, une guérite Art
Nouveau fait des signes muets face aux reflets. Le soleil titille la
fraîcheur de l’onde au bord de laquelle nous marchons. Camille :
après avoir laissé son fils chez sa mère. Moi : après avoir
laissé Michèle a sa seule garde.
Heureux ?
Pour sûr ! Je sais ouvrir mon être aux influences ! Dans
la main potelée de Camille : une tige vert-vie d’acorus
calamus, cueillie dès notre entrée dans ce lieu. J’en
jubile : son parfum se mêle aux microscopiques gouttes de sueur
de sa nuque ; son chignon surmonte, tel une couronne d’or, un
Maillol éreintant les coutures de sa robe pourpre/vert. Je me
retiens pour ne pas l’embrasser, moins par concupiscence que pour
cueillir les vibrations de ce corps uni au vallon.
Nous
finissons par trébucher et alunissons sur l’herbe. Camille aux
yeux de ciel sourit et m’attire dans l’Y de ses seins. Culotte &
pantalon s’enfuient : son sac à main rouge laisse échapper
une cartouchière de préservatifs argentés. Étang, vallon &
ciel fondent sous le frottement : tout est si harmonieux quand
deux quarantenaires en quarantaine s’entendent pour effacer le
décor...
2
avril 2024
Le
travail fini, il m’arrive de rentrer rapidement à la maison. Œil
vague, pressé, j’ignore les tentations de la rue. Arrivé, clefs &
blouson posés, je saisis une chaise et l’installe devant Michèle
qui n’a pas bougé depuis le matin. Je prends ses mains. Je remets
une de ses mèches en place. Je plonge mes yeux dans les siens.
Note
personnelle : les premières fois, j’avais l’impression
d’entrer dans une immense cour glacée, j’ai fini par apprivoiser
ce vide. La cour glacée a disparue : Michèle m’offre un lieu
où poser mon âme fatiguée par notre monde (maladie répandue !).
D’une
voix aussi voilée que la sienne, je l’interroge & m’interroge,
énonçant sans me presser des questions sans réponse. Pourquoi
moi ? Pourquoi toi ? Quel dieu irresponsable t’a tiré de
ton sommeil pour une si pitoyable résurrection ?
Du
5 au 14 avril 2024
Camille ?
J’apprends à la connaître ! Corps & âme. Le corps ?
Je l’ai dit : un Maillol, ou plutôt, la femme de L’Atelier
du peintre de
Courbet, l’air
nunuche en moins. L’esprit ? Un vif-argent qui
démêle ses pinceaux sans l’aide d’un mari aux abonnés absents,
d’un fils secoué par cette séparation et d’une famille pleine
d’aberrations affectives. Notre terrain de connaissance ? Le
samedi, quand elle se résout à laisser son fils, Léo, à sa
meilleure amie, Rachida.
Nous
marchons beaucoup. En ville comme dans la campagne mitée des
faubourgs. Devant l’alignement des peupliers et les chevelures des
frênes, Camille me bombarde de questions, jaugeant le bonhomme que
je suis, tentant de le circonvenir, tout en luttant contre son envie
de se fondre en moi (c’est touchant, je suis touché).
Malgré
l’authentique humidité de nos regards, ces entretiens ont un goût
notarial : les anamnèses y sont intéressées, chacun soupèse
l’autre avant de prendre le chemin du plongeoir. Je la comprends :
les descriptions qu’elle m’a faite de son ex mari ne prêchent
guère pour l’amour des hommes.
Mais
enfin, le
temps passe : nous empilons les preuves d’une
possible cohabitation. Lors de nos après-midi ambulatoires, nous
abordons en vrac : l’hyper-activité de son fils ; la
place du ménage dans la conjugalité ; celle du travail dans
nos vies (sourcils soupçonneux de Camille devant mon manque de foi,
il n’empêche, le travail ne rend pas libre !!).
Bref,
l’avenir plein de vie sous toutes ses avanies. Nous franchissons
lentement les étapes : présentation aux amis respectifs ;
cohabitation avec le fils (deux dîners & un goûter : un
exploit car le petit s’hyperactive massivement en ma présence),
premiers congés en trio (un week-end prolongé : autre exploit
avec l’enfant survitaminé & jaloux)…
Cela,
sans trahir l’existence de Michèle, véritable enfant du placard.
Au sens propre du terme puisque lorsque Camille vient chez moi - ce
qui est plus pratique pour assouvir certains élans, loin des yeux du
petit Ramirez -, je cache ma petite morte dans le placard où je
range mes valises.
Nos
étreintes sont souvent boiteuses, au grand étonnement de Camille
qui connaît mes vigueurs hors de l’appartement. Un jour, j’écrirai
une monographie : « Dysfonction érectile et présence de la
mort ». Pour happy few, exclusivement.
19
avril 2024
Insolent,
le soleil de ce dimanche matin m’a décidé : direction la
montagne ! Eau/casse-croûte/ K-Way & sac à dos avant que
quarante kilomètres d’une route sinueuse nous mènent jusqu’au
pied du mont des Pauvres : deux milles trois cent mètres de
roches couturées d’alpages. Tant de beauté déridera t-elle
Michèle ? Garés, je chausse ma petite morte de baskets, enfile
mes croquenots et nous grimpons sous l’ombre mentholée de pectinés
de belle ramure. Hardiment (me concernant), avec une régularité
attendue (pour Michèle), nous avalons les premiers kilomètres de
dénivelé. Exalté par l’air et le paysage, je gigote d’aise,
tirant parfois Michèle par la main dès que je reprends mon souffle.
À
deux milles mètres, l’air se fait plus frais. J’enfile ma
polaire et réalise que je n’ai rien pris pour elle. Je hausse les
épaules : au diable la thermodynamique des morts ! Nous
poursuivons. Moi : soufflant et glissant/jurant sur le roulis
des caillasses. Elle : métronome en tee-shirt surfant sur les
sinuosités de la sente. Non loin du sommet, nous croisons un vieux
en knickerbockers qui redescend en sifflotant. «- L’est pas
frileuse votre dame !, lance t-il hilare lorsque nous le
croisons ». Touché, j’improvise un : «- Madame est
finlandaise ! » qui le fait éclater de rire avant qu’il
ne disparaisse dans un replis du sentier.
Après
avoir slalomé entre granit et buissons, nous arrivons au sommet. Sur
ces vastes solitudes de vent, le ciel s’offre comme un bouclier ;
nous voilà loin des fracas du monde. « - Ton royaume...,
dis-je à Michèle en souriant ». Sous un gros rocher, je
trouve un creux ensoleillé où nous nous asseyons. J’entame mon
sandwich alors que Michèle, les jambes étendues sur la pierre,
contemple le paysage. Devant nous, le pays étale ses vallées et ses
collines. Les routes, à peine devinées, ont l’aspect de vers
luisants. «- Quand même, dis-je à Michèle en caressant sa joue.
Cela ne te fait rien, tout ça ? ». Du regard, celle-ci
m’octroie quelque secondes de néant avant de replonger dans la
contemplation du paysage. Qu’importe : je savoure le moment,
dissipant l’étincelle de tristesse que fait naître à chaque fois
son « absence ». Sandwich avalé, je me dis qu’à
voisiner entre l’éternité (Michelle) et le sublime (le paysage),
d’immortelles pensées vont surgir...
Ne
persillent en fait qu’une myriade de constatations taôistes :
les vallées fument, les routes scintillent et les circaètes
Jean-le-Blanc planent sans bruit au-dessus de nous. Après quelques
minutes, la tête sur les cuisses de Michèle, je récolte une belle
sieste en récompense.
Au
réveil, le temps de me débarbouiller et nous redescendons fissa
avant que le soleil ne se couche. Un peu trop fissa sans doute car,
les jambes fatiguées, je glisse et roule-boule jusqu’à un buisson
de genévriers où j’atterris sans dommages. Quelques mètres plus
haut, Michèle s’est immobilisée, le regard perdu vers le sommet.
J’ai beau l’appeler, elle ne bouge pas et il me faut regagner en
maugréant l’endroit où elle se trouve. Et si je m’étais cassé
une jambe ?! Note de travail : les morts ne sont pas des
Saint-Bernard !!
20
avril 2024
Eucatastrophe !
D’un coup de pied, le petit Ramirez a ouvert ma porte ! Le
pénible lardon surgit au milieu du salon, trépignant d’avance, et
découvre, les yeux exorbités, votre serviteur en train d’habiller
Michèle. (J’ai oublié de boucler ma porte et il m’arrive de
passer un gant sur ma petite morte). Ces sept ans font face à la
jeune fille dénudée : la bouche du dynamique marmot prend les
dimensions d’une trompette du jugement dernier. S’en échappe
alors des syllabes stridentes qu’il ne cesse de beugler sur le
trajet qui le mène à l’appartement de sa mère. Y A UNE FEMME
TOUTE NUE ! Y A UNE FEMME TOUTE NUE ! Y A UNE FEMME TOUTE
NUE ! En une seconde, je passe de la pulsion infanticide au
sentiment de reconnaissance. Finalement, je suis soulagé.
Je
termine d’habiller ma morte qui, fidèle à elle même, n’a pas
sourcillé puis me tourne vers la porte, une main sur l’épaule de
Michèle. J’attends l’arrivée de Camille. Dignement.
Boum-Boum-Boum (au
diapason de mon cœur ! ) : les pas de Camille résonnent
dans le couloir avant que celle-ci n’apparaisse dans l’entrée,
escortée par l’affreux ludion. Je ne lui laisse pas le temps de
nous entraîner dans d’irréparables ornières. Je pointe d’autor
mon index vers Michèle : « - Ce n’est pas ma sœur, ni
ma femme, ni ma fille, pas plus que ma maîtresse, mon amie ou une
témoin de Jéhovah. Reviens ici dans un quart d’heure sans Léo.
Tu auras alors tout le loisir de faire sa connaissance ». Le
sifflet coupé mais avec l’expression d’une femme décidée à ne
pas perdre le second round, Camille fait faire demi tour à son fils
(déçu par ce rival regimbant) et disparaît.
À
vingt heures précises, Camille ouvre ma porte, un air guerrier sous
son auréole de cheveux blonds. Son visage : un maelström
d’émotions dardées par la présence de Michèle. Sur ma table :
une pique à brochette et un grand couteau. Presto, je lui
désigne mon attirail : « - Tu ne crois pas aux fantômes ?
Aux morts ? Aux esprits perdus dans les limbes ? Tu as
tort. » Je saisis la pique et transperce le bras de ma petite morte.
Camille pousse un cri avant de se jeter sur elle pour l’ôter. Je
la laisse faire, m’empare du couteau et le plante dans la poitrine
de Michèle. Un deuxième cri retentit, plus faible, et Camille
s’évanouit aux pieds de la morte. Un plan brillant.
« -
Regarde, dis-je, au moment où Camille rouvre les yeux. Michèle
n’est pas blessée. De toute façon, il ne peut plus rien lui
arriver ». Depuis le lit, où je l’ai allongé, Camille
contemple une Michèle intacte & impavide qui, debout, fixe un
point situé entre ma fiancée putative et la lampe de chevet.
Mi-égarée,
mi-méfiante, Camille se dresse sur son séant. Sa main s’avance en
éclaireuse vers Michèle avant de se poser sur son bras, d’abord
avec hésitation puis avec une sorte de fermeté un peu hystérique
qui l’emmène à palper son ventre, ses cuisses et, pour finir, son
visage. « - J’ai cru à une poupée…, bégaye t-elle ». Je
saisis la pique. « - Tu veux que je le refasse ? ».
Camille
se rassoit sur le lit, toute d’attente crispée. J’entreprends
alors de percer Michèle de tous les côtés avant de m’écarter et
de désigner (un peu théâtralement, je l’avoue), les orifices
qui, en quelques secondes, non seulement ne laissent suinter aucun
fluide mais se referment sans laisser de trace. Et voilà pourquoi
votre voisine est muette.
Les
millenials, engeance décérébrée s’il en est par l’usage
de l’écran et un environnement débilitant, usent à l’envie de
ce néologisme : malaisant.
Pour
une fois, je le reprendrai à mon compte : ma douce Camille,
pour qui mon corps & mon cœur battent à l’unisson, entreprend
depuis une heure de tester la mort de Michèle.
Son
admirable visage figé par un air de concentration inquiétant
(contraste saisissant !), elle soumet la jeune spectre à une série
de tests qu’un bourreau syrien ne renierait pas. Je refuse, ici, de
décrire ses pratiques - des enfants pourraient lire ces lignes !
Disons qu’il est heureux que personne d’autre que moi n’assiste
à cette pénible séance.
«
- Impossible..., finit par exhaler Camille en se laissant choir sur
le lit ». Visiblement, ses petits tests son terminés : je
peux cesser de malaxer mes paumes. Les épaules de Camille
s’affaissent. Son regard se fait plus vague. Elle digère
l’énormité. Je laisse l’ahurissement l’envahir doucement :
avec un peu de chance, le boulet n’aura produit qu’un peu de
vent. Mon œil ! C’est sans compter sur l’énergie des
femmes ! Camille redresse son buste et son regard s’allume
avant de se tourner vers moi : « - Tu es sûr que tu ne la
connaissais pas ? ». Paumes tournées vers le ciel -
signes jumeaux de probité & d’égarement -, je lui assure que
rien ne me lie à Michèle. Camille hoche la tête, peu convaincue.
21
avril 2024
Alors
que dans la Manche, et sur la ferme de mon frère Laurent, le vent se
fait moyen selon l’échelle de Beaufort, notre bise locale
continue, elle, à martyriser notre cité d’uppercuts glacés.
Dispersés les pollens, éparpillés les espoirs estivaux ! Dans
les rues, on se recouvre en grommelant. Le printemps s’est fait
sournois, au point d’imprimer au soleil un de ces airs de tapinois
qui scie les nerfs. Dans l’immeuble, l’atmosphère est au
diapason. Ce n’est pas une brouille, ni une bouderie : juste
un zéphyr qui rafraîchit nos rencontres. Dans l’escalier, le
petit Ramirez jubile et se livre à une exaspérante danse du scalp
chaque fois qu’il me croise. Je fais le dos rond. Je me garde de la
moindre plaisanterie. Après tout, ce n’est pas tous les jours
qu’on découvre une morte vivant dans l’appartement de son
nouveau petit ami.
Le
crépuscule ? Il règne sur une ville rouée de coups éoliens.
Ses rues ? Tuméfiées & vidées du moindre passant. Chacun
oublie chez soi ces journées à jouer les fétus de paille. Moi ?
Au chaud. Camille ? Pomponnée avec, entre les mains, une
bouteille de prosecco. Elle se tient, souriante, dans l’encadrement
de ma porte. Malgré la robe (jolie), l’eye liner et le vin
italien, je renifle un parfum d’ultimatum : rien, dans son
regard, ne trahit le moindre sentiment peccamineux. Précautionneux,
je rapatrie Michèle dans la chambre et installe quelques biscuits
apéritifs sur la table du
salon.
Pop !,
fait le bouchon en tombant sur le lino, je sers nos verres, l’alcool
pétille et on commence. En
vétérane rompue aux
bisbilles conjugales,
Camille ne touche pas à son
verre. « - J’ai réfléchi,
dit-elle. On s’entend bien. C’est rare. (Un regard vers la
chambre) Il ne faut pas gâcher ça. »
La prudence faite homme, j’acquiesce
juste ce qu’il faut. Elle prononce alors
ces paroles ailées : « - Tu ne peux pas continuer comme
ça. (Son regard exécute un magistral salto dans le mien). Nous ne
pouvons pas continuer comme ça ».
23
avril 2024
Pourquoi
Aurillac ? Sans doute parce que cette ville se trouve à trois
heures de route d’ici. Michèle est assise à mes côtés. Je l’ai
vêtue d’un manteau acheté quelques jours auparavant car j’ai
décidé que les morts ont aussi le droit d’avoir froid ! Sur
l’autoroute, les panneaux indicateurs ont revêtus leur livrée de
croque morts. Mes mains : sur le volant. Mon esprit :
tournicoté par ce mantra, « J’ai choisi la vie »,
distillé par Camille lors de notre discussion. Le but de ce voyage ?
Abandonner Michèle sur le quai de la gare.
Trois
heures après, je trouve ladite gare gangrenée par la
bruxellose ferroviaire des édifices SNCF : des vestiges arts
nouveaux cannibalisés par des décors plastifiés. À cette heure
(le soleil blanc de midi), les quais sont atones. Je décompte deux
vieux à valise sur un banc, une paumée en chevelure bleu
psalmodiant sa prière d’après shoot, un punk à chien (sans
chien) endormi sous un caténaire & un chef de quai immobile sur
le quai. Docile, Michèle me suit jusqu’au banc où je la fais
asseoir. Pâle, sa peau m’apparaît comme un mouchoir d’adieu.
J’embrasse
sa joue et, gorge serrée, esquisse un geste que je
stoppe immédiatement : trop hypocrite. Puisse t-elle regagner
la maison d’Hadès depuis ce quai de gare ! Ma prière et
notre silence (unique chose que nous aurons partagé !), sont
interrompus par l’arrivée d’un TER qui secoue ses jupes avant de
freiner à notre hauteur. Ses portes s’ouvrent. J’en profite pour
décrocher. Après quelques pas, je ne peux m’empêcher de me
retourner : droite & indifférente, Michèle ignore le flot
des voyageurs qui la cache peu à peu à ma vue. Lorsque je me
retrouve devant la gare, un ricanement désagréable me saisit par le
col pour me traîner jusqu’à la voiture : « J’ai
choisi la vie », graillonne l’affreux écho.
27
avril 2024
La
date ? Quatre jours après. L’heure ? Huit heures et
quelque chose du matin. Le lieu ? Chez moi. Votre serviteur ?
Son téléphone portable en main, en train de pianoter pour trouver
une chanson sur le Net. Je finis par trouver, copie le lien et
l’envoie à Camille, présentement chez ses parents dans l’Hérault.
Le
chat revint
Le lendemain matin
Le chat revint
Le fait
est certain
Nul ne saura
Ni comment ni pourquoi
Mais
dès le chant du coq
Le chat était là.
Le
téléphone reposé, je me dirige vers la cuisine. « - Je suppose
que tu ne voudras pas de café ?, demandes-je à Michèle,
sagement assise sur sa chaise préférée. Elle me regarde un bref
instant avant
de se tourner vers
la fenêtre.
4
mai 2024
Some
kind of innocence is measured out in years.
Mesure t-on l’amour aux kilomètres parcourus ?
À
cette
heure, Camille roule vers Salon de Provence. Dans sa
voiture
: sa blonde personne
et
Michèle cinglent vers le pays du vent dans un silence que j’imagine
solide. Six cents kilomètres. Leurs deux nuques muettes au-dessus
des appuis-têtes. Six cents kilomètres pour laisser Michèle loin
de mon appartement.
Après
son retour
d’Aurillac, Camille
n’aura
pas hésité plus d’une semaine pour prendre en main sa nouvelle
délocalisation.
L’annonce s’est faite avec
le
visage d’un ange de l’apocalypse. Sourcils froncés, mâchoire
serrées, bien décidée à ce qu’aucune scorie ne s’interpose
entre notre amour et la vie, elle a posé un jour de congé (elle est
bibliothécaire dans une médiathèque de la commune), confié le
petit Ramirez à Rachida et
fait
le plein d’essence. Six cents kilomètres. J’ai frissonné, un
peu, quand
même.
8
mai 2024
Où
en suis-je vraiment ? Joie
?
Consternation
?
Lassitude ? Indifférence ? Que dire de l’humeur qui
teinte ce nouveau matin de mai ? Voilà quatre jours que Camille
est rentrée de Salon.
Je
m’habille au milieu de l’odeur du
café
que j’ai préparé. Je ne peux m’empêcher de chantonner,
incapable de savoir ce que je ressens face à cette chaise
à
nouveau
occupée par
Michèle.
En
moderne conséquent, j’envoie mon cruel (?)/désespéré(?)
texto
à Camille.
Le
chat revint
Le lendemain matin
Le chat revint
Le fait
est certain
Nul ne saura
Ni comment ni pourquoi
Mais
dès le chant du coq
Le chat était là.
Du
8 au 17 mai 2024
Délicates
sont les journées qui suivent nos deux tentatives d’éloignement.
Un modus videndi plein d’aigreur s’est établi au sein de
notre quatuor : entre deux exploits catastrophiques de Léo,
Camille et moi continuons nos sorties proto conjugales. Nous trouvons
une sorte de terrain d’entente dans les chambres que nous
louons dans les motels des environs. « - J’ai vraiment
l’impression d’être ta maîtresse !, s’exclame
régulièrement Camille ». La colère que j’entends dans sa
voix me dispense de tout commentaire. Bilan : nous voilà bien
malheureux, trop conscients du bricolage.
17
mai 2024
Camille
est en larmes. Non à cause de Michèle mais parce que son fils a
frappé une de ses camarades. Cette fois-ci, les parents de la petite
Anissa menacent de porter plainte & la directrice de l’école
hésite à renvoyer Léo.
« - C’est sa troisième école !, éclate Camille ».
Que puis-je faire sinon l’accueillir dans mes bras impuissants ?
Nous : au milieu du salon, accrochés/désespérés, couverts de
la lumière poudreuse de l’après-midi sous le regard absent de
Michèle que je n’ai pas pensé à faire sortir de la pièce.
Au
bout d’un moment, Camille se fait lourde et s’effondre sur le
lit, les bras en détresse. « - J’ai tout fait : le
psychomotricien ; l’orthophoniste ; le psy ; le
médecin pour la Ritaline… Même son auxiliaire de vie scolaire
n’en peut plus ! Et il ne sait toujours pas écrire ! ».
Sonné, cherchant mes mots, je n’ai pas entendu entrer le petit
Ramirez. Conscient que l’heure est grave, et que son seul soutien
vacille, l’enfant s’assoit en silence aux pieds de sa génitrice.
Sa tête se pose sur le mollet maternel aussitôt couronnée d’une
main encore aimante. Escorté de silence, le temps suspend son vol
dans le salon. Magnanime, il accorde un peu de paix à chacun de ses
occupants.
J’ai
fait du thé. Green tea – Honey & Lemon. Pauvre geste
mais seule bouée à portée de main. Camille m’a rejoint à la
cuisine. Assise, elle serre une tasse inentamée & fumante entre
ses mains. Son visage ? Un champ impudique retourné par la
fatigue et le désespoir. Moi ? Assis à ses côtés, marmonnant
des paroles de réconfort. « - Je viendrai avec toi à l’école
parler à la directrice... ». Pincement à l’estomac/chaleur
aux tempes, je prends conscience du petit bond que j’effectue dans
le giron de l’engagement. « - Solidarité élémentaire !!,
beugle le chœur dans un coin de la scène. »
« -
Où est Léo ? » C’est ce que demande Camille, soudain
alertée par l’inhabituel silence qui règne dans la pièce où se
trouve son fils. Je me lève avec elle et nous gagnons le salon.
Personne. Pas le temps de s’inquiéter : de la chambre, nous
parvient un léger bourdonnement de voix. Propulsés par sa vitesse
de mère, nous pénétrons dans ma canfouine.
Là,
sur la fameuse chaise, les yeux mi-clos, une mèche des cheveux de
Michèle enroulée autour de son index, le petit Ramirez est assis
sur ses genoux, la tête posée entre ses seins pumpernickel. D’une
voix languissante, il explique à ma petite morte qu’il n’a pas
voulu faire mal à sa copine Anissa. Camille & votre serviteur ?
Deux ronds de flanc.
4
septembre 2027
Après
trois ans, un mariage (heureux), et le retour de Léo dans le giron
d’une communauté humaine qui n’a plus à craindre ses écarts,
je peux l’affirmer haut & fort : en ces temps d’extrême
déréliction, les morts apaisent !
De
l’extérieur (l’image, toujours
!), nous formons une famille parfaitement fonctionnelle. Qui ne
s’attendrirait pas devant ce sympathique couple de quarantenaires,
leur fils si bien élevé et sa grande sœur autiste à laquelle il
semble si attaché ?
Comédie ?
Que nenni ! Apocalypse climatico-politique mis à part,
nous sommes aussi heureux que peut l’être une famille de la classe
moyenne occidentale au début du XXIe siècle.
Alors ?
Alors, je laisse au lecteur le soin de reposer ce livre pour méditer
les enseignements de cette authentique histoire. La preuve : à
l’heure où j’écris ces lignes dans notre maison campagnarde,
j’aperçois mon Léo sur la terrasse. Lové contre Michèle, il lui
conte par le menu la promenade que nous venons de faire dans les bois
qui entourent notre ferme.
À
peine consentirai-je à mentionner que, ce matin, ma chère Camille,
contemplant son fils dans les bras de notre petite morte (ils dorment
ensemble), a laissé échapper, attendrie, cette formidable
observation : « - Tu verras, elle nous enterrera tous ! ».