mardi 2 décembre 2025

L'habituel saccage



Après la commune de Volx, les habitants d’Ongles, petit village accroché aux flancs de la montagne de Lure, ont appris, eux aussi, par le biais de la publication d’un avis d’enquête publique, qu’un projet d’implantation de panneaux solaires était à l’étude sur leur commune. L’habituel saccage de la nature prévoit le défrichement de 12 hectares de forêt, au lieu-dit la Seygne, pour que la société SolaireParcMP079, filiale d’Engie, puisse y installer ses panneaux.

Les écologistes fervents applaudiront ce projet qui, comme le précise l’avis préfectoral, « vise à assurer la sécurité énergétique du territoire, à réduire les émissions de gaz à effet de serre, à participer au développement des énergies renouvelables par la production d’électricité sans émissions sonores, sans déchets et sans consommation d’eau ». D’autres, plus sensibles aux conséquences du confort moderne, peut-être aussi plus rétifs aux discours du green washing (l’autre nom de la poursuite suicidaire vers notre extinction) ou simplement lecteurs d’un Giono qui fit autre chose de cette terre vivante, se mobiliseront pour empêcher cette stupidité.

Se précise ainsi, à travers l'implantation d'installations diverses (centrales photovoltaïques, éoliennes, usines de méthanisation, décharges nucléaires), le projet moderne d'aménagement du territoire français. Dans les campagnes "désertées", que ne peuplent plus que les vieux, les déclassés, les paysans et les pauvres, et où l'on supprime gares, hôpitaux, maternités, écoles et bureaux de poste, on installera ce que les métropoles (où il fait si bon vivre) ne veulent pas et qui est nécessaire à leur survie.
 

Dernières heures : en 2019, saisi en première instance par l'association Amilure, le tribunal administratif de Marseille a validé le permis de défrichement qui avait été accordé à l’opérateur. 

A la suite d'une procédure menée par cette même Amilure, la Cour administrative d’appel de Marseille est revenue sur cette première décision : Engie Green a perdu son permis de défrichement dans un arrêt du 31 décembre 2024.

Le 10 février 2025, le conseil municipal d’Ongles a refusé de reconduire le bail emphytéotique accordé à Engie Green, estimant que le projet n’était plus d’intérêt communal. 

Malgré ce double désaveu, l’opérateur a saisi le Conseil d’Etat en cassation, qui a jugé son pourvoi admissible.

Le Conseil d’Etat rejugera l’affaire sur la forme, et peut-être même sur le fond.

S'il donne raison à Engie Green, l'entreprise récupérera son autorisation de défrichement, et pourra lancer son projet si la mairie d'Ongles lui accorde un nouveau bail.

Si le Conseil d’Etat tranche en la faveur d'Amilure, le projet devrait logiquement s’arrêter, sans autre recours possible de la part de l’opérateur.

Celles et ceux qui souhaiteraient s'intéresser de plus près à cette affaire se renseigneront utilement sur le site d'Amilure


mardi 25 novembre 2025

Argent de la guerre & Guerre de l'argent


« Je ne sais pas pourquoi cela se produit, mais depuis une trentaine d’années que je siège au Sénat, je me suis rendu compte qu’en achetant des armes pour tuer, détruire, rayer des villes de la surface de la terre et éliminer de grands systèmes de transport, il y a quelque chose qui fait que les hommes ne calculent pas les dépenses aussi soigneusement qu’ils le font lorsqu’il s’agit de penser à un logement décent et à des soins de santé pour les êtres humains ».

Richard B. Russell, sénateur conservateur du Sud des USA, 1960

Dans ce texte, glané chez Lundi matin, Maurizio Lazzarato, sociologue et italien de son état, explique que le réarmement massif de l'Union Européenne, l'amplification de celui des USA, constitue une stratégie pour prolonger un capitalisme financier en crise. Les bulles spéculatives successives (internet, subprime, etc.) l'ayant fragilisé, les oligarchies occidentales misent désormais sur une "bulle de l'armement" reposant sur d'énormes investissements militaires. 

Pour Lazzarato, cette orientation entraîne plusieurs conséquences : l’accaparement de l’épargne au profit des industries de défense ; l’approfondissement des inégalités ; le démantèlement achevé de l’État social ; le renforcement des hiérarchies impérialistes européennes — notamment au bénéfice de l’Allemagne ; la disciplinarisation des populations ; et la montée des tensions internationales, la production d’armes appelant leur usage.

S’appuyant sur l'oeuvre d'une Rosa Luxemburg, Michael Kalecki, ou de Paul Baran et Paul Sweezy, notre sociologue transalpin rappelle que la guerre est historiquement centrale dans l’accumulation capitaliste et que les élites privilégient les dépenses militaires au détriment des dépenses sociales, jugées émancipatrices. Il faudra le répéter : l’accumulation repose sur la violence, la prédation et la domination étatique.

Bref, pour Maurizio Lazzarato, les coups de clairons actuels ne répondent ni à des impératifs de sécurité (les chars russes sur nos Champs Elysées) ni à la défense de valeurs mortes depuis longtemps sous des tonnes de cadavres : ils servent avant tout à maintenir un capitalisme épuisé, dépendant de la guerre, de la discipline sociale et de l’affaiblissement du welfare pour se perpétuer.

On pourra amender ces considération avec l'excellente analyse faite par Nicolas Framont dans Frustrations, du discours de Fabien Mandon, chef d'état-major des armées, délivré le 18 novembre dernier lors du congrès de l'association des maires de France.   

Enfin, pour posséder une vision tant soit peu dialectique de ce problème, on lira sur le site de Temps Critiques, une critique des articles de Maurizio Lazzarato faite par Jacques Wajnstein.    


mardi 18 novembre 2025

L'IA c'est politique

"Pour comprendre en quoi l’IA est fondamentalement politique, nous devons aller au-delà des réseaux de neurones et de la reconnaissance statistique des formes, et nous demander ce qui est optimisé, pour qui, et qui décide. Nous pourrons alors étudier les conséquences de ces choix."

Kate Crawford, Contre atlas de l'intelligence artificielle 

 

vendredi 14 novembre 2025

Oups !



Une étude du Massachussetts Institute of Technologie portant sur 54 étudiants a montré que 83 % d’entre ceux qui avaient rédigé une dissertation en se servant de ChatGPT étaient incapables de se souvenir d’une seule phrase de ce qu’ils avaient écrit.

 

lundi 3 novembre 2025

La façon dont une société traite ses fous


Le 17 octobre dernier, l'agence régionale de santé (ARS), par l'intermédiaire de son antenne du Centre-Val de Loire, signifiait aux cliniques de la Borde et de la Chesnaie le non-renouvellement de leur autorisation d’activité de psychiatrie. 

Rappelons que ces deux cliniques furent le fer de lance de la psychiatrie institutionnelleCelle-ci, pour aller vite, considère que l’institution psychiatrique n’est pas un simple lieu de soins et d’enfermement mais est intégré au traitement pour devenir un lieu de vie structuré pour« soigner » les patients. Un lieu où tout est bon pour responsabiliser ces derniers, en leur faisant prendre une part active à la vie de l’établissement.

Dans son habituel technolecte managérial, l'ARS révèle sa conception du soin psychiatrique en affirmant qu'elle "ne remet pas en cause la qualité de leur travail ni la richesse de leur approche, mais traduit un constat partagé : une grande part des personnes aujourd’hui accueillies dans ces établissements relèvent davantage d’un accompagnement médico-social que d’une hospitalisation psychiatrique au sens défini par la réglementation la plus récente. Leurs besoins portent principalement sur la vie quotidienne, le soutien à l’autonomie et l’inclusion sociale, plutôt que sur des soins intensifs à visée thérapeutique hospitalière.

Traduction : une institution qui ne pratique pas suffisamment de contentions et d'injections médicamenteuses n'a plus droit au titre d'établissement psychiatrique. 

En 2009 déjà, Jean Oury, qui fut psychiatre ainsi que fondateur et directeur de la clinique de la Borde, parlait sans fard de la destruction de la psychiatrie par les gestionnaires : "On va supprimer les psychiatres, on va supprimer les infirmiers, on va supprimer les hôpitaux et tout ira bien. On voit le résultat, c'est une simplicité naïve, redoutable. (...) Ça y est, ils sont au pouvoir, ils ont gagné." 

Si l'on souhaite approfondir ses réflexions sur ce sujet, on pourra lire l'excellent article du psychiatre Matthieu Bellahsen.


jeudi 30 octobre 2025

Pier Paolo Pasolini, novembre 1975

 


Dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, Pier Paolo Pasolini était assassiné sur une plage d’Ostie. Dans son livre Massacro di un Poeta, la journaliste d’investigation Simona Zecchi éclaire de façon documentée et dialectique les circonstances de ce massacre : « Je m’inscris en faux contre la thèse conspirationniste qui voudrait qu’un pouvoir occulte ait tout orchestré. Ce dont je suis certaine, c’est qu’il y avait des gens au sein du pouvoir en place qui avaient intérêt à supprimer Pasolini. Dans ses Ecrits corsaires, Pasolini dénonçait les liens entre la Démocratie chrétienne et la mafia. Cela n’aurait aucun sens de dire que c’est Giulio Andreotti qui a ordonné l’assassinat. Les homicides ne se décidaient pas comme ça… on s’arrangeait pour que l’assassinat ait lieu. Les services de renseignements et des membres de la Démocratie chrétienne savaient que, dans les mouvances d’extrême droite, on voulait la peau de Pasolini. Beaucoup de personnes voulaient le mettre hors d’état de nuire. Leurs intérêts ont convergé jusqu’à cette nuit de massacre. »

*

« De sorte que, sous le spectaculaire intégré, on vit et on meurt au point de confluence d'un très grand nombre de mystères. »

Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle

 

vendredi 17 octobre 2025

Gianfranco Sanguinetti (1948-2025)

 


Gianfranco Sanguinetti fut membre de la section italienne de l’Internationale Situationniste. On lui doit le Véridique Rapport sur les dernières chances de sauver le capitalisme en Italie ainsi que Du terrorisme et de l'État. Gianfranco Sanguinetti est mort le 3 octobre dernier à Prague où il vivait depuis quelques années.

 

mercredi 15 octobre 2025

Intelligence artificielle


"La question centrale autour de la thématique de l’intelligence, quand elle est abordée par le rapport aux machines, est donc moins de savoir ce qui arrive aux machines quand on les compare aux humains, que ce qui arrive aux humains quand on les compare aux machines. Dans le test de Turing (comme dans l’expérience de Milgram), l’objet de l’expérience n’est pas celui que l’on croit. On pense tester une IA pour déterminer si elle est ou non intelligente ; mais on oublie de se demander ce que cette expérience fait aux humains. La réponse n’est pas brillante." 

Sur le site En finir avec ce monde, Nicolas Bonnani répond de façon brillante & argumentée à l'universitaire Cochoy, auteur d'un texte rien moins qu'intitulé : "Pour l’antiluddisme. Du bon accueil de l’IA parmi les humains", parangon d'entreprise d'acceptabilité ne servant qu'une chose : le camelotage de l’IA. 

L'article de Nicolas Bonnani est, avec les écrits de Jacques Luzi,  ce que nous avons lu de mieux en matière de critique de "l'intelligence artificielle".