jeudi 8 juin 2017

Psychopathologie de la non-vie quotidienne



Dans La Fausse conscience (1962), Joseph Gabel, le premier, analyse d'un point de vue clinique et politique le processus de schizophrénisation de la vie quotidienne. A partir de son observation d'enfants spatialisant les évènements de leur vie sans jamais les inscrire dans une temporalité, il en vient à définir le mode de vie spectaculaire comme extérieur au temps chronologique et à l'histoire, comme une reproduction à l'identique du même instant non vécu

Dans Manuel de survie (1974), le théoricien et poète italien Giorgio Cesarano remarque que le caractère profondément nihiliste du capitalisme contemporain le pousse à organiser un vaste ensemble de communautés thérapeutiques où toutes les quêtes identitaires, religieuses et culturelles sont instrumentalisées et participent à la guerre de tous contre tous. 

Dans La Vie innommable (1993), Michel Bounan rend évident le lien qui unit la souffrance psychique contemporaine et l'appauvrissement du langage : l'incapacité à comprendre son monde induit une incapacité à nommer son mal. 

Ces trois constats définissent les termes d'une psychopathologie de la non-vie quotidienne, entretenue et préméditée par le pouvoir spectaculaire. Par une vraie stratégie de déréalisation, ce pouvoir généralise les tendances paranoïaques et schizophréniques des population sous son contrôle et génère de nouvelles pathologies qui sont le résultat direct de la confusion, entretenue et préméditée, entre le réel et l'imaginaire, la vérité et le mensonge. Qu'elle soit cachée et honteuse, visible et revendiquée, la maladie mentale se développe partout comme la forme nouvelle du lien social. Elle est le signe maladif d'une crise de la représentation et préfigure une violente crise de civilisation.

Jordi Vidal, Traité du combat moderne, Films et fictions de Stanley Kubrick