lundi 30 novembre 2015

Salvador (et ailleurs)




La verdad es que no se puede hacer la revolucion sin la participacion de las mujeres.

Doris Tijerino.

Dragons & Princesses


Comment oublier les vieux mythes qui sont au commencement de tous les peuples, ces mythes qui nous parlent de dragons métamorphosés, à l'instant ultime, en princesses ? Peut-être tous les dragons de notre vie sont-ils des princesses qui n'attendent que le moment de nous voir beaux et courageux. Peut-être tous les effrois ne sont-ils, au fond du fond, qu'une impuissance qui demande notre aide.

Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète.
 

dimanche 29 novembre 2015

Sud(s)




Navire incertain né de la cicatrice des vagues, mes voiles n'ont qu'un seul port : le Sud, âme de mon âme, où le silence de l'écorce répond au baiser des calanques, où l'écume chante le frôlement des méridiens, le sommeil des tomettes dans l'après-midi, la traversée, la mort, l'exil et ses trafics consciencieux.
Peu m'importe les rochers signalés par les cartes officielles, au sel recueilli, ce chant vient de la bouche de Méditerranée.
Que l'on se munisse de tabac, d'alcool et de café. La radio variera les angles par-dessus les toits et les mots, fussent-ils écrits au soleil, s'égareront sur des pages qui, s'ajoutant les unes aux autres, formeront l'éternel livre de l'incompréhension.

Le chant n'explique rien, à peine célèbre-t-il des ombres que le poète lui-même avoue ne pas connaître.

De l'écume ancienne, j'aime à tirer mes images. Imagine Simos et Protis, vaillants trimards, touilleurs d'onde au bénéfice de l'antique Grèce. Galères, amphores, vin, miel, des affaires plein la tête et les voiles à jeter l'ancre dans un golfe où la berge court, Tyro, bras tortueux du dieu de la mer, l'agrippant à bras le corps, et le verre gris-bleu de la mer les enclôt....
Du bastingage, on voit les collines de pins où se trouvent les Ligures. "- Bon, dit Simos. Qui s'y colle aujourd'hui ?" Et l'équipage pointe son index rongé de sel vers la belle gueule de Protis. Sur le pont, le voici coiffé, pomponné, oint. Un glaive, des sandales neuves, trois gardes et Protis ronchonne jusqu'aux sentinelles de Sésobriges. "- Fonder une ville, s'amuse le Celte. Là, sur la plage ?" Sésobriges a entendu parler de l'habileté de ces gens venus de la mer. Un avenir si on sait placer ses billes. "- Reste avec nous, ce soir. Je marie ma dernière, Gyptis. On va faire une bringue à tout casser." Les prétendants avaient été invités au banquet ; le roi lui dit d'offrir l'eau à celui qu'elle choisissait pour mari. Alors, laissant de côté tous les autres, elle se tourne vers les grecs et présente l'eau à Protis, qui d'hôte devenu gendre, reçut de son beau père un emplacement pour y fonder une ville.


La Commune de Marseille a précédé de quatre mois la Commune de Paris. Tournée vers la mer, la ville ignore la capitale pour regarder les changements venus du large. Sous les collines, près de l'écume : la Joliette, Saint-Just, la Capelette, Endoume, la Belle de Mai, Menpenti guettent les couleurs du lointain.
Coincé entre tradition et modernité, le sudiste cultive l'art du baratin. Tacite parlait déjà d'une rhétorique du Vieux Port qui résonnait entre bons mots et envolés lyriques. Anisé, rosé, malté, le verbe s'épand toujours des villas de Castellane jusqu'aux ANPE de Plan de Cuques. Rythme, boxe des mots, oubli-mouise, tête d'ail, tête d'Oc, la langue dans la ligne de sel !

Pour le reste, on connaît le mélange : quarante races tournant sur l'axe de Canebière et qu'importe les giclures d'huile si les nuits rencontrées à Marseille oublient pour un temps les alliances ironiques, les familles efficaces, les gosses flingués sous les affiches, la cage de but masquant mon formulaire du RSA, le béton armant les côtes, les cévenols bénisseurs, tous ces anges, mes frères, mes ennemis hantés par les fantômes de Flaissières et de Tapie.

Nous sommes des racleurs de côte plus que de vrais marins. Beaucoup rechignent à traverser. Traverser, le verbe est amer ici. On traversa parce qu'il le fallait. Les sites maritimes ont d'abord été des colonies fondées par des métèques besogneux qui se sauvaient du qu'en dira-t-on perfide de leurs cités d'origine.

On a déniché un coin de soleil, à quoi bon courir après d'autre mal de mer ?

Il y a l'intérieur des terres bien sûr, et tous ont fait ce rêve : nourri de vent, le ciel surprend la nuque à la sortie du bois. Elle est là, taillant le haut des arbres jusque dans mon carnet. Scalpel minéral modelant l'azur, la salamandre ondule des marches de Pourrières jusqu'aux premières rumeurs du Tholonet.
Je m'assoie, talons dans la glaise, pour me souvenir. Chaque dimanche, je rendais compte de mes rêves à ses flancs minéraux : soliloques, cerfs-volants, sources, thym, caillasses. Je taillais du menton des couloirs de genêts pour rentrer à la nuit, les jambes piquant dans l'eau de mon bain. Au lit, lumière éteinte, je savais que ses mains de silence garderaient mon sommeil. Elle bloquait depuis des siècles les nuages venus d'Atlantique...
Je marche souvent à ses côtés, un tambour géant qui rythmerait mes songes.

Jamais célébration des corps n'est plus belle qu'en été. Je n'oublierai jamais ces parfums échangés, bouche contre bouche, dans l'immensité de juillet.
L'air est mat comme une pomme. Dehors, un feu blanc autour des corps. Rien n'est dit hors des mots sculptés par le souffle. Tout se joue au millimètre afin d'amener l'intime à son poids d'incandescence. Glissements. Sauts de lune. Ventres de truite frissonnants jusqu'à l'encolure. Mains en liturgie. Balayage des profondeurs. Accélération lente. Déflagration courbée par le plaisir du cri. Tout, enfin se livre à qui s'envahit d'abandon.

Les traditions ont la vie dure ici. Il faut errer en terrasse, capter les conversations, apprendre que derrière les portes bruissent de drôles d'étoffes. Vieilles familles et nouveaux élus se mélangent. Libertins convenus, friponnerie de boucher, perversions appréciées. De l'utile. Les clans habituels se disputent, infâmes, les blasons de la ville : petits territoires, petites médailles, petites tombes.
La vie ici, s'offre à qui jouit du décor. Car tout s'étouffe moelleusement. Et gare au fringuant butant dans la fourmilière des profondeurs, la ville compte les meilleurs aliénistes du département. Montperrin guette les âmes usées par le trafic des existences.
L'exilé qui revient goûter aux liqueurs de Sextius, confirme en quelques gorgées la bonne idée de son premier départ.

Je le vois, le grand arc promis : une ceinture de chasteté brodée d'accorts contre les hordes envieuses lorgnant le cul d'Europe ! Ce congressiste d'un août bruxellois marmonnait vérité dans son vieux costume de tweed : "On est pour la mobilité des biens et des cultures, mais pas des hommes."

Le rêve d'un cercle bleu a volé en éclats. Alexandrie ne sera jamais reconstruite qu'avec l'argent des morts. Nous avons nos charniers, des forêts criblées d'os et de réveil-matin, des photos aériennes et rien ne me fait plus rager que ces toussotements d'amnésiques au seul nom de Méditerranée. Avouons-le, notre généalogie n'a jamais évité le fusil et les frontières nerveuses, toutes ces nuits dopées aux traçantes dans le grand cirque rouge de l'adrénaline.

Il dit : "- On ne peut plus voyager. Tout est devenu si cher. Et puis, es-tu sûre de tes cousins ?" Il dit encore : "- J'aime ton corps parce qu'il me fait penser à la mer, à ces bords d'écume offerts au voyageurs. C'est un billet d'envie, ça ! Un œilleton fixé sur les couleurs du large !"
Elle dit : "- Je ne sais plus ce que tu m'es. Toujours mon père et ardent compagnon. Un fanfaron démasqué de tendresse qui m'emprisonne et me libère."

Ce que nous avons fait de Méditerranée ? La mer se venge. Ses rivages abandonnent des marins sonnés par la cruauté des vagues officielles. Des gamins par milliers, mains dans les poches, soutiennent l'ombre des rues livrées aux assassins. La baie de Volos admire la balançoire du ciel jusqu'au Golfe du Lion. La Turquie étrangle en finale ses avants-centre Kurdes. Les cravates algériennes sont portées par des journalistes, des mères et des poètes. D'anciens soldats sont choqués par le tango des marchands sur les vagues de l'Odyssée et j'ai toujours cette manie de faire la fête, l'ombre de mon amour à portée de mon flingue.

Alors le Sud ? Le Sud sifflote comme il peut. Flûte moderne, flûte ancienne, les deux toujours jouées d'une même main. La plage est sale, l'eau émeraude, les gosses savent toujours s'y amuser.

vendredi 27 novembre 2015

mercredi 25 novembre 2015

P.I.T. II



Parce que l'acte manqué et le partage de l'absurde rapprochent beaucoup plus que le triomphe.

Paco Ignacio Taïbo II, Jours de combat.

L'énigme n'existe pas.


Une réponse qui ne peut être exprimée suppose une question qui elle non plus ne peut être exprimée. L'énigme n'existe pas.

Car le doute ne peut exister que là où il il y a une question ; une question que là où il y a une réponse, et celle-ci que là où quelque chose peut être dit.

Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico philisophicus.


mardi 24 novembre 2015

La propriété



La propriété ! Tout ce foutoir, c'est pour la propriété !


Sergent Welsh, The thin red line, Terence Malick 

Le principe de délicatesse



Voulez-vous mon linge sale, mon vieux linge ? Savez-vous que c'est d'une délicatesse achevée ? Vous voyez que je sens le prix des choses. Ecoutez, mon Ange, j'ai toute l'envie du monde de vous satisfaire sur cela, car vous savez que je respecte les goûts, les fantaisies, quelque baroques qu'elles soient, je les trouve toutes respectables, et parce que l'on n'en est pas le maître, et parce que la plus singulière et la plus bizarre de toute, bien analysée remonte toujours à un principe de délicatesse.

Donation Aldonze François de Sade, lettre à sa femme, hiver 1783.

Irène


Pêcheur birman



Et bien d'autres photos de Géraldine Rué.

lundi 23 novembre 2015

Le plus grand espoir


Les traces de peinture à la chaux, la cuvette ébréchée, les hardes, la pauvre chaise, roulée par la mer sans bord de mon herbe, ne le céderont en rien au décors impeccables, aux riches toilettes. Il n’est rien qui vaille que cela change et rien ne vaudrait plus rien si cela changeait. Le plus grand espoir, je dis celui en quoi se résument tous les autres, est que cela soit pour tous et que pour tous cela dure ; que le don absolu d’un être à un autre, qui ne peut exister sans sa réciprocité, soit aux yeux de tous les seule passerelle naturelle et surnaturelle jetée sur la vie.
 
André Breton, L’amour fou


Comment défendre Paris




A leur retour Panurge consideroit les murailles de la ville de Paris, & en irrision dist à Pantagruel. Voy ne cy pas de belles murailles, pour garder les oysons en mue? Par ma barbe, elles sont competentement meschantes pour une telle ville comme est ceste cy, car une vasche avecques ung pet en abattroit plus de six brasses. O mon amy, dist Pantagruel, scez tu pas bien ce que dist Agesilaus, quand on luy demanda: Pourquoy la grande cité de Lacedemone n'estoit pas ceincte de murailles? Car monstrant les habitans et citoyens de la ville tant bien expers en discipline militaire, tant forz & bien armez. Voicy, dist il, les murailles de la cité. Signifiant qu'il n'est murailles que de os, et que les villes ne sçauroient avoir muraille plus seure & plus forte que de la vertuz des habitans. Ainsi ceste ville est si forte par la multitude du peuple bellicqueux qui est dedans, qu'ilz ne se soucient point de faire aultres murailles. Et davantaige, qui la vouldroit emmurailler comme Strasbourg ou Orleans, [ou Carpentras,] il ne seroit possible, tant les frays seroient excessifz. Voire mais, dist Panurge, si faict il bon avoir quelque visaige de pierre quand on est envahy de ses ennemys, et ne feust ce que pour demander, qui est là bas? Et au regard des frays enormes que dictes estre necessaires si l'on la vouloit murer, si messieurs de la ville me veullent bien donner quelque bon pot de vin, ie leur enseigneray une maniere bien nouvelle, comment ilz pourront bastir à bon marché. 
Et comment? dist Pantagruel. Ne le dictes donc pas, respondit Panurge, si ie vous l'enseigne. Ie voy que les callibistrys des femmes de ce pays, sont à meilleur marché que les pierres. D'iceulx fauldroit bastir les murailles en les arrangeant en bonne symmetrie d'architecture, & mettant les plus grans au premiers rancz, et puis en taluant à doz d'asne arrangeant les moyens & finablement les petitz. Et puis faire ung beau petit entrelardement à poinctes de diamens comme la grosse tour de Bourges, de tant de vitz qu'on couppa en ceste ville es pouvres Italiens à l'entrée de la Reyne. Quel diable desferoit une telle muraille? Il n'y a metal qui tant resistat aux coups. Et puis que les couillevrines se y vinssent froter. Vous en verriez par dieu incontinent distiller de ce benoist fruict de grosse verolle menu comme pluye. Sec au nom des diables. Davantaige la fouldre ne tomberoit iamais dessus. Car pourquoy? ilz sont tous benitz ou sacrez. Ie n'y voys qu'ung inconvenient. 
Ho ho ha ha ha, dist Pantagruel. Et lequel? C'est que les mousches en sont tant friandes que merveilles, & se y cueilleroient facillement & y feroient leur ordure, & voilà l'ouvrage gasté & diffamé. Mais voicy comme l'on y remedroit. Il fauldroit tresbien les esmoucheter avecques belles quehues de renards, ou bons gros vietz d'azes de Provence. Et à ce propos ie vous veulx dire, nous en allant pour soupper ung bel exemple. 

François Rabelais, Pantagruel. 
 

dimanche 22 novembre 2015

Péremption

Beaucoup d'entre nous sont dans la situation d'un homme qui ne pourrait plus écrire à ses amis. Non parce qu'il n'aurait rien à leur dire, mais parce que son langage serait périmé.

Georges Perros, Papiers collés 1.

samedi 21 novembre 2015

Se souvenir de Yànnis Ritsos (1909-1990)




C’était cela notre amour
il partait, revenait, nous rapportait
une paupière baissée, infiniment lointaine,
un sourire figé, perdu
dans l’herbe du matin ;
un coquillage étrange que notre âme
essayait de déchiffrer à tout moment.
C’était cela notre amour, il progressait lentement
à tâtons parmi les choses qui nous entourent,
afin d’expliquer pourquoi nous refusions la mort
si passionnément.
Nous avions beau nous accrocher à d’autres tailles,
enlacer d’autres nuques, éperdument 
mêler notre haleine
à l’haleine de l’autre,
nous avions beau fermer les yeux, c’était cela notre amour…
rien que le très profond désir
de faire halte dans notre fuite.


vendredi 20 novembre 2015

Sandrine





Souterrains




Mazet se méfiait des pensées nées du souterrain, des portraits qu'il avait dressé des autres alors qu'ils erraient dans ces boyaux. Guimard était le plus douillet, certes, et il devait à cet état de s'être livré ainsi lorsqu'ils croyaient ne plus pouvoir sortir. Pour Soleimani, c'était plus franc : le petit homme avait conservé sa nonchalance jusqu'au plus profond des ténèbres ; le noir avait révélé la dureté de son cuir. Mais il refusait de ne voir en Paulet qu'une souris effrayée. C'était une mère avant tout et c'était de manquer à ses enfants qui l'avait fait trembler. Quant à lui, son absence de peur, la maîtrise dont il avait fait preuve en les guidant, n'était que le symptôme inversé de son inadaptation. Il savait qu'une fois l'électricité de leur mésaventure dissipée, reprendrait le quotidien de ses angoisses. D'une certaine façon, l'âge lui avait montré que la critique la plus fondée que l'on peut adresser à autrui dessine un fidèle portrait de soi-même.

Antoine Samano, L'emprunt Gallinet.

mercredi 18 novembre 2015

Une conversation





Au café, Anna et Brice parlent des mots, de l'erreur, du silence, de l'amour, des bribes et de ce que parler veut dire. 

mardi 17 novembre 2015

Travailler


Au point où j'en suis arrivé, je dirai que ce qui m'a paru le plus difficile c'est d'aimer ce qu'on aime, de garder intact le pourquoi d'un choix, pourquoi qui a tendance à se perdre dans les mille et une grottes de nos sollicitations fallacieuses. Aussi bien est-il nécessaire de travailler à cette conservation, et le mot travail n'a guère qu'un sens pour moi : celui-là. Travailler à ne pas faire exprès d'étouffer ce qui nous gêne. Et l'amour gêne.

Georges Perros, Papiers collés II.

Remercions ici l'Inconsolable qui aura su nous faire découvrir et goûter tout le sel de Perros.

lundi 16 novembre 2015

L'hermite


Solum certum nihil esse certi, et homine nihil miserius aut superbius.

Il n'y a rien de certain que l'incertitude et rien de plus misérable et de plus fier que l'homme.

Pline, Histoire naturelle.

Hurdy Gurdy Man


dimanche 15 novembre 2015

L'entendement


Toutes les religions promettent une récompense au-delà de la vie, dans l'éternité, pour tous les mérites de la volonté et du coeur, mais elles n'on prévoient aucune pour les qualités de l'esprit, c'est-à-dire de l'entendement.

Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et représentation.

jeudi 12 novembre 2015

Eloge de l'ellipse


La participation du spectateur (...) à la jouissance d'une oeuvre d'art repose en partie sur ceci que chaque oeuvre d'art ne peut agir que par l'intermédiaire de l'imagination ; l'oeuvre d'art se doit, par conséquent, de stimuler cette imagination inactive. C'est là une condition de l'effet esthétique et, partant, une loi fondamentale de tous les beaux arts. 
Or il suit de cette même loi qu'il ne faut pas tout donner directement aux sens, mais plutôt autant qu'il est nécessaire pour mettre l'imagination sur la bonne voie, car il doit toujours lui rester quelque chose à faire, plus même : elle doit mettre la dernière main. Car même l'écrivain doit toujours laisser au lecteur un reste à penser ; comme l'a dit fort justement Voltaire : "Le secret d'être ennuyeux, c'est de tout dire".

Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et représentation.

mercredi 11 novembre 2015

Everything a lie



Everything a lie.
Everything you hear, everything you see.
So much to spew out.
They just keep coming, one after another.
You're in a box.
A moving box.
They want you dead.
Or in their lie.
Only one thing a man can do.
Find something that's his.
Make an island for himself.
If I never meet you in this life,
let me feel the lack.
A glance from your eyes,
and my life will be yours.

Terence Malick, The thin red line.

mardi 10 novembre 2015

L'écriture aujourd'hui


Avant que la catastrophe ne prenne les proportions d'une disparition programmée de l'humanité, seuls les voyants, les véritables poètes décelaient les signes avant coureurs de l'effondrement.  
Aujourd'hui, la situation est telle que le plus distrait des quidams sent venir la fin et, comme un enfant effrayé par l'avancée de la nuit, se met à chantonner une mélopée pour faire reculer les ténèbres. 
Telle est l'écriture que tout le monde pratique aujourd'hui : l'inscription sur un écran, ou sur une feuille, de notre désarroi, chaque ligne témoignant de notre impuissance, de notre renoncement à changer les choses. Chaque mot dénonce, malgré nous, notre lâcheté, notre égoïsme, notre manque absolu d'imagination pour nous tirer du trou que nous avons creusé.

Antoine Samano, L'emprunt Gallinet.

jeudi 5 novembre 2015

Fay ce que vouldras


Toute leur vie estoit employée non par loix, statuz ou reigles, mais selon leur vouloir et franc arbitre. Se levoient du lict quand bon leur sembloit : beuvoient, mangeoient, travailloient, dormoient quand le desir leur venoit. Nul ne les esveilloit, nul ne les parforceoit ny à boyre ny a manger, ny à faire chose aultre quelconques. Ainsi l'avoit estably Gargantua. En leur reigle n'estoit que ceste clause. Fay ce que vouldras. Parce que gens liberes, biens nez, bien instruictz, conversans en compaignies honnestes ont par nature un instinct, et aiguillon, qui tousjours les poulse à faictz vertueux, et retire du vice, lequel ilz nommoient honneur.

François Rabelais, Gargantua.

mercredi 4 novembre 2015

Summer of love


Ô nuit !


Ô nuit ! ô rafraîchissantes ténèbres ! vous êtes pour moi le signal d'une fête intérieure, vous êtes la délivrance d'une angoisse ! Dans la solitude des plaines, dans les labyrinthes pierreux d'une capitale, scintillement des étoiles, explosions des lanternes, vous êtes le feu d'artifice de la déesse Liberté !  
 
Charles Baudelaire, Le crépuscule du soir, Petits poèmes en prose.

mardi 3 novembre 2015

Divertissement royal



Elle ne m'honora ni d'un regard ni d'une parole ; elle fit, sans fioriture, ce qu'elle était venu faire : me donner le sentiment de mon incompétence, de ma pauvreté, de ma vanité, et enfin de ma solitude, car, après la démonstration muette d'une élégance et d'une maîtrise de soi à arracher des « hourras ! », elle s'échappa, d'un glissement qui n'avait plus ni bruit ni forme, gagna la lisière d'yeuses et disparut.
Ce bal eut vraiment le chic de me laisser devant le vide parfait.

Jean Giono, Les récits de la demi-brigade.


 

Fanny


Les couleurs de l'inceste


La thèse que nous soutiendrons ici ? Nous sommes emporté par une profonde transformation du vivre ensemble : passage de la pyramide au réseau, fin du théologico-politique, déclin du Nom-du-Père, effondrement du patriarcat, délégitimation de l'autorité, espoir d'égalité sans limite, tout cela en se conjuguant avec un développement sans frein du logiciel libéral... Et à y regarder de plus près, il nous faudra bien convenir que tous ces phénomènes convergent pour aller tacitement à l'encontre des exigences de l'humanisation et mettre dès lors celle-ci en crise.


Jean-Pierre Lebrun, Les couleurs de l'inceste, Se déprendre du maternel.

Grace


Confiteor


Que les fins de journées d'automne sont pénétrantes ! Ah ! Pénétrantes jusqu'à la douleur ! car il est de certaines sensations délicieuses dont le vague n'exclut pas l'intensité ; et il n'est pas de pointe plus acérée que celle de l'Infini.
Grand délice que celui de noyer son regard dans l'immensité du ciel et de la mer ! Solitude, silence, incomparable chasteté de l'azur ! une petite voile frissonnante à l'horizon, et qui par sa petitesse et son isolement imite mon irrémédiable existence, mélodie monotone de la houle, toutes ces choses pensent par moi, ou je pense par elles (car dans la grandeur de la rêverie, le moi se perd vite !) ; elles pensent, dis-je, mais musicalement et pittoresquement, sans arguties, sans syllogismes, sans déductions.
Toutefois, ces pensées, qu'elles sortent de moi ou s'élancent des choses, deviennent bientôt trop intenses. L'énergie dans la volupté crée un malaise et une souffrance positive. Mes nerfs trop tendus ne donnent plus que des vibrations criardes et douloureuses.
Et maintenant la profondeur du ciel me consterne ; sa limpidité m'exaspère. L'insensibilité de la mer, l'immuabilité du spectacle, me révoltent... Ah ! faut-il éternellement souffrir, ou fuir éternellement le beau ? Nature, enchanteresse sans pitié, rivale toujours victorieuse, laisse-moi ! Cesse de tenter mes désirs et mon orgueil ! L'étude du beau est un duel où l'artiste crie de frayeur avant d'être vaincu.

Charles Baudelaire, Le « confiteor » de l'artiste, Petits poèmes en prose.